Dernier voeu

de Image de profil de HanaoshiHanaoshi

Apprécié par 2 lecteurs
Image de couverture de Dernier voeu

  La nuit,

Ce funèbre moment où l’être ne peut échapper à ses démons, inlassable tourmente accaparant la chair pour la vouer aux viscères de la Vie. Maudit soit-elle ! Broyant, digérant, l’être englouti n’est plus que déchet. Ah ! Maudit soit cette vieille ébène ! où l’âme broie et boit la coupe de l’immonde liquide noirâtre indéfiniment dans le néant. Mais c’en est assez ! Le besoin de gueuler et de dégueuler ses mots et ses maux se fait dangereusement pressant !

Puis, les yeux fermés, l’esprit est seul face à son destin - mortel, peut-être. Sûrement. Dès lors, suffit-il de prendre les armes pour livrer bataille, ou parmi tout ce noir, tirer le drapeau blanc ?


    Un opaque rideau vint couvrir la scène, instant de grand silence revêtant l’habit de la méditation ou de la dépression. Qu’importe ! Maintenant, ce voile aveuglant tomba au sol, et dans sa chute, la lumière se fit. Il avait pris sa décision. Celle d’ouvrir son coeur, et de parler pensés et sentiments  au rythme irrégulier de ses battements. Alors, la voix de sa bien aimée s’énonça :

- Est-ce bon comme cela ? demanda-t-elle, en ajustant l'oreiller de son mari exténué par une journée comme une autre. Exécrable, horrible, et détestable, en outre.

- Oui, ma chérie, tu es un amour ! s’exclama-t-il, portant continuellement le masque du sourire, un faux-semblant trahissant sa souffrance. Cependant, il était temps que cette expression adoucie devienne plus grave, que la bouche et ses lèvres se délient et s’expriment ! La parole lui brûlait la langue, comment cela pouvait-il être si dur de se confier à un être proche ? Il devait s’armer de courage, se glacer le sang. Et il le fit, finalement, prononçant ses premiers mots :

- Un an… Bientôt un an que je supporte cette situation. Le temps passe vite, mais il n’est qu’éternité pour moi depuis ce sombre jour. Tu étais là, lorsqu’on m’annonça que je resterai à vie dans cet état. La maladie m’a pris en otage, à présent, j’en souffre. Lara, j’en souffre… Es-tu également là, pour voir cela ?

Ainsi dit les yeux dans les yeux, la détresse de l’un criait un hurlement silencieux vers l’autre. La femme passa sa main sur le visage de l’homme en une douce caresse, signe d’affection, de tendresse témoignant son amour sincère. Car elle comprenait son mari et sa douleur. Mais elle était tout aussi impuissante, préférant parfois se voiler la face. - Je sais, dit-elle, et je serai toujours là pour toi, Gabriel.

- Mais moi, je ne serai pas toujours là, répliqua-t-il aussitôt, un coup de massue signant un temps mort entre eux deux. L’espace sembla se figer, et la respiration de l’un et de l’autre se coupa. Puis, Gabriel soupira. Dans cet instant, il prit si délicatement la main de Lara dans la sienne, qu’elle crut que la force de son mari s’était presque éteinte dans son geste.

- Dis-moi, toi qui as toujours été croyante, qu’est-ce que le bon Dieu pense du suicide ? questionna ce dernier intentionnellement. La réplique ne fut sans attente.

- Pour Dieu, la vie est sacrée, Gabriel ! Se tuer est aussi un crime et...

Bien sûr, la réponse était évidente pour elle. Non, pour lui, elle ne comprenait peut-être pas.

- Alors, lui coupa-t-il la parole, tu prieras pour moi une fois là-haut, pour qu’il ait pitié de ma pauvre âme écorchée qui n’a jamais invoqué le mal sur autrui. J’ai aimé, et j’ai été détruit. N’ai-je pas aussi droit à une bonne espérance ? Ai-je simplement mérité de subir mon malheur ?  

Il vit sa femme le regarder d’un air ahuri, la réponse était encore évidente. Il soupira une nouvelle fois, et tourna la tête dans la direction opposée.

- Bien sûr que non, tu ne le feras pas. Ce serait donner ta bénédiction à cet acte “ odieux ” que je m’infligerai, n’est-ce pas ? Mais je ne t’en veux pas. Je n’ai pas l’intention que tu te sentes coupable de mon action. Que tes mains restent belles et propres ! Nous avons juré “ jusqu’à la mort nous sépare ”, mais je vois à travers tes yeux que ton amour transcendera cette règle. Ne fait pas le malheur de rester veuve, tu ne pourras t’occuper de tout toute seule lorsque je ne serai…

- Arrête ! Tais-toi s’il-te-plait ! Arrête de faire comme si tout était déjà fini. C'est insupportable et douloureux de t’entendre parler comme ça ! rétorqua Lara, troublée.

