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La folle équipe gare son pneu tout neuf – avec le reste du vaisseau – dans le hall de l'opulent centre commercial de la résidence royale. Moult affiches holographiques font défiler photos d'auteurs et couvertures pimpées à l'occasion du salon littéraire en l'honneur de la princesse Effet Cool Guy de Versailles, dite « Féfée ».

Ils déambulent dans les allées, nos preux aventuriers. Ils ignore l'ombre assassine qui les piste et se laissent porter par l'humaine marée, flânent de buffet en buffet, que trois auteurs s'efforcent de concurrencer : une dame d'un âge quasi-certain discute avec son chien pour tromper l'ennui ; elle a déjà dédicacé les piles de sa trilogie d’essais sur le fantasme de l'islamissilation de France-Créance. Une autrice fantasy aux cheveux chewing-gum usagé crie pour promulguer le dernier tome de la saga érotique sur laquelle elle est attablée : Les Secrets de Faess. Le dernier auteur, quant à lui, vend un livre d'anatomie comparée des espèces extra-terrestres les plus récemment découvertes.

Aux pieds d'un Louboutou gesticulant, Cicéron pioche un ouvrage au hasard et le jette comme un vieux mouchoir.

0n p3rd n0tre temp5 ! C'es7 p4s dan5 c3s ant1quités qu3 je retr0uverai Rosal1ne !

Milo égare un œil sur le tas de boulons, quand Bardan aborde un vieux papy décrépit :

— Mais... C'est Jean-Mouloud Le Pen, ça !

Au coin de leurs yeux, un tueur à gages tronçonneux tressaille, gémit et s'enfuit, un cri de terreur sur son sillage. Bardan poursuit, concentré sur l'irascible papy rabougri.

Encore vivant ? Vous foutez quoi ici ?

Entre deux tremblements, la vieillerie ne révèle rien de particulier, hormis qu'avec les traînées de boue que laissent nos amis tout crottés, la sécurité viendra bientôt les cueillir.

Louboutou ne tient plus et fuse, jambes croisées, droit vers les W.C. où un vigile refuse de le laisser entrer s'il compte tout dégueulasser.

Mais là c'est vraiment vraiment pressé ! S'il vous plaît !

— Monsieur, pas de geste brusque. Je connais mes droits.

— Oui, mais enfin...

— Commencez par flasher votre puce sanitaire, monsieur... sans mettre du caca partout ! Ah là là !

L'enuriné caresse le détecteur d'un mouvement flageolant.

C'est validé ? Ça veut dire quoi le caracal avec un point d'interrogation sur la tête ?

— Ça veut dire, monsieur, que vous n'êtes pas passé à la dernière version.

— Quoi ? Bien sûr que si !

— Ne criez pas !

— ᴮᶦᵉⁿ ˢᵘ̂ʳ ᵠᵘᵉ ˢᶦ, ᵉˡˡᵉ ᵉˢᵗ ᵃ̀ ʲᵒᵘʳ ᵎ

— Vous avez le ton criant, monsieur !

— Mais je vous dis qu'elle est à jour ! Les rayonnements galactiques font juste toujours tout buguer !

L'agent le toise et plisse le nez sur ses bottines boueuses.

Monsieur, je vous conseille d'arrêter de taper du pied, vous éclaboussez. Pensez aux agents d'entretien.

Au même instant, une nouvelle célébrité en forme de bilboquet, peut-être aussi venue promulguer ses écrits, quitte les cabinets, occupée à serrer les nœuds des deux tresses sur les côtés de son crâne autrement chauve. L'individu – « Eldritch Deuzièmmour », d'après son badge – marque un arrêt ; regarde à gauche, puis à droite, yeux et lèvres inexistantes plissés. Il pointe un doigt crochu, soudain énergique, vers le chauffe-holo ; génère au passage une micro-bourrasque qui décoiffe Louboutou.

Là ! crie-t-il dans l'oreille du vigile agacé. Y'a pas mal de poussière, non ? C'est pas bien entretenu. Une honte !

— Monsieur est libre de l'indiquer au personnel, monsieur.

— Y'a pas des chartes qualité à respecter ?

L'agent serre la mâchoire, veines saillantes.

C'est pas comme si on y produisait des aliments, monsieur. Ça ne craint pas grand-chose : c'est juste sale, monsieur.

— Oui, enfin tout de même...

— Et puis, monsieur sait que le sirocco apportera encore plus de poussière.

Le chauve ennatté glousse.

Vous avez raison. Encore un coup des Musulmanichéistes, ça.

