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Bien installés sur des fauteuils en tissu au parfum d’une odeur surannée, deux anciens amis se retrouvaient assis, face à face, afin de discuter d’un drame aussi obscur que la nuit noire qui, peu à peu, s’installait telle une invitée que l’on ne pouvait en rien chercher à échapper. Ni voyant plus rien dans le salon, le pasteur alluma un cierge posé sur la table basse qui trônait au milieu des deux convives, offrant au regard de chacun l’image de leurs visages tantôt éclairés, tantôt ombragés, oscillant au gré d’une flamme aussi capricieuse que vacillante.

« Le drame qui a eu lieu dans la petite ville de Sains-en-Gohelle débuta par un texte mystérieux mais qui n’avait rien d’anodin, surenchérit le pasteur avant de lire à voix haute le texte au dos d’un faire-part de décès que Violette observait curieusement, tentant de lire le nom de la personne regrettée :

« As-tu toi aussi traversée cette nuit, où pourchassée par le fantôme de tes cauchemars d’enfants, tu as trouvé refuge chez un autre que toi, un hôte pleurant des larmes de feux et qui n’avait qu’à t’offrir une simple couche sur laquelle il t’a dévorée ».

Il fut signé du nom de Rémi Casalta, pour Éléonore Chapline. Tout le monde connaissait Éléonore à Sains-en-Gohelle. C’était une fille talentueuse à la beauté jalousée et qui fut assassinée il y a vingt ans. Tiens, prends ceci c’est pour toi !

Le pasteur offrit à Violette le faire-part qu’il tenait entre ses mains. Il s’agissait de celui de feu Éléonore Chapline morte dans sa dix-huitième année.

— Éléonore assassinée ?! Dit Violette abasourdie tout en s’enfonçant dans son fauteuil menant un verre de vin rouge à ses lèvres. Je me souviens très bien d’elle, se rappela Violette, nous étions dans la même classe. Tout le monde l’appréciait au lycée. Elle, si douce, si gentille, si intelligente aussi. Elle rêvait de devenir actrice. Je me rappelle qu’elle se battait bec et ongles afin de réaliser son rêve. Rien, ni personne ne pouvait la stopper dans sa folle ascension. Elle aurait tout fait pour concrétiser ce projet si ambitieux de devenir une actrice reconnue. Un rêve que nous partagions à l’époque. Nous avions joué ensemble sur scène pour la clôture de la saison théâtrale de « la comédie de Béthune » si mes souvenirs sont bons.

— Et te rappelles-tu ce que vous jouiez à l’époque ?

— Ce que nous jouions à l’époque ? À dire vrai, je ne m'en rappelle plus.

— Moi, pour vous avoir vu jouer ensemble, je m'en souviens très bien. Il s'agissait de "Le précepteur" de Brecht. Tu avais le rôle de « Lise » et Éléonore celui de « Gustine ». Vous aviez un réel talent toutes les deux. Toi, tu as fait tes preuves depuis, tu es devenue une actrice célèbre. Quant à Éléonore, elle n'aurait pas démérité d'être aussi célèbre que toi.

— Ah, oui ! Je m’en souviens maintenant.

— Vraiment?

— Oui. Pendant un instant, j'avais oublié cette épisode de ma vie. C'est étrange, non?

— Oui, même bizarre.

— Toujours est-il que c'est tout à fait vrai ce que vous dites, Éléonore était très talentueuse. Je n’étais pas avertie de sa mort. Je devais avoir seize ans lorsque j’ai quitté la France pour Londres afin de poursuivre mes études en tant qu’actrice.

— Alors personne avant moi ne t’avait mise au courant ?

— Non. Comme je vous l’ai dit en confession, je reviens tout juste de Londres. Et quand est-ce arrivé ?

— Après que tu sois partie vivre en Angleterre. Des frères jumeaux du nom de Maniota qui venaient d’emménager à Sains-en-Gohelle ont tué Éléonore. Désolé Violette, je sais que vous étiez très proches étant gamines.

— Éléonore morte. Elle qui était si brillante…

— …et si belle. C’est ce qui l’a tué, du reste. Elle avait un physique trop parfait.

