La Mézière - été 1962 à septembre 1965 - 1ère partie

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 La location que Papa et Maman avaient trouvée, était située en bordure de la nationale reliant Rennes à Saint-Malo, au lieu dit Beauséjour en La Mézière. C'était une maison de forme presque carrée, en préfabriqué, avec un toit quatre pans recouvert de tuiles.
Les propriétaires, Marcel et Denise Chausseblanche, l’avaient faite construire, dans le but de la louer, sur une parcelle de 1000 mètres carré près de leur propre habitation. Cette petite maison était composée d’un couloir central peint en rouge, formant un petit L. Sur la gauche, en entrant, il y avait 2 chambres. La première peinte en bleu était celle de mes parents et de Cathy et la deuxième, peinte en jaune était la nôtre, celle de Françoise et moi. Au fond du couloir les toilettes, avec des murs peints en rouge, puis la salle de bain et la cuisine, qui avaient échappé à l’envie de couleur du propriétaire, étaient sobrement restées blanches. En entrant à droite se trouvait la salle de séjour comme nous l‘appelions, peinte en vert.
Cette habitation nous sembla être le grand luxe pour nous qui avions toujours vécu dans de vieilles maisons. Les toilettes de nos précédentes locations étaient au fond du jardin avec du papier de journal fixé à un crochet de couvreur, en guise de papier toilette. Nous n’avions pas de salle de bain mais seulement une grande pièce dans laquelle nous cuisinions, mangions et nous lavions, et une pièce, ou deux, où nous dormions. Papa installa un chauffage fonctionnant au fuel, qui, placé dans le couloir, chauffait toute l’habitation. Au bout de la maison, se trouvait la niche de notre chien Tom, un loulou blanc de Poméranie. Derrière la maison, Papa faisait son potager et maman élevait des lapins. Au fond du terrain, près des clapiers, se trouvait le compost appelé à cette époque «le tas de fumier» car on y mettait aussi bien les crottes de lapins que les déchets ménagers. Devant, Papa avait fait un beau jardin d’agrément, comme il disait, ce qui lui avait permis de mettre en application les connaissances en horticulture acquises au Grand Séminaire. Cette maison leur avait été louée avec un garage, que le propriétaire s’était engagé à construire plus tard. Alors, en attendant, Papa construisit une cabane au fond du jardin qui nous valut les premiers heurts avec M Chauseblanche. Il trouvait que cette construction desservait l'image de sa location.


 Dès notre arrivée à La Mezière, nous avions sympathisé avec M. et Mme Lesfontaines et leurs quatre enfants, Marie-Thérèse, Guy, Jeanine et Pierre. C'est avec ce dernier que j'ai sans doute passé le plus de temps. De deux ans mon aîné, Pierre était un gamin gentil et timide qui avait tendance à bégayer. C‘est avec lui que j’ai appris à jouer aux billes et au «tour de France». Il avait de petits coureurs en plastique de toutes les couleurs que nous faisions avancer sur les routes tracées dans la poussière. Pierre, oubliant alors son bégaiement, commentait une étape où Anquetil et Poulidor se livraient une lutte acharnée pour la victoire du jour. Dans la réalité si notre Poupou national n’avait jamais vraiment mis Anquetil en danger, il nous plaisait de les mettre en compétition lors de nos jeux d’enfants.
Un jour que je jouais avec lui, mon attention fut attirée par le champ qui se trouvait de l’autre côté de la route. Il était couvert de fleurs d’un si beau jaune que je proposai à Pierre de cueillir un bouquet pour nos mamans. Bien sûr nous trouvions que les plus belles étaient celles au milieu du champ et nous voilà partis vers l’objet de notre convoitise foulant allègrement le colza. La voix du fermier courroucée nous remit les pieds sur terre.Il nous demanda:

« Que faites vous dans mon champ ? »

Ce à quoi nous répondîmes tout penauds :

« Ben, on voulait faire un beau bouquet pour nos mamans. »

Il partit d’un grand éclat de rire et nous dit :

« Bon, ben, allez-y, je pense qu’elles vont être très contentes mais prenez les au bord du champ. »

Un peu décontenancés par ce changement d'humeur, nous finîmes de cueillir quelques brins et partîmes pour la maison nos gerbes de fleurs aux mains.
Dans un grand élan de générosité Pierre me dit :

« Tiens, je te donne les miennes, ta maman en aura plus. »

Toute contente j’offris mes fleurs à ma mère qui me dit :

« Mais, ce sont des fleurs de navette ! Laisse-la à la porte, je les donnerai … aux lapins ! »

Je ne compris pas sa réaction, elles étaient pourtant belles ces fleurs mêmes si elles sentaient vraiment très fort.
Malgré les premiers désaccords avec le propriétaire à propos du fameux garage qui devait être construit et ne l’était pas, pas question de déménager à nouveau.