Les dents du vigile crissent ; un rire forcé traverse sa trachée.

Quelque chose cogne les chaussures d'Eldritch, lequel identifie – d'un seul coup d'œil ! – un balai.

Oh, mesdames messieurs les techniciens de surface, je voulais justement vous parler...

— On préfère le terme « balayeur », si c'est pas trop demander.

Une lumière solaire inonde alors le château. La reine Quadragésime et son consort Jean-Abdoul Einstein, mathémagicien de grand renom, descendent les marches, main dans la main, face à la foule inclinée. Enfin, regards et projecteurs se braquent sur l'étoile de la soirée : la princesse Féfée. Elle chevauche son tigre de compagnie, drapée d'une robe pailletée qui volette en traînées violettes, coiffée d'un diadème antipersonnel surnucléaire D3310 et de gants de boxe. La parfaite dauphine de la monarépublique.

À peine dévale-t-elle les marches, pourtant, que la piétaille s'agite, piaille que la résurrection d'espèces disparues nuit au portefeuille d'actions du Corpo-chef, vive le Corpo-chef. Le couple royal s'élance, trop tard, vers la petite Effet Cool Guy de Versailles qu'on a désarçonnée. Elle pleure du glitter tandis qu'on brandit fourches et pierres vers le félin patibulaire. On la conspue, on la somme d'abandonner aux mains nobles de ces invités le gouffre financier en forme de félidé.

Mais quoi.

Les mots de Milo se mêlent au malheureux méli-mélo.

Arf, grogne Spara en lui jetant un Acaca Rente 5 dans les bras. J'l'avais prédit que la plèbe se retournerait contre FreeWiFi !

— Le tigre s'appelle FreeWiFi ?

Bardan recharge et entame la course vers le hangar.

C'est un joli nom, ça. C'est pas un dieu néo-néo-néo-païen ?

— Non, c'est une prière du plasticocène, je crois.

Milo hoche la tête, ou peut-être s'agit-il d'un spasme.

La troupe brave le raz-de-marée de huées portée par son navigateur baraqué. Quelque part dans la cohue, une princesse et son félidestrier bondissent de couvre-chef en couvre-chef et de balustre de platine en colonne de marbre. Juste sur le chandelier, une montgolfière les recueille ; son lest est largué ; elle décolle et perce le dôme de verre. Une pluie cristalline et acérée décoiffe les invités, teinte de rouge leurs perruques poudrées.

Notre très modeste protagoniste décroche ses yeux du ciel et du ballon en fuite pour se concentrer sur des problèmes plus personnels : la voie vers le vaisseau est encombrée. Pire ! Les auteurs à succès mènent l'assaut vers nos héros.

Sus aux chaussures crottées ! Ils ont tout dégueulassé !

Les tempes prêtes à exploser, le cœur au bord du 9 sur l'échelle de Richter, la troupe fuit ses poursuivants belliqueux qu'un tronçonneux personnage rejoint bientôt. Le navigateur, le nez sur son NAVIateur, fait heureusement honneur à son métier :

— Apparemment, on peut se réfugier dans la SPtable.

L'équipage acquiesce et esquive la foule. De dédale en dédale, la bande déboule sur le refuge dont la porte électroniquement fermée menace de les faire déchiqueter par le tueur à gages qui rapplique à dos de gigantotruche. Milo, yeux clos, pointe son timide Acaca dans la direction générale de l'assaillant (ou plutôt du décor environnant), tandis que Spara attrape Cicéron et le plaque face à la cyberserrure.

Qu0i ?

— Ben fais quelque chose ! C'est ta spécialité un peu, ces trucs-là !

— Ç4 n'entr3 pa5 d4ns l3 c4dre d3 me5 attr1butions salarial3s.

— La boîte de conserve a un salaire ?

— D'où ?! C'est toi qui gères l'aspect cybernétique !

— Uniquemen7 s'1l relèv3 d3 p4rt 0u 7out du cargon3f 221B, matr1cule XDDD-5555-PTDR-JAJA-w.

Pendant qu'ils discutent, Louboutou, toujours à la rescousse, débloque le loquélectronique. La laz'herse s'évapore, et nos amis se faufilent dans la SPtable, hormis un cheveu sauvagement neutronçonné.

Nooooon ! Ne cernez pas dernière fou–!

Trop tard. Le portillon à rayons se rabat sur le renifloir de Maurane Ménard, meneur de menhirs réglementaire du ministère. Son troupeau rocheux fort docile scrute pétrificamment nos héros.

Arf ! Mous voilà de niveau tisonniers.

