Superbe représentation, Messieurs.

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Et j'avais accepté. Par moments, je me demande pourquoi je réfléchis si ma stupidité parle avant. Enfin bref. Me voici dans une forêt interminable loin de toute civilisation avec mon coloc Alessio et nos cinq amis tout juste équipés de nos portables. La seule source de lumière. Je sens que je vais regretter d'être venu. Surtout après ce qu'ils m'ont fait il y a quelques mois. Après mûre réflexion, oui, je devrais faire demi-tour. Bon, mes chers camarades, c'était sympa de vous accompagner jusqu'à l'entrée de la forêt mais là j'ai une casserole sur le feu et... Oui, bon, d'accord je suis un peureux, voilà vous êtes contents ? Non ? Moi non plus. Ouais je suis pas serein, comme d'habitude vous me direz mais j'ai des bonnes raisons.

"Dites, ça fait au moins une heure qu'on marche dans le noir, on arrive quand ?

- Commence pas à te plaindre, Nunzio. On est ensemble, ça va aller, t'es pas seul au monde, me réprimande Alessio.

- Ouais, c'est ça. "Ensemble". Je me permets de te rappeler que c'est de ta faute si je n'ai pas dormi pendant des jours. Avec votre blague débile. Donc oui j'ai le droit de douter un peu de vous. J'vous jure..."

Je marche plus rapidement. J'ai pas envie d'entendre ses excuses. Certes, j'étais vraiment heureux de savoir qu'il était en vie mais avec le recul ... Il le sait en plus que je suis pas bien la nuit et que je vois certaines choses dans mon sommeil. Bon tant pis. De toute façon c'est passé, on va pas s'attarder dessus.

Nous cheminons entre les craquements des branches et les murmures du vent sous la lumière pâle de la lune gibbeuse. J'aperçois quelque chose à plusieurs mètres de nous. C'est un large bâtiment qui semble être un théâtre. Un théâtre ? Mais pourquoi ici ? C'est super flippant... L'enduit des façades s'effrite et de grosses plaques gisent au sol. Les plantes ont repris l'endroit et les grandes portes principales sont en piteux état. Il y a des morceaux de verre autour de la bâtisse et des vielles bandes décolorées de rubalise. Ouais... Flippant.

"C'est là. Allez, venez on va jeter un coup d'oeil, commence Amos.

- Qui sait ce qu'on pourrait trouver à l'intérieur, enchaîne Liam."

Pfff. Sûrement des chauves-souris effrayées et du bois moisi, pensais-je. Nous franchissons l'entrée prudemment et nous nous retrouvons dans un immense vestibule qui autrefois devait être richement décoré. Les dorures sont parties depuis longtemps et les tableaux déchirés ont rejoint les décombres jonchant le sol. Tapis rouges en lambeaux, peinture écaillée. Très accueillant. J'ai le courage de m'éloigner un peu et pousse une porte sur le côté de la réception. Certains me suivent. Incroyable. C'est la salle de représentation. La scène est étrangement illuminée par la clarté lunaire s'engouffrant dans une des brèches du toit. Il y a un peu de charme là-dedans. Finalement, nous nous arrêtons tous devant ce spectacle inattendu.

"S'il est bien un terme que je déplore

Il ne peut suffire de l'ouïr encor'

D'éconduire quelques minois

N'est fort plaisant que pour un roi"

Hein ? Quoi ? Je me tourne dans tous les sens mais impossible de savoir d'où venait la voix. C'est en train de recommencer. Mais... Attendez... Non, c'est bon, mes amis sont encore là. Ils n'ont pas intérêt à refaire le même coup.

"Vous avez entendu ça ?"

Oui je sais que je prend le risque de paraître fou mais je sais ce que j'ai entendu. Et aucun d'entre eux n'a cette voix là. Ni ce ton. C'est comme quelqu'un qui récite son texte.

"Ne sais-je, ne puis-je, ne devrais-je parler ainsi

Lorsque point de coeur je me met à l'abri

Et de votre courroux m'en retrouve chassé

D'un lointain ouvrage l'image m'est restée"

Ah ! Là franchement je suis pas sourd quand même ! Dites-moi que je ne suis pas le seul à entendre ça !

"Personne n'a rien entendu, Nunz'. Arrête de psychoter, y'a rien à part nous."

