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Capitaine Spara profite d'un instant de répit pour s'étirer, remarque un Milo oisif et désœuvré.

— Corduvac, tu veux te sentir utile ?

— OUI !

— Hmmmm...

Louboutou, sans cesser de jouer avec ses boutons colorés, rejoint la capitaine dans sa réflexion monoconsonnantique.

— Il sait faire quoi, au juste ?

— Euh... Je peux marcher sur l'eau, mais seulement quand il fait très froid.

Milo retient mal un sourire fier.

— Ouais. Et moi je peux voler, mais seulement vers le sol.

— Et moi je peux voir les gens morts avant leur mort.

— Et moi, je peux traverser les murs à l'aide de portes.

La grande blonde et le moustachu musclé se sont invités dans la conversation ; ce dernier torsade ses bacchantes comme un méchant de film des années trente.

— Il sait faire des vannes nazes, c'est déjà ça.

— Sois gentil. C'est pas de sa faute s'il est insipide.

Le navigateur renâcle sans quitter des yeux ses cartes sidérales.

— Comme le puissant Corduvac est tombé ! En arrière, le derrière dans la rivière.

— Techniquement, il est sur l'ascension, fait remarquer la pilote.

— Évidemment ! Il peut que progresser ! Mais est-ce qu'il peut vraiment nous servir, dans l'état actuel ?

La blonde arrache de l'espace un œil qu'elle jette sur Milo. Figurativement, bien sûr.

— Il est plutôt petit...

— Je suis petit ?

— Il pourrait colmater quelques fuites au niveau des acchès avec l'anchien pont inférieur, intervient Louboutou, un vissetout entre les dents.

Monsieur Muscle – que la plupart des gens appellent Bardan – fronce les sourcils.

— Tu veux que ce truc répare un délicat chef-d'œuvre d'ingénierie ?

La pilote garde les yeux au ciel – la coutume voudrait qu'elle les lève au ciel, mais celui-ci se trouve juste en face d'elle, lui épargnant une fatigue oculaire supplémentaire.

— Une grosse plaque de métal, c'est pas ce que j'appellerais « délicat ».

— Fermez vos tronches, s'emporte enfin Spara. Corduvac, tu peux escorter Bardan veeeeeeers...

Le moustachu toise Milo. Spara pointe un couloir sur la carte holographique aux douces couleurs pastels (Mon Kit de Kartography™, édition limitée « Pêche & Abricot »).

— … là ?

— Euh... bien sûr.

— Et oublie pas ça.

Elle lui tend ce qui ressemble fort à un distributeur à PEZ chromé et tuné. Sur le côté, une inscription dans un script inconnu, qu'il déchiffre pourtant intuitivement : « lance-missile neutronique de poche ».

— Ah.

Il reste immobile quelques secondes, fixant l'objet de son incompréhension.

— Pourquoi est-ce que j'ai besoin d'un lance-missile ?

— Pourquoi t'en aurais pas besoin ? T'as suivi ce qu'il s'est passé au moins ?

— Pas vraiment...

Il acquiesce néanmoins. Il aurait peut-être dû avoir un lance-missile sur lui quand il a franchi le seuil de l'hôtel. Ça n'aurait sûrement pas aidé, mais il se serait senti plus en sécurité.

— File, maintenant. Et en vitesse.

Le poilu baraqué trottine aux côtés de Milo. Le robot, victime de l'ennui, les suit. Au détour d'une antichambre grésillante, notre héros brave-mais-pas-trop hésite. Cette simple porte le rend étrangement craintif. Bardan, courant sur place pour conserver son rythme cardiaque, l'ouvre à sa place et sa moustache dessine un rictus velu. Milo pointe le couloir du doigt.

— C'est plus direct par ici.

— Même ça, tu...

Bardan soupire, dents serrées ; se passe une main virile et agacée sur le visage.

— … on peut pas, reste que l'escalier qui descend.

Milo arque un sourcil et fronce l'autre. D'abord les portes, maintenant les escaliers ? Plus rien n'a de sens.

— L'escalator, l'éclaire Bardan. En panne.

Milo fait mine de réfléchir un instant.

— Corrigez-moi si je me trompe, mais un escalator en panne... c'est bien un escalier ?

Bardan pousse un rire moqueur, et le robot émet un vrombissement proche du ronronnement hoquetant. Milo les observe, pas certain de comprendre.

— Tu peux toujours essayer.

Le ton du moustachu frôle le sarcasme. Le robot s'est retourné, mais il semble à Milo qu'il se frotte les pinces.

Le jeune homme éreinté avise l'escalator hors d'usage, apparemment sans danger ; quoique son métal brillant et ciré – voire affecté – contraste de façon dérangeante avec le sol poussiéreux depuis l'accident. Il feint l'indifférence, et s'avance dans l'antre escalière sous des gloussements méprisants et des railleries rayées.

Il dessine un volte-face au ralenti, aussi vif que ses réserves d'énergie.

— Vous allez me dire ce qui vous fait rire, à la fin ?

— N'aie crainte, n'aie crainte. Les escalators ne sont pas si caractériels qu'on le dit.

— Ça arr1ve pas t0us les jour5, de s3 faire br0yer. Un sur d3ux, peut-êtr3, ma1s pas d3 quoi s'aff0ler.

Bardan sort semi-discrètement un sachet de pop-corn parfum bonbon d'une grosse poche assortie à ses gros bras.

— Bon, se résigne Milo. On perd du temps, on va passer par la... porte, du coup.

Il mime un « après vous » qui font se dresser la tête et la queue de la moqueuse moustache chenillée. Le robot ne saurait imiter une telle expressivité, mais un scintillement malicieux et parfaitement accidentel traverse sa mire moqueuse.

