Les années d'un roi

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Cela faisait sept ans qu’Azur posait sur sa chevelure de jais la précieuse couronne, qui l’avait proclamé roi. Cet objet de toute beauté lui conférait le respect de chacun. Il n’était plus le favori, mais bel et bien, le roi adoré.

Cela faisait sept ans, qu’il patientait, offrant mille sourires à chacun de ses sujets. Il ne se privait pas et donnait de lui une image gaie et joyeuse, conciliante et ferme. Il avait conquis le cœur des Verdoyiens. Rien ne paraissait plus facile que d’amadouer le peuple. Ils demandaient peu de choses ; des installations modernes, la sécurité dans les rues.

Tous imaginaient que la reine avait trouvé l’homme parfait, le roi irréprochable. Un roi aussi beau qu’appréciable. Mais au fond de lui, Azur ne cherchait qu’à posséder plus, toujours plus. Il désirait plus de femmes, plus de charme, plus d’or, plus de courbettes lorsqu’il traversait fièrement les rues, avec sa suite de soldats. Il n’en avait jamais assez, et cela commençait à se remarquer. Plus les années passaient, plus son cœur se gelait, couche par couche. Ses yeux ne cherchaient presque plus que la chaleur de son reflet.

Élestac ne s’en préoccupait plus, lui préférant de plus jeunes amants au visage encore juvénile. Elle aimait être admirée, désirée. Et Azur s’était lassé de jouer ce rôle. Du jour où sa couronne avait frôlé le haut de son crâne, son ennemie n’aperçut plus la fleur éclose qu’il devenait jour après jour. Les années lui offraient un charme lumineux qui contrastait avec son âme sombre. Le miasme prenait toujours plus de place dans son corps, si bien que des marques noirâtres commençaient à se répandre sur sa peau. Des marques en forme d’arabesques se dessinaient sur le haut de ses hanches. Des marques qu’il ne remarquait pas, éblouis autant par son envie d’en finir, que par le statut qu’il avait atteint. Azur imaginait qu’il tenait tout au creux de sa paume, mais savait-il qu’un dessein plus grand que le sien résidait près de lui, attendant le moment opportun pour éveiller sa puissance, son véritable visage.

Oui ! Les années l’aveuglaient, sans aucun doute. Il en oublia jusqu’aux sept tours perchées sur le Mont d’Andersouffle. Plus jamais il ne songeait aux souffleurs de givres, ni au prince. Il n’y avait plus que lui, ses affaires et son miroir, son besoin grandissant de tuer Elestac.

Dans ses nouveaux appartements, il pivota vers Frizure à la recherche d’un divertissement. Il ne lui suffisait plus d’une maîtresse dormant dans son lit… Il désirait autre chose.

— Miroir, miroir, mon cher miroir, apporte-moi une distraction en cette journée fade ! ordonna-t-il, de sa voix lasse et grave.

Décidément, le son de ses octaves dénotait avec son apparence androgyne, de même que sa longue chevelure charbonneuse aux reflets bleu nuit ondulait sur le sol semblable à celle d’une jeune fille. Depuis combien de temps ne les avait-il pas coupés ? Depuis sa rencontre avec Frizure. Pourquoi les laisser pousser, alors que sa nuque en souffrait ? Au fond de lui, il sentait que ça ne venait pas de son libre-arbitre, mais de la noirceur qui colorait son âme. Ces cheveux demeuraient le prolongement de sa haine. Plus elle poussait, plus le noir impactait sa vie. Est-ce que les couper arrêterait la diffusion de ce mal qui le rongeait ? Bien sûr que non…

Dans l’ombre de sa prison, Frizure se modela sous une fumée grisâtre. Elle salua son roi et sourit faussement de ses dents blanches. Ses yeux verts se posèrent dans ceux d’Azur comme pour sonder ses pensées les plus secrètes et deviner combien la sensibilité du garçon, qu’elle avait connu, était assoupie dans une bulle de glace.

— Majesté, il y a bon nombre de divertissements. Lequel vous plairait-il ? Rendre chèvre un simple homme, rendre folle une rivière calme et noyer quelques brebis ou désirez-vous exercer un sort ou deux sur de belles pousses ?

— Je ne sais pas. J’hésite. J’aimerais dégourdir mon ombre. Qu’elle ne se rouille pas.

— Une possession ? précisa la fée noire, ravie.

Plus Azur s’exercerait à cette magie, plus il perdrait la notion de qui il est.

— Oui. Ce serait parfait, dit-il en regardant la femme allongée sur son lit. Je commence à me lasser de ma concupiscence. Peut-être devrais-je changer, goûter à une autre forme que celle de ces femmes toujours trop ressemblantes ?

— Comme il vous plaira, un amant ou deux, vous iront très bien au teint.

— Trèves de plaisanteries ! Montre-moi quelques chaumières où les pires ordures sévissent.

— Ne voulez-vous pas vous en prendre à une bergère ?

— Non, il me fatigue d’assassiner des pauvres gens sans intérêt.

— Tuer des innocents était préférable afin que le cœur du roi s’assombrisse, mais l’entité ne discuta pas la demande. Après tout, dès l’instant où Azur désirait ôter la vie, savoir qu’il s’agissait d’une pucelle ou d’un fou, Frizure en était la première ravie.

— Bien, mon seigneur.

La fée noire s’éclipsa et laissa sous les yeux d’Azur quelque horribles scènes. Une première image lui montra une chambre d’enfant où un garçonnet se paralysait à mesure qu’une main épaisse et nerveuse cherchait les bouts de sa chair.