Mais... Non c'est bon ferme-la. Nous continuons l'exploration même si je commence à être sur les nerfs. Soudain, de nombreux chuchotements surgissent d'entre les ombres. Je vois les autres regarder partout en s'interrogeant à voix basse. Le rideau tombe d'un coup, transperçant les planches et remuant un nuage de poussières. Un juron sort de nos bouches accompagné d'un sursaut. Non, ne panique pas. Ce truc date de plusieurs années, c'est normal que ça tombe en ruine. Ce qu'il reste du lustre central s'illumine ensuite. L'électricité ne devrait pas fonctionner ici, c'est... C'est juste impossible. Super, ça y est, j'ai peur maintenant. Je n'aurais jamais dû venir... Il clignote, et scintille dans le noir épais. Bon aller, c'est pas grave, on avance... On avance... J'essaie de monter sur la scène malgré le trou causé par la lourde tringle. En fait c'est plus solide que je ne le pensais. C'est amusant de se tenir face à tous ces sièges. Mais quand même bizarre. J'ai la nette impression d'être observé par autre chose. Et toutes ces places vides... Il ne manque plus que les projecteurs. Non, j'ai jamais été très doué pour le théâtre. C'est bon, y'a personne pour me juger. Je me lance, pour faire retomber la tension :

"Oyez, oyez,

Gentes dames et bons messieurs !

Sous vos yeux ébahis se déroulera une représentation unique ! Laissez place à votre imagination et admirez donc Nunzio Le Magnifique dans ses tours de magie fabuleux !

- Super, fait Alessio en riant, allez descend de là avant de te casser quelque chose."

Bah voilà, c'est bien de la légèreté un peu. Nous montons à l'étage, vers les places les plus riches. On voit bien d'ici, c'est marrant. Mais l'amusement est de courte durée lorsqu'un piano se fait entendre. Pas vraiment en fait. On a plus l'impression qu'il vient d'un vinyle ou d'une radio de mauvaise qualité. Qui fait fonctionner ça de toute façon ? Cet endroit craint de plus en plus... J'ai pas envie de retrouver un corps... Ni d'être seul... Nous descendons en courant jusqu'aux coulisses. Personne.

"Il vient d'où ce bruit ?

- Taisez-vous ! Il y a quelqu'un ..."

En effet... Il y a des pas... Le parquet craque et grince. Lentement... Je fais l'erreur de m'avancer un peu. Puis je ne sens plus rien. Personne n'est là avec moi. Mes amis... Ont disparu. Non... Pas encore... Stop... J'en ai assez qu'on se foute de moi.

"Sortez de vos planques ! Putain c'est quoi votre problème ?! Foutez moi la paix avec cette histoire ! ... Ouais c'est ça restez cachés, bande d'abrutis ! Je me barre c'est bon, allez vous faire voir."

La colère me fait du bien. Oh que oui. Quelque soit leur excuse, je ne veux plus les voir. Ils m'ont assez fait chier comme ça. Je pars rageusement vers l'accueil. La peur au ventre. La haine dans les veines. Mais quelque chose m'arrête. Ils se seraient déjà précipité à ma suite. Mais je ne les entend pas. Oh bordel... Il n'y a plus que les chuchotements, le piano et les tirades de théâtre d'époque.

"S'il est bien un terme que je déplore

Il ne peut suffire de l'ouïr encor'

D'éconduire quelques minois

N'est fort plaisant que pour un roi

Ne sais-je, ne puis-je, ne devrais-je parler ainsi

Lorsque point de coeur je me met à l'abri

Et de votre courroux m'en retrouve chassé

D'un lointain ouvrage l'image m'est restée"

J'ai... J'ai si froid... C'est foudroyant...Mon souffle se condense lorsque j'expire. Quelle horreur... Tout redevient calme... Esprits, êtes-vous là ? Non, sans déconner... Un hurlement à glacer le sang retentit. Non, je ne resterai pas une minute de plus ici. Je court dans les couloirs. Tellement vite... Mes jambes vont lâcher à un moment... On me poursuit. Des couloirs ? Non. Stop... Stop... Je ne vois pas la sortie. Je panique. Je me heurte à une porte. Vite... La poignée... Quoi ? Il n'y en a pas ?! Un objet heurte mon pied. Un bout de métal rond, brillant et gelé. La poignée !

"Qu'est-ce que tu veux ?! Laisse moi ! Laisse moi sortir !"

Je crie de toutes mes forces. Sortirais-je d'ici en vie ?

"Sortir... Sortir... Sortir...", répète quelque chose.

Des sueurs froides coulent le long de mon front. Mes yeux grands ouverts cherchent la moindre lampe, la moindre petite éclaircie... Ne pleure pas... Sors de là ! Je suis paralysé... Une fenêtre... Oui ! Ma sortie se trouve là-bas... Plus un bruit ne résonne. Vas-y, saute !

Je suis dehors... Enfin... La lune m'éclaire le visage et je me félicite de ne plus être à l'intérieur.

"Allez vous faire voir ! Bande de cons..."

La réalité se tord devant mes yeux. J'ai sommeil... Non... Pas ici... Je... Une main blanche, si pâle et frêle se pose sur ma vision. Esprit... Es-tu... Là...

Le noir total. Rideau...

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