L'enterrement

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Azur se tenait droit devant le cercueil de verre, réalisé pour Élestac. Il voulait apercevoir encore un peu, celle pour qui son cœur n’avait pas cessé de battre. De rage. Il avait besoin de la visualiser lorsqu’elle glisserait sous la terre et qu’elle le laisserait seul avec tout un royaume à diriger. Il lui fallait cette dernière image pour être tout à fait satisfait.

Le soir où elle était revenue, immobile sur un brancard aménagé et tenue au pommeau des selles de quatre chevaux, Azur s’était écroulé. Presque évanoui, il jouait l’époux éploré. Ses jambes fléchissaient à chaque pas. Plusieurs courtisans l’avaient aidé à se redresser et à rejoindre le corps. Ses larmes avaient coulé en un ruisseau de mensonges et sa voix s’était brisée à nombreuses reprise. Il en était venu à s’étouffer. On avait dû l’éloigner de la reine et le porter à bout de bras jusque dans ses appartements. Quelques « proches » restèrent avec lui, le consolant de mille manières, alors qu’il se désolait d’avoir pris tant de distance avec son épouse.

De nombreuses personnes l’avaient plaint et trouvé, dans ses larmes, une véritable souffrance. Si distincte. Si touchante. Un inconsolable chagrin avait flotté dans la chambre, n’épargnant aucun sujet.

Dans le sanctuaire des morts royaux, sous un voile épais et d’un noir funeste, Azur gardait le silence, la main dans celle de Rouge, dont il n’apercevait que la hauteur. Entre deux litanies, il se demandait à quoi le prince pouvait bien ressemblait, désormais. Il observait la tresse albâtre qui ondulait jusqu’à ses genoux enfermés dans des grandes bottes enténébrées. Sa main, dans le temps, froide, brûlait d’une chaleur intense et enveloppait celle du roi, beaucoup plus fine. Rouge avait changé, sans nul doute.

Un instant, Azur se questionna : est-ce lui que j’ai vu dans le jardin ? Est-ce qu’un garçon chétif pouvait devenir une montagne ? L’envie de retirer le voile de son visage le préoccupait. Cette stature animait en lui un étrange sentiment, une mystérieuse fascination.

Dans l’ombre de son « beau-fils », Azur se sentait en sécurité. Étrangement, il était attiré par cette masse de muscles qu’il imaginait sous les vêtements de deuil, par cette aura inquiétant et intrigante.

À mesure que la cérémonie s’étalait, Rouge se rapprochait de lui. Un parfum sucré s’immisça dans ses narines. Des fruits rouges ! Comme dans le temps… Était-ce vraiment le prince qui se tenait près de lui ? Qui d’autre ? Cela ne pouvait être que Rouge.Si seulement les voiles n’entravaient pas sa vision.

Avec une telle stature, il doit ressembler à son père plus qu’à sa mère, remarqua mentalement le roi.

Alors que le bras du « géant » appuya contre son épaule et que sa large main se referma un peu plus sur la sienne, Azur frissonna. Il se sentit presque intimidé et songea au visage de l’inconnu entraperçu dans la roseraie.

— Ses lèvres rouge sang… murmura-t-il sans qu’on ne pût l’entendre.

À quoi pensait-il, alors que son ennemie de toujours gisait dans un cercueil ? Ce n’était pas le moment de tomber sous le charme d’un garçon dont il n’avait plus vu les traits depuis sept ans, mais de se réjouir du sort de la reine.

La tête baissée, il soupira discrètement et retrouva de l’intérêt pour le lieu, ainsi que pour son rôle d’époux meurtri. Mais bientôt, un regard insistant le contrit à chercher qui le fixait.

Il rencontra le regard d’Albas, la hase. Rouge la tenait dans sa main libre, tout contre lui. L’animal avait à peine montré une moitié de museau et un œil écarlate.

Aussitôt, le souffleur s’accorda à croire que l’homme à son côté était bien le prince. Il n’avait pas quitté la hase et l’avait même conviée à l’enterrement de sa mère.

Depuis toute ses années, Rouge gardait auprès de lui l’animal.

Etrange bête, remarqua Azur, intérieurement.

Les oreilles droites, le museau remuant et les yeux braqués sur lui, Albas détaillait le roi, comme s’il n’eut pas de voile. Son regard semblait suspicieux.

Que voyait-elle de lui ? Une ombre, un homme triste ou bien l’assassin de la reine ? Un doute survint dans le cœur du roi.

Comment une hase pourrait le deviner alors que personne autour de moi, ne s’en doute ? Tous compatissent à ma détresse. J’ai pleuré sept nuits sur le verre qui retient cette fichue femme ? Je me raconte trop d’histoires.