La petite troupe hétéroclite s'engouffre dans un local exigu, donnant sur un couloir étroit, donnant sur une pièce réduite, donnant sur un conduit du même acabit.

À la pâle lueur des murs-lampes, Bardan joue des biscotos et détache la grille avec le doigté d'un haltérophile, la douceur d'un pugiliste et la délicatesse d'un mercenaire. Le robot évite de justesse l'envol émouvant des barreaux, qui quittent le nid droit sur la clavicule de Milo.

— AAAAAH !

— Chhh !

— Pourquoi vous m'avez attaqué !

— Pourquoi t'es resté planté là ? Tu vois bien que je libère le passage !

— Mais...! Mais...

Milo plisse les yeux pour cacher les larmes qui commencent à poindre. Il masse le membre meurtri, trop abasourdi pour objecter. L'automate s'approche, comme pour le secourir, et répète des mouvements saccadés vers la voie désencombrée.

— Tu... tu veux m'aider ?

L'appareil laisse chuter ses pinces en un clac métallique.

— Mais qu'1l est c0n.

Il s'éloigne, traînant derrière lui ses bras mécaniques.

— R3ntre d4ns le c0nduit !

— Pourquoi pas toi ?

Les bras lui en tombent. Une tenaille de dépannage sort de son boîtier pour les raccrocher.

— J'4i pas de jamb3s. Et l'autr3... reg4rde-le ju5te.

En effet. Un seul biceps de la montagne musculeuse risquerait de se coincer dans le conduit étriqué, alors deux... Sans même parler des tri-, quadri- et quinqueceps.

Milo soupire mais s'insère dans le passage oppressant, grommelant qu'il n'a toujours pas bu son café.

— Qu'a fait quoi ? Au pire, je m'en fous. Dépêche, l'avorton. J'aimerais bien que le rafiot tombe pas en miettes tout de suite.

— ᴳⁿᵃᵍⁿᵃᵍⁿᵃ·

— Quoi ?

— Rien.

— Tu devrais voir deux conduits devant toi.

— Oui.

— Tu prends à droite, à gauche et encore à droite, et enfin à drauche. Si t'avances un peu il devrait y avoir un relais positronique.

— Un3 be4uté.

— Je crois que je le vois.

— Est-ce que l'interface s'allume ?

— … Non ?

— 3lle a1me se f4ire c0urtiser. Ch4nte-lui une ballad3 romant1que.

— … Vous vous fichez de moi ?

— Parce qu'on a que ça à faire, peut-être ? On a pas toute la vie, mais si tu veux mourir asphyxié avec ce tas de ferraille, continue comme ça !

— D'accord, d'accord ! Euh... ♪ Belle demoiselle, montre-moi tes beaux circuits ♪ ?

— Il chante vraiment, le con !

Un grincement gras émane du robot qui se poile.

— C'3st une m4chine, sac de b1doche ! Appui3 sur le bout0n !

Milo rougit tant qu'il se réjouit presque de l'espace sombre qui le confine. Il allume l'appareil qui entonne les notes de démarrage de Windows 8-Millenium.

— Oh non.

— Qu'est-ce qui y'a ?

— C'3st la ver5ion la m0ins st4ble du mult1vers. Mêm3 un no0b comme Muscl0r le s4it.

— Ah, bah il fallait s'y attendre. C'est pas pour rien qu'elle nous a crashé sous le nez. Tu vois quoi, p'tit gars ?

— C'est encore en train de charger. Qui a eu l'idée de placer l'interface ici ?

— Pour pas que l'ennemi tripote les paramètres ! C'est des génies, les mecs !

Même de là où il est glissé, Milo entend le tronc qui sert de doigt au colosse tapoter sa tempe.

— C'en est où, maintenant ?

— Toujours pas fini de charger.

— Fait chier.

— So1s poli. C'3st une d4me, t0ut de mêm3 !

— T'sais quoi ? On va gagner du temps : arrache deux-trois câbles. Faut juste sceller le sas, après tout.

— Ros4liiiiiiine ! Noooo0ooon !

— Vous êtes sûr ?

— Mais oui, j'te dis ! Si c'était si délicat que ça, ce serait mieux protégé.

— C'est au fond d'un conduit, quand même.

— J'ai dit ce que j'ai dit.

Milo inspire profondément et, sur fond de sangl0ts_el3troniques.wav, ôte un fil à la demoiselle qui plante aussitôt. Il sursaute et se cogne quand un CLANG comprimé suivi d'un bruit d'air pressurisé retentit.

— Ça veut dire quoi, ça ?!

— C'est rien, c'est rien. C'est normal. Ça veut dire que t'as réussi !

Milo s'accorde un soupir de soulagement.

— Je peux faire demi-tour, maintenant ?

— Oui, oui. Mais te sens pas obligé.

Notre héros bougonnant amorce un demi-tour mal avisé, et de contorsion en contraction, de distorsion en dislocation, s'avoue contrit.

— Tu fous quoi, là-dedans ? Une soirée pyjama ?

— Euh...

Il se démène, se débat, se démanche. Un filament d'air s'enfuit de son gosier pour expirer un « aaaaïe » euphémiste.

— Je... Je crois que... j'habite ici, maintenant.

Le géant exulte d'un rire tonitruant. Son hilarité gargantuesque se repaît à temps pour annoncer la nouvelle au nouveau :

— Ouais, ben c'est pas pour jouer les empêcheurs de crémailler, mais la température va pas tarder à grimper par chez toi.

— Grimper comment ? OUILLE ! OUILLE-OUILLE-OUILLE !

— À peu près comme ça, à vue de nez.

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