— Un physique trop parfait, dites-vous ? C’est vrai qu’elle était magnifique mais en quoi son physique « trop parfait » à a voir avec son assassinat ?

— N’en as-tu pas la moindre idée ?

— Non, pas la moindre.

— Pourtant, Violette, tu devrais.

— Encore une fois, vous aiguisez toute ma curiosité. Pourquoi tant de mystères, mon père ?

— As-tu entendu tous ces gens qui ont manifesté tout à l’heure ?

— Entendu ? Oui, évidemment.

— Eux, ils savent pourquoi tout ce mystère.

— Où voulez-vous en venir ?

— Ils avaient l’air de manifester pourquoi à ton avis ?

— Je ne sais pas. Je pensais que vous alliez me le dire.

— Les frères Maniota, ils vont être remis en liberté.

— Alors, toute cette agitation…

— Eh oui, il n’y a guère d’agitation sans un brin de révolte. La nouvelle leur est tombée ce matin même en lisant « La voix du Nord ». Ça réveille de mauvais souvenirs, vois-tu ? Ils ont réveillé la bête. Une bête à deux têtes et intelligente de surcroît.

— Ils ?

— Les maîtres du monde. Les mêmes qui se laissent aller à conspirer contre la toute-puissance de DIEU. C’est à eux que l’on doit cette libération et à nulle autre personne.

— De qui parlez-vous ? Il n’y a point de maître du monde sur Terre.

— Oh que si ! Je ne te pensais pas si naïve. Les maîtres du monde sont partout. Même dans nos villages. As-tu déjà entendu parler des Illuminati ?

Violette secoua la tête.

— Il s’agit d’une société secrète. On dit d’eux qu’ils sont l’élite dans l’élite. Des hommes et des femmes de pouvoir extrêmement riches. Et sais-tu ce qui plait aux maîtres ?

— Non.

— Qu’on leur offre nos services. Quels qu’ils soient, vois-tu ? Mais ce qu’ils aiment par-dessus tout c’est qu’on les divertisse, tel un esclave qui sert son maître en combattant dans l’arène afin d’amuser la galerie. Ce fut le cas des gladiateurs dans la Rome antique de Spartacus. Mais de nos jours, en quoi peut-on les divertir, Violette ? Que serais-tu prête à donner de ta personne ?

— Je ne vois pas.

— C’est que tu es aveugle, alors ?

— Dites-moi.

— Ta beauté !

— Ma beauté ?

Le pasteur se redressa de son fauteuil, s’approcha de Violette et la regarda intensément balayant son regard sur le corps de la jeune femme, puis posa ses yeux fixement dans les siens :

— Ne t’ont-ils jamais dit que tu avais un physique trop parfait, toi aussi ?

— Qui ça ?

— Les frères Maniota.

— Mais…qu’est-ce que vous me racontez là, mon père ?

— Ne joue pas l'imbécile avec moi Violette, je sais tout. Je sais que tu les connais.

Violette blêmit. Déglutit. Se mit à tousser fortement. Pour enfin porter sa main à sa bouche s’empêchant de vomir par terre.

— Un verre d’eau, peut-être ? L’alcool, ça monte vite à la tête et pour certaines personnes donne des haut-le-cœur. Tu es sûr que tout va bien, tu ne serais pas mieux à Londres ?

— Ok, jouons carte sur table. Qu’est-ce que vous savez sur moi et des frères Maniota ?

— Vous avez tués Éléonore ! Vous l’avez assassinés.

— Oh là ! Oh là ! Vous allez un peu vite en besogne. Je n’ai tué personne, moi.

— C’est fou comme un « Brainwaching » peut vous plonger dans le noir au point d’en oublier un meurtre.

— Un quoi ?

— Un lavage de cerveau, Violette, s’étonna le pasteur. Tu vas me faire croire que tu ne sais plus parler Anglais aussi !

— Je n’ai subi aucun lavage de cerveau. Qu’est-ce que vous êtes en train de me jouer comme comédie, mon père ? Cessons ce petit jeu et dites-moi ce que vous savez ?