— Effectivement, vous pensez trop. Profitez de ce moment ! Ce n’est pas tous les jours que l’on terrasse son ennemi, commenta Frizure, d’esprit à esprit.

— Certes, mais… Et si elle avait compris. Sais-tu comme les bêtes sont intelligentes ? Plus que nous… Je n’aime pas son regard. On dirait qu’elle me sonde.

— Alors cessez de la regarder. Il y a douze ans, nous nous sommes rencontrés et vous m’avez avoué vos ambitions avenir. Aujourd’hui, vous tenez votre victoire et vous vous troublez devant une hase ?

— Oui, tu as raison. C’est stupide.

Albas avait tout de même une intensité étonnante dans le regard.

Azur avait l’impression qu’elle connaissait le fond de sa pensée. Ses prunelles murmuraient : tu as de la chance que personne ne puisse me comprendre. Quel étrange avertissement que celui d’une hase. Peut-être aurait-t-il dû demander à l’animalière d’où provenait l’animal. S’il ne s’agissait pas d’un animal de la forêt sans âge ? Certains avaient des pouvoirs particuliers ? Un peu comme les loups à robe pourpre qui attiraient leur proie.

Azur se détourna de la hase et se concentra sur le chant de deux religieuses, dans l’ombres du sanctuaire. Leur voix mélodieuse chantait en canon, virevoltait jusqu’au plafond de vitraux sur lesquels les rayons du soleil transperçaient.

Le roi reprit contenance et se focalisa sur le visage de la reine, tout en sentant la main de Rouge vibrer sous sa peau.

Derrière son voile de deuil, le prince, lui, bouillait de voir sa mère dans ce cercueil de verre. Comment se pouvait-il qu’elle, si intrépide, tellement forte et pas moins prudente, avait pu mourir sous la flèche d’un de ses chasseurs ? C’était la pire des morts pour cette femme qui avait livré bataille plus d’une fois. Désormais, Rouge n’avait plus qu’Azur. Azur, qu’il avait du mal à considérer comme un père. Un frère, à la rigueur. Un ami protecteur qui ne chercherait que son bien. Il était seul avec cet homme distant. Pourquoi s’étaient-ils à ce point éloignés ? Pourquoi Rouge n’avait plus osé se glisser dans les appartements d’Azur ? Lui parler ? Lui-même avait dû mal à donner une réponse.

Il avait juste écouté son conseil et celui de Gralbias. Il s’était ouvert aux personnes et avait tenté de se lier d’amitié avec d’autres. Azur lui était devenu inaccessible et Élestac ne parlait plus jamais du roi. Peut-être que les choses changeraient, maintenant…

Maintenant qu’il n’y avait plus qu’eux, pouvaient-ils retrouver une complicité ?

En avaient-ils eu une ?

Rouge songea à l’ancienne intimité qu’il avait partagée avec Azur. Était-il si proche de lui ou l’avait-il simplement espéré ?

Le prince serra Albas contre lui avec toute la délicatesse dont il était doté. Dans sa main et sur le début de son bras, la hase ressentit la frayeur qui circulait dans les pensées de son ami. Il craignait d’être seul, emprisonné dans un décor de convenance et de faux-semblant. Sa mère n’était plus là, la seule qui restait franche avec lui. Il y avait bien Azur, mais est-ce que pour l’homme, il n’était pas devenu un parfait étranger ? Finalement, il se posa une question que jamais encore, il n’avait effleuré. Et si Azur n’en avait jamais rien eut à faire de lui, de Élestac ?

Preste, il secoua sa tête. Pourquoi pensait-il cela ? Voilà que des idées sombres s’animaient dans son esprit. Peut-être fallait-il arrêter d’écouter les élucubrations des réfractaires d’Azur.

Il blottit un peu plus la hase contre lui, craintif face à ses observations. L’animal souleva une de ses pattes et la plaqua contre son cœur d’humain peureux. Souvent, lorsqu’il se questionnait sur un sujet avec trop d’intensité, son amie au pelage blanc le gratifier de ce même geste, comme pour lui affirmer sa pensée. Mais cette fois-ci, il ne lui accorda pas raison. Azur avait tant fait pour le royaume, bien que sa mère et lui le croisaient à peine dans les couloirs. Évidemment qu’il s’était lassé d’Élestac. Il était plus jeune de vingt-neuf ans. D’ailleurs, Rouge savait pertinemment que sa mère aimait les hommes jeunes. Azur avait pris de l’âge, bien qu’il n’ait que vingt-sept ans.

