5

6 minutes de lecture

Un resto trois fourchettes au guide Duchemin ? Le grand Gibus, vous connaissois ? Bordé par un vilain cours d’eau sinueux et moribond la majeure partie du temps, la faute au réchauffement climatique si cher aux écolos, aux moteurs thermiques polluants, au consumérisme débridé de notre société coupable de tout. La sacro-sainte faute judéo-chrétienne. Il faut expier mon frérot, il faut expier. Perso, j’expie pas, j’ai rien fait ! Je suis une victime ! Immigré clandestin en Belgique !

Nous étions dans un paysage bucolique à souhait. Le loufiat dû mettre un cierge en voyant débarquer des clients en cette période de récession majeure. Le parking était vide.

Je dédaignai tous les poissonets et fruits de la mer… Beurk, ce n’est point la nourriture d’un carnassier. Ne trouvant point mon bonheur, je commandai la dinde truffée aux ceps avec sa garniture de… Vous vous en fichez ? Moi aussi, c’est Caro qui paye de toute façon. Oui, le petit nom de la patronne c’est Caroline. Elle me fit un numéro qui me laissa pantois. Je ne sais pas pourquoi les femmes me font ce cinéma de temps en temps, parce que je n’avais rien fait pour, tout au contraire. Je la regardai simplement, sans la moindre concupiscence, la trouvant trop vieille de toute façon et pas assez savoureuse pour mes besoins. Avec une voix susurrée au sommet du suave, elle me demanda :

— Vous aimez les femmes, Lorenzo ?

— Il fut un temps. J’en suis revenu. Dieu m’en préserve.

— Vraiment ? C’est… Que… Pourquoi ?

— Leur duplicité, leur inconstance, leur frivolité, leur… En un mot comme en mille, elles m’agacent. De toute façon, faire compliment à une femme c’est passible de prison à notre époque, il faudrait être fou pour s’intéresser aux sexe dit faible. Paraphrasant Dante, je dirais : « vous qui songez aux femmes, perdez toute illusion »

Elle ouvrit de grands yeux, ne sachant décider si je plaisantais ou si j’étais complètement con.

— Vous devez être bien malheureux mon pauvre. Sûrement une femme vous a fait souffrir…

— Si vous saviez ce que les femmes m’ont fait… Je pourrai en parler jusqu’à demain sans reprendre mon souffle. Mais ne devrions-nous pas, causer de…

— Nous avons tout le temps… Parlez-moi de vous…

— Le vin monsieur ? intervint impromptu un pingouin.

— Beaujolais nouveau pour madame, eau San Pellegrino pour moi.

Caro eut un sourire et approuva. Bêtement j’avais commandé pour elle, comme le dernier des machos, ce que je ne suis absolument pas, enfin plus, j'ai changé ! Je suis simplement impétueux et… pressé. La vie ne vas pas assez vite pour moi, c’est tout.

— Vous ne buvez pas d’alcool ?

— Jamais.

— Pourquoi ?

— Ma religion me l’interdit.

— Musulman ?

— J’aurais bien voulu, mais on n’a pas voulu de moi. Simplement, anti-con.

— Ah… Voilà qui est de plus en plus surprenant. Et pourquoi l’eau minérale italienne ?

— Cette eau me fait gagner 10 points ELO aux échecs.

— Lorenzo… fit-elle, plongeant son regard dans le mien.

— Oui ?

— Vous êtes cinglé ?

— Comme tout homme sensé, dans notre siècle.

Pourquoi cette femme, qui ne devait point manquer d’hommes dans sa vie, bien faite, riche, élégante, cultivée, suffisamment blonde, bonnet B, se serait-elle intéressée à un Lorenzo, un obscur consultant ? Un plan cul à consommer vite fait ?

C’est à croire que j’ai un truc marqué sur mon front, genre queue avenante dispo H24 ? Ou, baiseur pro ne posant aucune question, toujours d’accord ? Ou je bande sans problème, viens ici, ma poule que je te montre le loup ?

Le problème érectile est un fléau de santé publique en France, semble-t-il. Une mutation nouvelle du chromosome Y ? La faute aux oestro-progestatifs.

Tandis que je tentai de la mettre au courant des failles de sécurité gigantesques de son système informatique de vente à distance, je sentis un pied fureteur explorer mon entre-jambe. J’avais eu une expérience similaire avec une femme à qui j’expliquai un truc de chimie quantique à la fac. Des fois tu crois que pour emballer une meuf, il faut lui servir le compliment et les niaiseries convenues. Non, cousin, fais-lui un cours sur la relativité générale ! Ne cherche pas à discuter avec une elles. C’est pas possible, la logique n’a pas cours, c’est du domaine de l’aléatoire complet.

Qu’avons-nous fait, après ? Rien évidemment ! C’est une allumeuse et il y a longtemps que je ne tombe plus dans ce piège grossier où tu te prends un râteau qui te fais mal aux burnes et te ruine le mental. Je fis le parfait indifférent et raccompagnais la patronne en servile consultant. Elle était un peu dépitée.

