2

10 minutes de lecture

Ce week-end, en rentrant à Moulinsart en Belgique, of course, ma résidence actuelle, dans cette bourgade pittoresque et huppée, pleine de réfugiés fiscaux Français, j’étais d’humeur joviale. Point pour longtemps. Ma compagne actuelle, la femme qui fait les courses quoi, Liliane, quadra bien sonnée, botoxée et abuseuse de soins esthétiques, ancienne belle femme salope comme il se doit, car les beautés ne peuvent aimer qu’elles, divorcée trois fois, vivant confortablement de ses pensions alimentaires et de la spoliation légale de ses ex, me fit un accueil glacial.

— Lorenzo, tu es convoqué à la Politie ! Qu’as-tu encore fait ?

— C’est pas moi, j’ai rien fait, madame le juge !

— Je ne suis pas d’humeur à supporter tes sarcasmes ! Je suis à deux doigts d’exploser !

— Sérieux ?

— Oui ! fit-elle, piétinant le sol en marbre d’exaspération.

— Mais quoi ? C’est comme ça que tu m’accueilles après une semaine ? T’es gracieuse, toi !

— Justement, on ne se voit plus ! On ne se parle plus… On ne baise plus… Je suis sûre que tu te tapes toutes les salopes que tu croises ! J’en ai marre !

Je ne suis pas marié pour ça : éviter d’avoir à supporter les conneries des femmes. J’eus une prise de conscience brutale. Il fallait se tirailleur à la première occasion. De toute façon, avec Liliane, j’avais une date de péremption, comme tous les mecs. Je commençai à sentir le faisandé. Ce genre de femme est incapable de se fixer, toujours s’imaginant qu’elle va trouver mieux ailleurs. Bonne chance, chérie !

Liliane m’observait avec son visage inexpressif, le visage des femmes est plus un masque qu’autre chose, ses muscles faciaux paralysés par la toxine botulique. Mais ses yeux en disaient long. Je ne pus m’empêcher de remarquer les plis d’amertume qui persistaient malgré tout les efforts du Doc, ainsi que les rides de la patte d’oie. Tout ça pour ça… Oui, il faut toujours que je voie tout. C’est comme ça.

— Tu ne réponds rien ? fit-elle, agacée.

— Bah, c’est rude. Je suis choqué, là.

— Te fous pas de moi, salaud !

— Moi ?

— Est-ce que tu es capable d’aimer quelqu’un ?

Cette question me cingla. D’abord, c’était une question rhétorique avec, en plus un sous-entendu grossier. Formulée plus clairement, c’était : es-tu capable de m’aimer ?

Aimer quelqu’un ? C’est une gageure dans laquelle il est inutile de se lancer. C’est perdant-perdant. Aimer c’est désirer, désirer c’est vouloir ce que l’on a pas. Ce que l’on a pas c’est le manque, le manque c’est la souffrance. Donc, aimer c’est souffrir. C’est pas de moi c’est de Platon. Je vous passe les salades qu’a raconté Schopenhauer sur le sujet parce qu’alors, plus personne ne va suivre, mais vous trouverez bien la ref’ dans une vidéo YT. À vos phones.

Personnellement, je me moque de ces manipulateurs de mots qui font dire que le beau c’est le laid ou que le vrai c’est le faux. Je ne me fie qu’à mon bon sens. Aimer quelqu’un ? C’est une folie. Les gens sont fatalement décevants. Imaginez-les sur le pot… Consternant. Non, moi, j’aime la baise, c’est bon et ça me fait du bien. Ça j’aime. L’argent ? C’est trop bon pour ma santé mentale et physique. J’aime trop ! Les voitures avec gros moteur qui pollue sa race et qui foncent ? J’adore !

Or donc, je suis capable d’aimer. Mais je n’ai pas dit que je vais devenir con, je laisse ça aux Français, ils sont champions du monde.

Tout à ma réflexion, je m’aperçus que Liliane attendait une réponse à sa question rhétorique qui n’en attendait aucune. Ce qui aggrava ma perplexité, mais avec les femmes, il ne faut s’étonner de rien, elles ne sont jamais à une absurdité près.

Que lui dire ? Nada. N’essaye pas de discuter avec une femme, tu perds ton temps cousin.

J’ai chopé Liliane et l’ai porté comme un sac de patate, toute protestante de mes manières de sauvage. Jetée sur le lit sans ménagement, j’entrepris de lui travailler l’oignon avec application.

Oui, je suis comme ça, je me laisse aller à des moments de faiblesse sentimentales. Il y a un petit cœur qui bat dans ma poitrine ! Je suis une personne sensible. Tout à ma tâche, j’entendais à peine les protestations de Liliane :

— Lorenzo, je te défends… Oh mon Dieu ! C’est trop là ! C’est trop ! Espèce de brute ! Monstre ! Je vais faire un malaise vagal !

Pourtant, quand je laissai un peu refroidir son minou :

— Prends-moi, racaille ! Voyou ! Vicieux !

— Moi, voyou ?

— Oui ! Tu m’aimes ?

— Mais oui !

— Menteur !

— Ta gueule, on ne s’entend plus baiser !