Le prince ne savait pas trop quoi penser.

La peur d’être oublié lui pesait sur le cœur, voilà tout. Puis, la vision de sa mère dans ce cercueil, ne l’aidait en rien à avoir les idées claires. Il broyait du noir, voyait des complots se dessiner autour de lui.

Avoir été rejeté dans sa jeunesse, puis accepté alors que son apparence eut changé, et finalement courtisé, lui faisaient se demander si les gens lui étaient sincères ou s’ils convoitaient le pouvoir qu’il n’avait pas encore en main ? D’ailleurs, voulait-il de ce pouvoir ? Azur semblait plus amène à garder la couronne. Mais les règles étaient les règles. Lorsqu’il aurait atteint ses vingt-cinq ans, il deviendrait roi à son tour.

Il voyait déjà les regards des plus grandes familles du royaume se poser sur lui. Certains hauts dignitaires du château faisaient déjà des messes-basses en jetant des œillades vers Azur. Voulaient-ils arracher des mains le reste d’années qu’Azur avait devant lui ? Bien que le roi ait des soupirants, une longue suite derrière lui, l’appui du peuple, il restait dans le royaume des conspirateurs. Quelques proches de la reine avaient vu d’un mauvais œil l’union d’un roturier amnésique avec une reine de sang pur.

En songeant au risque éventuel qu’Azur se fasse abattre, Rouge tressaillit.

Le frisson vint se loger dans la paume de son « beau-père » qui caressait, sans s’en apercevoir, le dos de sa main.

Azur, le regard plongé sur le visage de la morte, ne remarqua pas son propre geste, peut-être empreint de sincérité inavouable et inconsciente. Son corps avait réagi à un ancien sentiment, qui malgré ses années à glacer son cœur, avait survécu. Il donnait de la chaleur et de la tendresse à cet homme qu’était devenu Rouge.

Les chants s’arrêtèrent abruptement.

Chacun pivota vers Élestac, alors que Rouge et Azur pensaient à l’autre de manière similaire et étrangement différente. Le prince cherchait un amour fraternel, quelqu’un qui le comprendrait à présent que sa mère n’était plus, tandis qu’Azur restait préoccupé par la possible popularité du jeune homme.

Le souffleur de givre passa un regard circulaire dans le sanctuaire dédié aux morts royaux et analysa toutes les expressions.

Selon lui, il y avait des complots dans l’air. Des complots qui pourraient mettre fin à ce qu’il avait tant désirer la richesse, la suprématie. Il refusait d’abandonner tout cela si tôt. Alors, après qu’Élestac fut descendu dans un immense puit où l’eau profonde parlait d’un autre monde, il s’écroula à terre, en se retenant fermement à la main de Rouge. Il ne devrait la lâcher sous aucun prétexte. Près de lui, personne n’oserait le tuer, personne ne l’atteindrait ou lui retirerait son titre.

Au sol, Azur recommença à jouer l’époux éploré. Le prince vint s’agripper à lui et le remonta d’un seul bras, l’autre occupé à tenir la hase.

Il le souleva, songea qu’il s’agissait d’une faiblesse du cœur, un corps tenu par l’émotion et dont les genoux avaient fléchi sous le coup de voir un être aimé retrouver l’eau sacré de la Mère Créatrice. Car il y avait une croyance comme quoi le monde serait une femme enceinte de mille milliers d’enfants. En retournant dans l’eau maternelle, Elestac pourrait renaître.

— Azur, je vous tiens, assura Rouge tandis que le souffleur étirait ses lèvres dans un sourire satisfait.

Rouge n’avait pas changé. Il gardait derrière son apparence de montagne, un cœur plein de passion et d’amour.

— Je... Tiens-moi. Tiens-moi fort, pour que je ne chute pas avec elle, chuchota Azur dans un sanglot maitrisé.

— Je ne vous lâcherais pas. Pardonnez mon égoïsme, je ne peux vous laisser la rejoindre. J’ai besoin de vous auprès de moi, confia Rouge, devant une assemblée qui pleurait Élestac sans lâcher du regard la scène qui se jouait devant eux.

Rouge le retint par les épaules et le garda contre lui.

— Je ne vous l’ai jamais dit, mais sachez que je vous serais fidèle comme je l’ai été avec ma mère, ajouta-t-il. Ne craignez pas mon abandon. Il n’existe pas.

Azur ne manqua pas un mot de cette dévotion, tout comme les oreilles grandes ouvertes au plus proche de leur échange.

C’était comme si Rouge avait clamé lui-même qu’Azur était plus légitime à être roi que n’importe qui d’autre.

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