Azur claqua des doigts, visualisa une seconde image, un bois, où une femme criait sur deux hommes qui tiraient sur ses larges jupons. Le roi fit un mouvement de la main, s’attaqua à la troisième image, un chien, le corps ensanglanté, hurlait à la mort sous le coup de fouet d’un maître indigne et lâche. Le roi qui n’avait pas sourcillé devant les deux premières images, déforma son beau visage. Ses traits s’assombrirent tout comme son regard. Il n’y avait rien de pire pour lui qu’on s’attaquât à un être si innocent qu’un animal. Il était encore sensible à cela, ce qui déplut à Frizure. Son cœur gardait les vestiges d’une ancienne compassion.

N’ayant plus besoin de ses parchemins, Azur roi récita une formule et son ombre se détacha de lui. D’un geste vif, il lui commanda de posséder l’homme dont le miroir esquissé la silhouette.

L’ombre s’exécuta et traversa la surface vitrée. Frizure la dirigea vers son réceptacle. De là, la sombreur pénétra un nouveau décor et se posta derrière le barbare.

— Ombre, m’entends-tu ? souffla Azur dans la pièce silencieuse.

L’illusion hocha la tête avant de s’enrouler autour de sa proie et de posséder l’homme. Il se juxta au bourreau et se moula à son corps, disparaissant tout à fait sous sa peau.

— Je t’entends, répondit l’ombre. Que dois-je faire ?

— Détache le chien, apporte-le vers le plus proche village, puis repars dans la forêt, accroche le fouet à un arbre et pends ce sombre criminel. Qu’il suffoque lentement, ordonna le roi d’une voix ténébreuse, basse.

Ses mots étaient suivis d’un nuage de givre qui donnait à ses lèvres le scintillement de la neige sous le soleil.

— Ce sera fait selon ton désir.

— Lorsque tu auras fini avec lui, penche-toi sur l’enfant et la femme, dit-il finalement, en se souvenant qu’un jour, il avait été à leur place.

— Que devrais-je faire ?

— Tue ceux qui se sont attaqué à eux. Puis, ensuite, reviens-moi.

— Bien.

L’ombre s’exécuta et porta le chien terrorisé. Le miroir refléta à nouveau le visage d’Azur. Le jeune homme s’apprêtait à rejoindre sa couche et sa maîtresse du jour, une jeune servante, au visage commun. Avant qu’il ne la rejoigne, elle s’étira et ouvrit ses yeux. Azur tira sur le rideau du mur et dissimula le miroir.

Devant le regard noisette de la fille, il étira ses lèvres en un large sourire. Un qu’il servait à chacun comme pour dire, tu es plus important que le monde lui-même. Il se pencha sur sa peau nue parcourue de grains de beauté, et l’envoûta de deux seuls mots :

— Bien dormie ?

— Comme un loir, mon roi.

Elle s’étira sous ses yeux, dans un geste de séduction qu’il avait vu mille fois. À quel point se donnerait-elle à lui pour toucher la promesse de pouvoir qu’elle imaginait ?

Elle se redressa d’une façon féline, glissa ses mains sur la chemise fanfreluchée de celui qu’elle prenait déjà pour son amant, et passa ses bras à son cou comme pour l’enfermer dans une relation qu’il n’avait pas acceptée. Elle monta sur ses jambes, bomba le torse, écrasa ses seins menus sur son torse, puis embrassa les lèvres froides d’Azur qui apprécia ce jeu dont il ressortirait victorieux, comme à chaque fois. Il deviendrait rapidement une dépendance pour elle. Et sans hésiter, elle ferait n’importe quelles folies pour lui.

Azur affectionnait la manipulation des âmes.

— Je vous suis toute dévouée, majesté, souffla-t-elle dans son cou, alors qu’elle parsemait sa peau trop blanche de baiser bouillonnant de désir.

Elle coulait à pic dans l’eau claire et miroitante des yeux de son « amant ». Elle s’y noierait entièrement, deviendrait l’une parmi tant d’autres, un sbire à sa solde.

Azur lui mentait si bien. Il lui parlait de romance sans ouvrir la bouche. Lui caressait le corps comme si elle était le plus fragile des joyaux. Elle croyait si farouchement qu’elle pouvait le séduire et en faire l’instrument de ses désirs.

— Vous verrez, dans peu de temps mes baisers vous manqueront alors que j’en poserais mille sur vos mains, ajouta-t-elle, hypnotisée par le silencieux roi.

Comprenait-elle, qu’elle était la proie ?

Le jeune homme n’avait pas cessé de l’écouter, de lui sourire, d’accepter son envie. Ses habits jonchaient le sol sous les mains expertes d’une jeune fille qui savait se faire désirer. Elle n’avait certes pas de charme apparent, mais elle savait jouer avec les corps réchauffés. Lui avait-on appris tout cela, pour qu’un jour, elle trouve auprès d’un riche homme une place de choix ? C’était courant d’enseigner aux filles à séduire, plus qu’à conquérir. Azur soupira intérieurement, tandis qu’elle se pressait contre lui, l’avalant dans sa chaleur de prédatrice pigeonnée.

Le roi oublia l’ennui et ne sentit même pas, lorsque son ombre se repositionna sous lui. Il n’entendit pas cet être fait de noir et de gris qui susurrait dans son esprit : le travail est accompli.

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