- Non, non. Cela fait trop longtemps que je me suis tu, ce soir je veux rendre tout ce que j’ai dire. Alors je t'implore, écoute-moi, j’en ai besoin plus que tout en ce moment ! Parlons d’humain à humain, des êtres qui ont besoin d’amour et de compréhension !

 La femme se sentit décontenancée et navrée. Malgré la maladie, son mari n’avait perdu cette pointe d’autorité sans être vulgaire. Et ce dernier continua son discours : - Tu sais, pour la première fois, j'ai prié le petit Jésus, pour toi et les enfants. J’ai aussi prié pour moi, pour qu’il m’aide à aller mieux. Mais rien n’est venu, à part cette seule réponse : “ il n’y a aucun traitement pour vous soigner. ” Je me suis résigné, avoua-t-il. Gabriel serra plus fermement la main de sa femme, avant de se confier de nouveau :

- J’ai toujours été fasciné par l’histoire de ce stoïcien qui n’a émis aucun gémissement, aucune plainte lorsqu’on lui arracha la colonne vertébrale. J’admire ce détachement de l’âme et du corps, de l’esprit et du désir. C’est faire preuve d’une force insoupçonnée ! Cependant, moi, je suis si faible ! Je défaillis chaque jour, je pleure quand tu n’es pas là, lorsque cette peste ronge chaque parcelle de ma chaire. Je ne suis pas atteint d’une maladie qui me tuera, mais d’une avec laquelle je dois vivre jusqu’à la mort. Je ne peux me défaire de celle-ci, je la subis pris au piège.

- Mais nous sommes là pour t’aider à la supporter, Gabriel, n’est-ce pas notre rôle ? Nous sommes ta famille, nous sommes ta force !

- Non, c’est faux ! Je suis un boulet, je suis votre faiblesse ! Je ne veux être un fardeau ni dans mon vivant, ni même dans la mort ! Lara, si un jour, je me suicide, c’est que c’est mon seul acte de révolte, de liberté et de délivrance que je puisse à présent faire. Je vaincrai cette maladie qui est en moi, je brandirai l’épée et la retournerai contre moi. Voici comment je la tuerai, moi de même. C’est le mal qui s’est inscrit dans mes gènes, et non le bien. Je t’aime, et si toi tout autant, ne me laisses pas devenir l’ombre de moi-même. Je désire seulement partir l’esprit en paix, en sachant que tout ira pour le mieux.

Lara…

Sa mine reflétait le désespoir, à présent. Elle entendait un homme qui était parfaitement conscient de chaque parole qu’il proférait. Elle ne faisait alors qu’écouter.

 - Il existe des jours où je me sens tel un cadavre en décomposition, me liquéfiant dans ce lit pour m’enfoncer dans le sol, là où sera ma tombe de terre. Mais l’instant d’après, ce mal-être est remplacé par un bien-être. Je me sens tellement léger, que l’impression de mon corps montant au ciel m’envahit de toutes parts ! C’est juste miraculeux ! Et cette sensation est si bonne, Lara, si bonne ! C’est dans ces moments que j’ai envie de passer à l’acte: en finir dans ce monde, pour renaître dans un autre.

 

Les pupilles de Gabriel pétillaient, il voyait déjà son avenir ailleurs. Peut-être que son âme souriait à s’imaginer là-bas, dans un endroit merveilleux. Tandis que Lara ne disait rien, que pouvait-elle faire de toute façon ? Les paroles de son mari la heurtaient en plein coeur, elle aurait voulu de même mourir dans ses bras. Mais elle, son désir était de vivre. Alors, ses yeux perlèrent leurs premières larmes.

 

- C’est dur à dire, mais il faut que désormais tu t’habitues à l’idée que je vacille entre la vie et la mort. Le jour où je basculerai du mauvais côté, je ne veux pas que tu sois surprise et horrifiée de voir mon corps inerte. Non, Lara, Lara, Lara, Lara...  

Elle pleurait à chaudes larmes. Il ne pouvait la consoler, il avait pris sa décision. Je suis désolé ma chérie… Dès ce soir, considère moi déjà comme mort, pensa-t-il.


La fin de cette histoire restera floue. Ces larmes ici versées, sont comme celles d’un ciel souffrant. Mais nous savons, qu’après la pluie, viendra le beau temps.



EssaiExpérimental
Tous droits réservés
Contenu sensible
1 chapitre de 6 minutes
Commencer la lecture

Table des matières

Commentaires & Discussions

Dernier voeuChapitre9 messages | 7 ans

Des milliers d'œuvres vous attendent.

Sur l'Atelier des auteurs, dénichez des pépites littéraires et aidez leurs auteurs à les améliorer grâce à vos commentaires.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0