Une ambiance de mort régnait dans les locaux de l’entreprise. Des visages fermés, des gens affairés. On bossait ! On n’avait jamais tant travaillé dans cette boite depuis… toujours. C’était surréaliste, comme un pays communiste qui se mettrait soudain au boulot. On m’observait et des regards noirs me suivait tandis que je me rendais à mon bureau. Je trouvai la Delphine plongée dans son écran, en proie a une intense et très inhabituelle réflexion. Par-dessus tout, elle était silencieuse !

Avec tout ça, je n’avais pas pu parler du hacker à la boss. Que faire ? Prendre mes affaires et me tirer ma mission étant terminée ?

Un appel me fit sursauter.

— Lorenzo, tu réponds pas ? fit Delphine.

— Si, si… Laisse sonner…

— C’est malpoli.

— Tu crois ?

— Mais oui ! C’est le savoir vivre. Tu es un… un…

— Cherche pas, tu vas te faire une hernie cérébrale.

— Sérieux ? Tu te fiches encore de moi, c’est ça ? T’es méchant, en fait !

— Mais nan… T’oublies que je suis Belge.

— Pfff !

Je décrochai, c’était la patronne.

— Monsieur Lorenzo, j’y pense, et votre "enquête" , ça avance ?

— Bah… J’avais espéré vous en toucher deux mots au déjeuner mais… Vous aviez des impatiences pédestres. Je vous envoie un rapport complet par mail et je me tire. Vous ferez un virement pour mes honoraires…

— Non, non… Je souhaite que vous poursuiviez votre mission. Depuis que vous êtes là, le service informatique tourne enfin correctement. Je paierai !

— Non, mais… Attendez...

— Nous en reparlerons, voulez-vous. Et surtout, de la discrétion. Ne faites rien, n’en parlez à personne. C’est mon affaire.

— Mais…

Elle avait raccroché. Cette femme commençait à me gonfler sévèrement. J’aurais dû la baiser dans sa Mercedes comme une salope. Voilà ce que j’aurais dû faire. Oui, la baiser salement, la secouer, lui faire sauter le disjoncteur, la mettre en mode erreur système, en court-circuit. Quand on s’amuse avec mon sgeg, on en paye le prix.

— Dis Lorenzo ? s’enquit Delphine, me sortant de ma frustration.

— Quoi ?

— On va avoir des ennuis ? On va être virés ?

— Bah quand on vole… T’es une délinquante, ma Delphine.

— J’ai des palpitations à cause de toute cette histoire ! Je vais rembourser tout… Ça va me prendre un peu de temps, je suis fauchée, mais… Mon Dieu ! J’ai honte, si tu savais… C’est la faute à Anaïs, aussi.

Sur ce, l’Anaïs apparut dans l’encadrement de la porte.

— Tu nous a pas balancés ?

— Non.

Delphine, poussa un soupir de soulagement.

— Tu vois Anaïs, je t’avais dit que c’était pas une racaille, Lorenzo. Il est cool.

— Pourquoi t’as rien dit ? demanda Anaïs, toujours méfiante.

— Je me pose encore la question.

— Ce mec, on n’arrive pas à le cerner, s’impatienta la blondinette. T’es bizarre Lorenzo !

— Ouais, t’es trop bizarre, mais on t’aime bien, approuva Delphine.

— Qu’est-ce qui va se passer ?

— Pas mon problème, fis-je.

— Tu veux quoi, Lorenzo ? Tu veux nous faire chanter ? On est fauchées ! Tu veux nous sauter ?

— Moi, vous sauter ? Tu délires ma pauvre fille ! Tu m’as bien regardé ?

— On n’est pas assez bien pour toi ? Il te faut de la vieille riche, c’est ça ? s’emporta Anaïs. Monsieur se fait la patronne...

Je me levai de mon fauteuil.

— Dis Lorenzo ? fit Delphine.

— Mais quoi ?

— Tu viens avec nous ce soir ? On va dans un bar à vin.

— Je ne bois pas d’alcool !

— Mais ce mec est trop bizarre ! se lamenta Anaïs, totalement consternée.

— C’est pas possible… laissa tomber Delphine, me regardant comme si j’étais un martien. Mais du bon vin, c’est pas pareil !

— C’est alcoolisé !

— Mais non, si peu que ça compte pas.

— Trop pour moi.

Les filles se regardèrent, totalement interloquées.

— C’est fini, oui ? fis-je, m’énervant un tantinet.

— Lorenzo, t’es un grand malade, comme mec, c’est pour ça que t’es bizarre, conclut Anaïs.

— Ouais, approuva Delphine. Mais d’un autre côté, c’est mieux. Tu nous ramèneras.

— J’ai pas dit que je viens.

— Allez quoi, soit sympa.

— Nan !

— Dis, Lorenzo…

Encore un « dis, Lorenzo » et je la passai par la fenêtre la Delphine. Elle ajouta tout sourire :

— Bah tu mangeras une saucisse. Il y a un buffet.

— J’ai une gueule à…

J’ai dit que c’était peine perdue de discuter avec une fille. Alors avec deux, imagine, frérot.

Le monde du travail est impitoyable et abrutissant. Je n’aime pas le travail, mais les Français l’aiment encore moins que moi, c’est dire. Le jour où tu vois un Français bosser… c’est que t’es dans le coma ou que tu as abusé de la fumette frérot.

Tu veux la suite ?

Bzzz ! Pause café.

Annotations

Vous aimez lire docno ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0