 Quelques semaines plus tard, en septembre 1962 nous fîmes notre rentrée à l’école publique de La Mézière. Pour moi ce fut comme une première rentrée, car je n’avais fait que quelques mois en maternelle à Ercé en Lamé, l'école la plus proche de notre domicile de l'époque et là j’intégrai la classe de CP. Ma maîtresse était une femme d’âge moyen, toujours coquette, qui se déplaçait dans une 4CV vert clair et qui répondait au nom de Mme Brie. L’école était située en hauteur par rapport à la route et nous y accédions par un escalier de pierre. Adossé à la classe unique, le préau faisait toute la longueur du bâtiment. Dans la cour, se trouvaient les toilettes à la turque. Je détestais ces toilettes qui sentaient mauvais, avaient un trou noir dont on ne voyait pas le fond, fort heureusement, dirais-je aujourd’hui, et surtout après un événement qui me resta en mémoire.
Pendant la récréation Marie-Annie Bougerie, une copine d’école, voulut aller aux toilettes mais, en se tournant pour se mettre dans la position adéquate, elle mit le pied dans le trou noir et faillit perdre sa chaussure. La journée passa mais le soir j’avais toujours ça en tête. Alors que nous étions à table, voulant évacuer ma frayeur, je me mis à raconter la chose. Mais quelle idée! C'est alors que Cathy en entendant le mot «pipi», se remémora une anecdote survenue quelques jours plus tôt. De sa petite voix fluette, elle annonça fièrement :

« Hé ben moi, l’autre jour, j’ ai fait pipi dans une boite. »

Consternation de mon père qui lui demanda :

« Comment ça, tu as fait pipi dans une boite? Quand ça ? »

Et Cathy de lui dire :

« Ben oui, l’autre jour, on jouait dehors, Mireille, elle voulait pas que je rentre alors elle m’a dit: « Ho ! Tu m’embêtes, moi je joue à cache-cache, avec Pierre, je peux pas t’accompagner sinon il va me voir, alors t’as qu’ a faire pipi dans cette boite. Tiens ! » Hé ben moi, j’ai fait ! »

Rouge comme une tomate, le nez dans mon assiette, je pensai que c'était chiant d'avoir une petite sœur, car, en plus de causer la nuit, elle mouchardait tout la journée « Mireille a fait ci ou Mireille a dit ça. ».


 Malgré cela, je garde un très bon souvenir de mon année de CP et de ma petite école paisible où j’aimais jouer à la marelle avec mes copines, à l’ombre du grand tilleul. Françoise, quant a elle, passant en CE2, allait à la «grande école» située 100 m plus loin . Elle se composait de deux classes au rez-de-chaussée séparées par un couloir et un escalier. La première était occupée par les CE1 CE2 dans la classe de Madame Burgot, et l’autre par les CM1 CM2 et des élèves plus âgés qui préparaient le certificat d’étude, dans la classe de Monsieur Deffains.

L’ étage de cette école était occupé par les bureaux de la Mairie où Mme Touraine (1) occupait le poste de secrétaire. Chaque classe était équipée d’ un poêle à bois dont les plus grands s’ occupaient à tour de rôle. Dans ce bâtiment se trouvait également le logement de fonction du directeur, le terrible père Deffains. Bien qu’il ne fût pas très à son avantage dans sa blouse grise, car bedonnant et court sur pattes, il maintenait une discipline de fer rien qu’en élevant la voix et n’hésitait pas à infliger des châtiments corporels aux plus récalcitrants.