— Lorenzo, je te préviens ! Je t’aurais prévenu ! Ah !

Je laissai Liliane en vrac, le regard hagard, le nichons tombants, le souffle court, le brushing ruiné. Il fallait lui changer les piles. J’allai prendre une douche avec mon gel douche Axe Sgegman, senteur sauge et santal. J’avais envie de me branler un brun, les vieilles ne m’apportent pas suffisamment de sensations, c’est la misère, mais y renonçai. Je devais aller à la Politie.

J’y fus. On me dirigea dans un petit bureau propret et je sursautai en voyant un type adipeux, dégarni, petites lunettes cerclées de noir, tout vilain quoi, qui me toisait méchamment.

— Monsieur Lorenzo Bueno, votre demande de citoyenneté Belge est rejetée ! Vous êtes présentement, un immigré clandestin ! Vous devez retourner en France sous peine de reconduite à la frontière !

Je chancelai sous la force du coup, cueilli à froid, terrassé par l’injustice. Pourquoi ? Retourner en France ce pays pourri ? Moi plus Belge qu’un Belge ?

— Mais nan… balbutiai-je.

— Mais si !

— Elle est pas là madame Brigitte ? C’est elle qui s’occupe de mon dossier, elle a dit que c’était tout bon, que j’étais Belge !

— Madame... Brigitte a été mutée. C’est moi qui reprends ses dossiers.

— Mutée ? Mais nan… C’est pas possible… C’est trop là !

— Elle a commis des… fautes !

— Hein ? Elle est où ? Faut que je la voie…

— Monsieur Bueno ! Ne cherchez pas à revoir… Madame Lefut ! Et cessez de l’appeler Brigitte !

— Nan, c’est qu’on s’entendait bien… On était quasi des amis, vous voyez... Copains quoi.

Le type était devenu tout cramoisi, ses yeux lançaient des éclairs.

— Monsieur Bueno, je vous hais !

— Sérieux ? Vous êtes un raciste anti-français, c’est ça ? Ça se plaide !

— Vous avez trombiné ma femme, espèce de salopard ! Ça aussi ça se plaide ?

— Moi ? Mais nan ! C’est pas possible ! Je la connais pas ta femme !

— Monsieur Bueno, pas de familiarité ! Je sais tout, elle me l’a bien fait comprendre, la salope, elle ne m’a rien épargné en me quittant. Elle a « découvert sa sexualité » avec vous… Tu parles ! Elle a abandonné sa famille par votre faute.

— Mais de quoi tu me parles ? Qu’est-ce que c’est que ce délire ?

— Je suis monsieur Lefut !

— Nan… fis-je, terrassé, abasourdi, détruit.

La Brigitte Lefut était la femme de ce type, de ce médiocre bureaucrate, ce falot bonhomme à la sexualité d’une agrafeuse… Évidement que travaillée au corps… secouée comme une bouteille d’Orangina, ça lui avait remonté la pulpe du fond, à la pauvre ménagère. Le retour à la vie d’avant n’était plus possible.

Et il fallait que le cocu me tombe sur le râble. On a beau dire mais quand la chance n’est pas là, rien ne peut se faire. J’étais grave dans les pires ennuis en tant qu’immigré clandestin.

Pour faire avancer un peu mon dossier d’immigration, j’avais fait du gringue à la Brigitte, une femme sensible et gentille, mal baisée et frustrée comme toutes les ménagères de moins de cinquante ans. Mais j’étais resté très soft et poli. L’avais-je trombinée ? À peine ! Une brouette Espagnole, quelques espiègleries sans conséquence… Qui attache de l’importance à des trucs aussi insignifiants qu’un coït furtif ? Qui ? Une femme… I know… I know.

J’ai payé pour le savoir. Mais je dois suivre mon destin et baiser au moins mille et tre comme Don Giovanni ! Le problème c’est qu’une partie de ma vie, je n’ai pas compté, aussi je ne sais pas où j’en suis réellement. Enfin, le compte n’y est pas. J’en suis certain.

— Vous avez quarante-huit heures pour quitter le territoire Belge ! reprit le vindicatif cocu.

— Hein ? Mais aller où ? Vous n’avez pas le droit ! C’est… illégal !

— En France. Vous êtes Français, parbleu !

— Non ! Pitié… Réfugié politique ! Asile ! Asile ! m’écriai-je.

— Monsieur Bueno ! La France n’est pas en guerre. Il n’y a pas de réfugiés politiques Français ! Votre vie n’est pas menacée dans votre pays. Retournez chez vous.

— Nan. J’en crèverai ! Je suis Belge ! Je suis plus Belge que les Belges !

— Qu’est-ce que vous me racontez-la ?

— La connerie Française ! Ça me tuera. Pitié, pas ça… J’en appelle à votre humanité. Vous les Belges, vous pouvez comprendre ça. Ils sont trop cons…

L’homme dodelina du chef, m’observant avec attention, forcé de convenir de la pertinence de mon argument, universellement reconnu, mais toujours froid comme un glaçon.

— On pourrait en discuter devant une bonne Leffe, une frite et une moule, tentai-je, avec un sourire timide, limite tarlouzesque.

