Les vilains esprits

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Le onzième anniversaire de Rouge arrivait à grand pas. C’était un jour propice pour lui offrir cet ami dont il manquait tant. Les semaines passaient et l’enfant se glissait désormais dans les draps d’Azur, chez qui il avait trouvé un semblant d’amitié.

C’était devenu quasi quotidien, et le jeune homme commençait à se lasser de ses visites incessantes. Il fallait s’en débarrasser au plus vite, où il deviendrait le bras droit du prince au lieu de devenir le roi de Verdoyon. Elestac ne le faisait presque plus appeler le soir, préférant laisser Rouge profiter de nuits sans cauchemar.

En quête d’une solution, Azur s’était glissé dans la conversation de deux nobles femmes. La plus rousse des deux parlait d’une charmante animalerie où son époux lui avait fait l’agréable surprise d’adopter un chiot. Elle se trouvait au centre de la ville, à côté de la grande place du marché. Sur les bonnes paroles de la femme, il s’était éclipsé avec son éternel sourire enjôleur. Un animal de compagnie ! Cela serait un présent merveilleux pour le prince. Il aurait un compagnon et une personne à s’occuper. Peut-être que l’animal le rendrait plus mature. L’idée de ce cadeau le fit gamberger une bonne semaine. Une semaine où Rouge se glissa chaque nuit contre lui, le surprenant quelques fois dans son sommeil. Par deux fois, Azur avait failli dégainer son couteau sous le cou du gamin. La décision fut prise. Il fallait un ami à ce gamin avant qu’il ne finisse empaler à la lame du couteau.

Encapuchonné sous une cape pourpre, Azur sortit du château le jour suivant. Il allongea le pas jusqu’à la ville, dissimulant son nez sous une écharpe épaisse. De quoi se préserver du froid hivernal et de l’odeur des herbes « Pusansfin » qui longeaient quelques ruelles. Un parfum nauséabond s’échappait des pétales cendrés. Elestac avait pris un bon nombre de mesure pour éradiquer ce végétal, mais il poussait encore et encore, sans que rien ne le détruise.

Dérangé par les relents d’œuf pourri et de vin fermenté, Azur tourna à gauche dans une artère, certes mal fréquentée, mais où les Pusansfin ne pullulaient pas. D'une démarche déterminée, il borda les façades sombres des bordels et des maisons closes, où quelques jeunes prostitués hélaient de la main les ivrognes qui sortaient des tavernes puantes de sueur et d’alcool.

— Finalement, le Pusansfin n’est pas si infect que ça, marmonna-t-il pour lui-même.

Quel lieu détestable ! Il s’en voulu un instant de ne pas avoir couper dans une rue moins festive d’horreurs et de vulgarité. Le pas preste, il zigzagua entre des dalles bancales, des excréments odorants et quelques corps affalés à même le sol, bouteille de vinasse à la main. Azur fila comme l’éclair et en sortit le poil hérissé. Dans une ruelle plus calme, avec une lumière plus présente, il poursuivit sa route, lorsque trois hommes se jetèrent sur lui. Ils l’encerclèrent, le bloquèrent contre un mur sans qu’il ne puisse soumettre une quelconque résistance (dans l’immédiat). Une enseigne vieillissante et grinçante se balançait au-dessus de leur tête, peu accueillante. Le garçon soupira discrètement sous son écharpe, tandis qu’un des hommes arracha sa capuche et dévoila sa jolie frimousse.

— Tiens ! fit-il à un rouquin, camarade de buveries. J’t’avais dit qu’y avait des beaux p’tits lots par ici. Regard’moi cette beauté.

L’homme, la quarantaine bien tassée, se colla à Azur et découvrit un peu plus son visage. Il sentait l’eau de Cologne, ses ongles étaient propres, ses cheveux châtains bien peignés, et pourtant, tout en lui répugna le jeune otage. Même Elestac ne le dégoûtait pas autant.

Celui en face de lui, plus jeune, blond, mais le regard plein de vices, poussa son camarade et plongea sa main sous la cape d’Azur, à la recherche d’un jupon à soulever. Il l’agita sans douceur sur la cuisse du favori. Son expression se renfrogna, puis il rit.