La nouille orange et bleue aux frontières du cortex corduvacien dessine un haussement d’épeautre : elle aussi peine à décrypter le ramage de ce bon vieux Maurane Ménard.

Vous êtes prisonnier ici, monsieur ? comprend heureusement Louboutou.

— Vin oui ! C’est viens qu’est-ce que je vis ! Je galbais mes trousseaux quand un petit matin a veilleuré la porte ! Et depuis, je fuis poincé.

— Hm-hm.

— Ç4 do1t remont3r à un m0ment vu l’ét4t de vo5 bêt3s !

— Les pas de mes pètes ? Mais ils vont près bien, nez bénirs ! Les veilleurs de tout Bouchay-les-Trous !

— B4h. J’a1 vu d3s an1maux écrasé5 p1us vig0ureux, m4is adm3ttons.

— C’est une parc de qualifié ça aussi, le calme des bénirs.

— Bouchay-les-Trous, il a dit ? C’est pas de là que vient le gang des Huguette ?

— Sois-lààààà ! C’est mon trousseau : Huguette, Huguette, Huguette, une autre Huguette…

— … Mais qu’est-ce que vous fichez ici ?

— Bah ! Lundi vers cerf, quand même ! J’allais pas lécher Huguette, Huguette, Huguette […] et Huguette têtes seules !

— Bon, les rigolos…

Spara revient d’une ronde que personne ne l’a remarqué commencer, leurs esprits trop occupés par ces menhirs au doux nom suranné.

— … Vous voulez continuer à glander ou on se casse ?

— Vous tondez passer à tracèrent les laz'herse ?

— Évidemment que non ! rétorque Bardan qui n’est pas suicidaire. On n’est pas suicidai– !

Le tonnerre d’un SILICATEx4 couvre les inanités bardaniennes. Spara le pointe d’un doigt nonchalant (traduisez : « Regardez, j’ai trouvé ça. ») qu’elle tournoie (« Y'a vraiment que moi qui pense à se chercher une charrette dans un refuge pour tacots abandonnés ? ») puis agite par deux fois (« Magnez-vous de monter ou je vous botte le fion. »), et l’équipage grimpe dare-dare dans le monstre motorisé qui tamponne et désintègre le mur en travers de la liberté et du tueur à gages tronçonnorisé.

V’là l’épopée sur la chaussée, filés par un détraqué et une petite troupe d’auteurs courroucés, tous crottés par les projections de la trentuple-cylindrée.

Louboutou, regarde la boîte à gants.

L’ingénieur la fixe, mais rien ne se passe.

C’est un vieux modèle ; ouvre à la main, tocard.

Louboutou lâche un soupir contrarié ; s'échapper sur une antiquité : quelle indignité. Mais l'épreuve fait ses preuves, car il extirpe un ananas de l'interstice. Bardan empoigne le fruit tropical, attend l'alignement des artisans, et assomme les trois d'un coup, qui s'écrasent dans la boue. Le tueur à gages les enjambe, apparemment indifférent.

Le musculeux moustachu examine l'intérieur du bolide en quête de projectile. Son regard choit sur l'Acaca, quand Milo déraille le train de ses pensées :

— C'est moi ou, euh... Le méchant monsieur fait du stop ?

Ruleck jette un regard pénétrant dans le rétro très rétro. Effectivement, ça y ressemble. Et elle s'y connaît, en vaisseaustoppeurs ! Elle freine sous les vociférations du cosmo-matelot et répète les mots antiques d'un rituel immémorial :

— Vous allez où, comme ça ?

— À Bourg-la-Vieille, si c'est sur votre route !

— Je connais. Charmant hameau. C'est chez vous ?

— Depuis que je suis né ! Merci de vous être arrêtés.

— Pas de souci. Serrez-vous derrière : laissez monter le monsieur.

La gorge serrée, Milo se décale, raide comme un piquet matinal, pour céder sa place à son aspirant assassin.

Encore merci, susurre l'expert en meurtres. Si ça ne vous dérange pas, je dois passer à la maternité.

— Oh ! Vous attendez un bébé ?

— Des jumeaux ! Mais pas les miens.

— Ah... C'est pour un contrat ?

— Tout à fait.

Milo casse un éclat de voix. Louboutou toussote. Ruleck tristole. Spara foudroie des yeux le tueur à gages et livreur à mi-temps.

Sur des bébés ?

— Pas ce type de contrat. Je les livre à un couple sans enfants.

Spara chute de son siège, puis se rassied d'un air consentant. Louboutou pivote à son tour, et Ruleck turbine vers la maternité.

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