— Tentative de subornation ? Vous aggravez votre cas…

— Moi, je suborne ? Non, j’évite d’appeler mon avocat maître Fitoussi…

— Cette racaille véreuse, ce serpent sournois… persifla le fonctionnaire dégoûté.

— Il gagne tout… Surtout quand je lui aurais fait entendre cette discussion que j’enregistre… Vous êtes personnellement impliqué. Ça fait tache. Quand on saura… Votre femme trombinée comme une salope, en redemandant...

— Comment ? Que dites-vous ? Taisez-vous ! Cessez ! Des menaces, maintenant ? Vous êtes une ordure !

— Moi je menace ? Nan… j’avertis… Je fais tout pour éviter les paperasses, les complications, les dommages collatéraux. Allons, je suis sûr que vous êtes un type très sympathique en fait, comme tous les Belges. J’aime beaucoup les Belges. Il y a un simple malentendu que je me fais fort de régler…

— Vous pouvez faire revenir ma femme ?

— Nan… Je peux faire beaucoup, mais là ce serait… de la magie genre Harry Potter. En réalité, je peux faire mieux.

— Hein ? Mais qu’est-ce que vous…

— Viens frérot, je connais une bonne auberge… On pourra causer, entre Belges.

— Mais ma femme ? Je veux ma femme !

— Oublie-la… Le monde est plein de meufs sexy qui n’attendent que toi. Pense à la jeunette qui ne demande qu’à te sucer la queue.

— Mais…

— Pense jeune. Sois jeune. Oublie les vieilles, toujours insatisfaites, blasées, tout le temps à se plaindre, malades, en permanence chez le Doc. Oublie ! Un monde nouveau t’attends !

— Comment… Est-ce possible ? Est-ce faisable ?

— Je t’explique tout, frérot. Alors ?

— Une femme de moins de quarante ans ?

— Moins de vingt-cinq. Vois grand. Élargis tes horizons. Bon, je ne dis pas qu’il n’y aura pas du boulot, tu n’as pas un physique facile… Mais la conjoncture est favorable. Le monde manque de vrais mecs depuis qu’on fait croire aux petits garçons qu’être une fille c’est mieux. L’inversion des valeurs fait des ravages. À propos, tu gagnes bien ?

— Enfin… Je vais avoir de l’avancement dans deux ans ! Ça compte ?

— Tu vois. C’est dans la poche, frérot.

Nous allâmes à l’auberge des Compères. Mon nouvel ami bu beaucoup de Leffe et je le laissai vider son sac tout en picorant une frite. Sa vie de merde était vraiment lamentable, comme c’est le cas de la plupart des mecs mariés. La condition de l’homme est vraiment désastreuse. Quant à celle de la femme ? On s’en tape, non ? Elles passent leur temps à se plaindre, n’en rajoutons pas. Sérieux ! J’eus pitié.

Non, je ne suis pas un prédateur, j’ai des instincts de prédation, mais je me contrôle. L’histoire ne retient que les vainqueurs. Le reste n’est que balivernes.

En rentrant chez Liliane, je méditai un plan. J’étais un immigré clandestin, un sale Français comme on dit en Belgique. Ne cherche pas à aller contre le destin, tu t’y casseras les dents. C’était un signe.

J’allai directement faire mon sac, emportant les quelques affaires que je possède. Toujours être près à partir en moins de trois minutes, c’est la règle.

Liliane se jeta sur moi, les pupilles dilatées. C’est fou ce qu’une bonne baise transforme une femme. Elle était presque belle à présent.

— Lorenzo, qu’est-ce que tu fais ?

— Je me barre… C’est fini.

— Hein ? Quoi ? Tu me dis quoi ?

— Finito le Lorenzo. Tcha-o !

— Tu n’as pas le droit ! Je t’aime ! Nous deux c’est trop fort.

— Sérieux ?

— Mais oui ! Je sais que tu ne m’aimes que pour mon fric, mais je m’en fiche !

— T’en trouveras un autre, un mieux.

Elle s’agrippa. Je déteste quand elles font ça. La vie est impitoyable, la faiblesse impardonnable, c’est une paraphrase de Staline.

— Mais putain, je suis un immigré clandestin, sous le coup d’un arrêté de reconduite à la frontière !

— Mais bordel, qu’est-ce que tu as foutu ? C’était arrangé avec madame Lefut ! Je lui avais donné l’enveloppe !

La boulette. Et dire que j’avais trombiné la meuf pour rien. Excès de zèle, il faut toujours que j’en fasse trop. Pouvais-je dire à Liliane que je m’étais tapé la Brigitte ?

— J’appelle mon avocat, maître Siphon, fit Liliane déjà sur son tel’. Ça ne se passera pas comme ça, ça va s’arranger… Mon amour.

C’est à croire que plus le mec est ignoble, plus on l’aime. J’eus une érection que Liliane ne laissa pas passer.

Baise tout ce que tu peux. On ne sait pas de quoi demain sera fait, surtout quand tu es clandé.


Bzzzz !

Annotations

Vous aimez lire docno ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0