— Je sais beaucoup de choses sur toi, Violette. Toi qui te faisais passer pour l’amie fidèle d’Éléonore. Toi qui a su gagner toute son amitié sur les derniers jours qui ont précédés sa mort. En confession, on m’a confié des tas de petits secrets sur toi, Éléonore et les frères Maniota.

— Des secrets ? Quels secrets ? Et qui vous a dit ces soi-disant secrets ?

— Minute papillon. DIEU et moi, seuls, savons tout de ces petits secrets.

— Je ne vous comprends plus, Albert.

— Ça tombe bien, je vais t’éclairer tous les dessous de l’histoire. Mais comme on t’a fait un Brainwaching, laisse-moi te raconter toute cette histoire dont tu tiens le rôle principal. Revenons quelques années en arrière, veux-tu ? En 1998, à « la comédie de Béthune », là où débute notre drame. Te rappelles-tu d’un certain Rémi Casalta ? Non, évidemment que non. Où ai-je la tête ? Rémi se trouvait dans la même troupe de théâtre que toi et qu’Éléonore. Il jouait Laüffer, le précepteur. Rémi était très amoureux d’Éléonore. Il était carrément sous son charme. Mais deux autres étaient sous le charme de la belle Éléonore, à savoir, les frères Maniota. Jack et Arnold, des jumeaux, qui jouait respectivement, le major Von Berg et le conseiller privé Von Berg. Tiens, deux frères, eux aussi. Bref, à eux deux ils avaient 120 ans. Tu peux facilement entrevoir le grand écart d’âge avec la jeune Éléonore ainsi que le regard un tantinet pervers de ces deux proxénètes. Car il s’agit bien d’une affaire de proxénétisme que tout ça. Ces salauds n’étaient autres que des disciples d’une autre grande figure de cette affaire, à savoir la metteur en scène de tout se foutoir: Chloé Osklapenko. Metteur en scène devenu depuis très célèbre que tu connais bien pour la simple raison que tu l’as suivi à Londres afin de devenir une actrice reconnue. Une personne très influente auprès duquel tu t’es prostituée.

— Prostituée, dîtes-vous ? Ce sont des accusations graves que vous me portez. Vous rendez-vous bien compte de ce que vous avancez.

— J’en ai toute conscience puisque tout ce que je dis là n’est rien d’autre que la vérité. Violette ?

— Oui.

— Tu es une pute!

— Mais, comment pouvez-vous oser me parler ainsi ? Quelle insolence dans vos propos. Moi qui depuis le catéchisme vais à confesse tous les Dimanches. Moi qui ait été une enfant de « Marie » sous votre bienveillance. Avez-vous oublié à qui vous vous adressez ?

— Je m’adresse à une pute !

— Vous êtes devenu fou ma parole ! Personne, je dis bien personne, ne m’a jamais parlé sur ce ton ! Je ne peux pas vous laisser me dire tous ces mensonges éhontés. Bafouer ainsi ma réputation. Vous salissez mon nom, mon honneur, ma carrière. Que dis-je mon immense carrière d’actrice. N’oubliez pas que j’ai obtenu pas moins de…

— Deux Goldens Globes et un César. Je sais Violette, tu es une des plus grandes Star de cinéma en vie sur cette terre. Moi aussi, il m’arrive de lire les magazines people.

— Alors, vous devriez savoir que tout ce que j’ai fait dans ma vie d’actrice, je l’ai fait pour honorer cette même carrière et non pour la salir. Je l’ai chevillée au corps. Si je suis devenue ce que je suis à ce jour c’est grâce à mon talent et à mon travail que j’ai fournie, années après années. Et non pas…Oui, sûrement pas en faisant la putain ! Je me vois dans l’obligation de vous quitter, mon père. Adieu !

— Nous nous reverrons, Violette ! On n’échappe pas si facilement à son passé. Il est encore temps de te confesser auprès de Dieu si tu ne veux pas finir comme Éléonore ! Souviens-toi de ce que disait Rémi Casalta : « As-tu toi aussi traversé cette nuit, où pourchassée par le fantôme de tes cauchemars d’enfants, tu as trouvé refuge chez un autre que toi, un hôte pleurant des larmes de feux et qui n’avait qu’à t’offrir une simple couche sur laquelle il t’a dévorée ? » Oui ! Dévorée !

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