— En voilà une que papa a bien éduqué, ricana-t-il. Elle porte un pantalon bien sanglé à la taille.

Leurs rires graveleux secouèrent Azur d’un tremblement d’excitation. Enfin, un peu d’action, pensa-t-il. Il resta calme, laissa à son agresseur la chance de retirer son ceinturon. L’homme gaspillait ses efforts. Incapable de la lui enlever, il observa ses collègues impatienter et s’agita de plus belle. D’un geste vif, il asséna un fulgurant coup de poing dans le ventre de sa victime. Un coup qui se heurta à des muscles contractés, aussi dures que de la pierre

Azur se plia à peine, mais offrit au scélérat une ouverture. L’acolyte au regard vicieux, appuya sur ses épaules avec une telle force, qu’Azur se trouva par terre. Bien qu’il tentât de résister, les deux autres le tinrent sous l’ordre du plus jeune. Plus jeune qui déboutonnait déjà son pantalon.

— Allons, ma mignonne, on peut trouver un autre arrangement.

— Si cela peut vous faire plaisir, répondit Azur d’une voix plus grave que celle de son vis-à-vis.

Les hommes échangèrent un regard un brin choqué, toutefois aucun ne se trouva offusqués pour enrayer leur vil projet.

— Eh bien mon joli, s’amusa le plus jeune, tu voudras bien me faire un petit plaisir avant de partir.

Sans attendre, il sortit son membre dressé et la présenta à Azur qui bouillait en son for intérieur. Il détestait être pris pour ce qu’il n’était pas, un moins-que-rien, bon à se soumettre et à gober ce qu’il ne désirait pas. En l’occurrence, ce pénis peu racoleur. Une fois, il s’était plié à ce clavaire. Une fois, il avait été faible. Une fois… C’était ce qu’il préférait se raconter. À douze ans, pouvait-il dire non à celui qui avait volé son titre de chef, et qui avait tenté de le tuer à trois reprises ?

Azur montra ses dents blanches et tranchantes. Il vérifia discrètement les environs. Personne. Juste une ombre qui avait probablement fui en assistant à son supplice. Une ombre qui ne voulait pas de problèmes. Qui en désirait ?

Azur se concentra. Ses doigts se crispèrent. Ses yeux devinrent plus clairs. Les veines de son visage enflèrent. Il éveillait son pouvoir assoupi. Ses iris bleus devinrent blancs. Blanc comme la neige, blanc comme ces moments où il ne voulait pas réfléchir et tuer. Il entrouvrit ses lèvres, inspira puis souffla. Une vague brumeuse et blanchâtre s’échappa de sa bouche. Une vague qui s’intensifia. Une vague qui s’enroula autour du membre durci par l’envie. L'air se refroidit et le membre gela sous le regard incrédule du blondinet.

Un cri résonna. Puis un second. La peur s’immisça entre les trois hommes.

Un hurlement de terreur figea l’atmosphère. La « victime » tomba à la renverse dans un bruissement mat. Sa peau se givra sous les prunelles terrorisées des deux gaillards restant, incapables de faire autre chose que brailler.

Azur claqua des doigts et de sa chevelure sortie un ruban de neige qui étouffa ses agresseurs. Autour de leur gorge, il s’enroula, pareil à un serpent blanc mécontent.

Vivants, ils étaient, morts, ils le seraient… dans peu de temps.

Les minutes s’égrenèrent et les trois corps furent recouverts d’une pellicule cristallisée. La peau rosée, devint bleutée, et les cœurs battant en débandades, s’arrêtèrent pour se fissurer.

— N’avez-vous jamais appris que les plus belles personnes sont les plus redoutables. Ne vous êtes-vous jamais piqués le doigt sur les épines des roses qui longent les trottoirs ou les murs du château ? Moi, plus d’une fois, avoua Azur, sur un ton amusé.

Il laissa échapper de sa bouche un rire démoniaque.

— Voilà qui vous apprendra à garder vos distances avec les jolies filles.

Sans plus attendre, il bouscula les corps gelés, et écouta les masses se briser sur le sol en mille milliards de cristaux.

Satisfait et le sourire aux lèvres, il continua sa route, sans une once de regrets. Ne l’avaient-ils pas bien cherché ?

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