 En septembre 1963, je passai sans problème en CE1 dans la classe de Madame Burgot et intégrai à mon tour la «grande» école où se côtoyaient les enfants de 7 à 14 ans environ. J'étais un peu perdue parmi tous ces «grands» et observai tout ce qui se passait. Là, un événement m’a profondément marquée.
Le Maire de l’époque, Marcel Lefeuvre, qui exerçait également la profession de vétérinaire, et sa femme, étaient famille d’accueil pour des enfants de l’assistance publique. Ces enfants, qui n’avaient bien souvent rien à se reprocher, étaient pris en grippe par le directeur, et menés à la dure. Lionel Morel était un de ceux-là et le père Deffains ne lui passait rien.

Un jour que ce garçon avait été mis en cause dans une bagarre, à tort ou à raison, le directeur l’attrapa par les cheveux et lui cogna plusieurs fois la tête contre le poteau en bois du préau en l’insultant.

Françoise qui était passée dans la classe des grands, subit, elle aussi, les foudres de ce maître colérique, et se souvient toujours avoir fortement désiré lui planter son porte-plume dans le derrière. Elle garde un très mauvais souvenir de cette époque.
Le soir c’était lui qui assurait l’étude. Un jour, il me fit venir sur l’estrade ainsi que Pierre et me dit :

« Gendrot, regarde tes mains, regarde tes genoux et regarde tes chaussures! »

Je les regardai en silence puis il dit la même chose à Pierre. Ensuite, il me demanda :

« Alors, tu es propre ?

- Ben oui, lui répondis-je.

- Et toi, Lesfontaines ? »

Pierre ne répondit pas. Le père Deffains lui dit alors:

« Tu ferais bien de prendre exemple sur ta camarade, tu as peur de l’eau ou quoi? »

Ce sadique aurait pu mettre à mal notre amitié mis il n’en fut rien. J’avais une peur bleue de cet homme surtout lorsqu’il contrôlait mes devoirs et me faisait réciter mes leçons. Heureusement, ayant de bons résultats scolaires, j‘avais la chance d’être bien vue de lui. Après avoir tout contrôlé, il m’autorisait à choisir un livre dans l’armoire du fond de la classe. Je choisis La chèvre de Monsieur Seguin. Récompense suprême pour moi car nous n’avions aucun livre à la maison, ma mère ne lisant que la revue Intimité et mon père le journal ou le magazine Rustica. Avec le recul, je pense que c'est ce qui me donna le goût de la lecture.
C’est également à cette époque que j’ai découvert la couture ou plutôt la broderie. Certains après-midi, les filles de la classe des grands venaient exercer ces activités avec Madame Burgot tandis que les garçons faisaient du sport. J’appris donc à broder un napperon pour la fête des mères sans grande conviction, car au point de chaînette ou point de tige j’aurais préféré courir dehors avec les garçons.

Les autres matières étaient enseignées en classe entière mais celle que je préférais était la lecture à haute voix. C'est dans ces moments-là que je me projetais dans l’histoire tenant parfois le petit doigt de mon voisin et premier amoureux Rémy Mouchoux.

Cathy, alors âgée de 4 ans progressait doucement. Elle parlait de mieux en mieux, marchait et, ayant passé le seuil fatidique des 3 ans, donnait tort aux prédictions les plus pessimistes du corps médical. La maladie semblait lui laisser un peu de répit. Maman, mère au foyer, partageait son temps entre les travaux ménagers et les visites chez différents médecins pour son suivi. Les seuls moments de loisir qu’elle s’accordait était le midi pour Le jeu des 1000 francs (2) à la radio et le soir pour son feuilleton La famille Duraton (3).

Comme il fallait souvent se déplacer jusqu’à Rennes Maman y allait en car avec Cathy, mais les horaires de rendez vous ne coïncidant pas toujours avec les transports en commun; et elles se retrouvaient parfois coincées pour rentrer. Mes parents décidèrent donc d’acheter une voiture. Après divers emplois, dont la livraison de charbon avec voiture à cheval pour les établissements Métraille, Papa travailla dans une chiffonerie (4) située route de Lorient, et s’y rendait en mobylette Son patron, M. Verron, décida de vendre sa 4CV et, ayant entendu que papa cherchait à acquérir une voiture, la lui proposa. Elle était vert bouteille avec un toit décapotable blanc et des jantes blanches. Après avoir accepté que mes parents la payent à tempéraments (5), la 4CV arriva à la maison pour notre plus grande joie. Ce fût la première voiture d’ une longue série.
Les voisins vinrent voir notre acquisition et la mère Lesfontaines dit :

"J’avais bien vu une voiture passer devant chez nous avec son grignotant (6) allumé, mais je ne vous avais pas reconnu."
A partir de ce moment là tous les dimanches, papa nous emmena en promenade. Dès qu’il faisait beau il nous emmenait à Saint-Malo. A peine arrivés sur la plage du sillon nous enlevions nos vêtements, ne gardant que notre maillot de bain et courrions vers le rivage en criant et chahutant.Ensuite nous enlevions notre maillot mouillé et en culotte et «petite chemise» nous jouions le reste de la journée sur la plage.
Parfois, nous allions à Rennes voir Jean Sauvé, un ami que papa avait rencontré au grand séminaire. Sa famille était très catholique, et chacun des six enfants jouaient de la musique. Lorsque nous y allions, nous avions droit à un mini concert qui faisait la fierté de leurs parents.

Nos autres sorties étaient plus familiales. Papa n’ayant pas de frères et sœurs, était resté très proches des ses cousins, du côté maternel. Nous allions régulièrement voir les Javaudin, surtout l’un d’eux, Roger, qui habitait une ferme au lieu dit Villegast sur la commune de Vern sur Seiche.
Cette voiture nous permettait aussi d’aller à Servon sur Vilaine voir Nénenne Vacher la mère nourrice de papa et cousine de sa mère. Je ne l’aimais pas beaucoup et elle me le rendait bien. J'étais trop verdon (7) à son goût, comme disait papa et, chez elle, nous n’avions pas le droit de bouger.

Elle vivait dans une seule pièce meublée sur le pourtour de deux grandes armoires espacées de quarante centimètres environ, d’une cuisinière à bois près de la cheminée condamnée par une planche de bois et de son lit. Une table et quelques chaises complétaient ce mobilier spartiate qui donnait un air froid et inhospitalier à son habitation. Toutefois une porte au fond de la pièce mettait un peu de piquant et excitait ma curiosité. Avec mon imagination débordante, entretenue par la lecture du Club des cinq (8), je pensais à une cachette de bandits ou à une grotte avec un trésor bien sûr. Jusqu’au jour où, entendant un meuglement papa me dit que cette porte conduisait……à l’étable. C’était nettement moins excitant. Parfois, bravant les interdits, nous jouions à cache cache, la meilleure et unique cachette étant entre les deux armoires. Mais même ce jeu ne durait pas longtemps car, tout de suite, on nous intimait l’ordre de rester sages. Nous faisions également une petite marche qui nous conduisait immanquablement au cimetière. Nénenne nous faisait nous recueillir sur la tombe de son époux et nous disait qu'un jour elle lui rejoindrai. Nous avions un peu de mal à imaginer la chose vu notre jeune âge. De retour à son domicile, venaient les remarques plus ou moins désagréables. N’ayant jamais accepté que Papa divorce et se remarie avec une divorcée, celui-ci se voyait accuser de tous les maux et avait droit à des remontrances à répétition. Nénenne ne manquait pas non plus de le comparer à un de ses cousins, Pierre Allaire, qui, lui, faisait tout bien, n’était pas divorcé et était un bon chrétien. Le climat était toujours tendu, c’est pourquoi je n’aimais pas trop aller à Servon .

1 - Bien des années plus tard ,son fils Jean Louis devint président du conseil général d’Ille-et-Vilaine.

2 - Le jeu des 1000 francs, dans un premier temps appelé «cent mille francs par jour» puis»mille francs par jour» suite à la dévaluation du franc en Août 1969.

3 - Famille Duraton : feuilleton radiophonique diffusé tous les soirs à 19h30 sur radio Luxembourg.

4 - La chiffonerie Verron : à l’emplacement actuel du restaurant la tribune

5 - A tempéraments : en plusieurs fois

6 - Le grignotant: le clignotant

7 - Verdon :remuante, pleine de vie

8 - Dès que j’en avais l’occasion j’empruntais des livres à nos voisins ou à mes copines.

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