Chapitre 9, méditation

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— Je ne savais pas sur quel mood on était alors j’ai amené de la bière et de la glace !

Edith soupesait ses emplettes avec un sourire mi-figue mi-raisin. Voyant Sasha par terre adossée au canapé, les genoux ramenés contre sa poitrine, elle s’empressa de l’enlacer.

— Qu’est ce qui t’arrive mon petit renard ?

— Elle ne veut pas me dire.

Rachelle rangeait la glace et ouvrait les bières. Peu importait l’humeur, ça la ferait soit parler soit oublier. Elle posa les trois pintes sur la table basse disposant machinalement ses sous-bocks et s’installa en face de Sasha. Il y avait bien un autre fauteuil, mais le sol était un endroit où les pensées s’organisaient mieux.

— C’est ton alpha, n’est-ce pas ? Vous avez rompu ?

Sasha haussa les épaules.

— À ce point ? Je croyais que c’était le grand amour entre vous ?

— Elle s’appelle Crodargen…

Pauline et Rachelle se regardèrent. Si l’une ne comprenait pas le rapport, l’autre écarquilla les yeux.

— Attends, Crodargen ? La Morgan Crodargen ? L’enfant prodige reniée ?

— Euh, je ne sais pas, peut-être ? Comment tu pourrais le savoir ?

— Y a eu tout un numéro de Phéromones y a pas longtemps sur les ultra-familles et notamment un long article sur les Crodargen. Ça m’a rappelé quand j’étais ado et que je lisais des trucs comme « Îcone », je croisais souvent son nom. Tu ne te souviens pas ?

— Vaguement.

— Mais si, l’enfant loup ! Une prodige de l’informatique qui avait gagné des prix de je ne sais quoi. Tu avais dit que c’était carrément impressionnant. Moi je m’en fichais, je la trouvais juste hyper stylée.

— C’était elle ?!

— Certaine !

— Parce que toutes les deux vous vous passionniez pour la vie des grandes familles ?

Edith sirotait sa bière en les toisant d’un air moqueur.

— Pas le moins du monde, mais Rachelle a eu sa période ouais.

— Oui c’était un peu mon feuilleton télé. Quoi qu’il en soit, je crois savoir où est le problème.

Edith le savait aussi. Pour des omégas, le débat des grandes familles était un incontournable qui avait été discuté et rediscuté. Chacune savait où les autres se plaçaient. Si Rachelle ne diabolisait pas tant les ultra-familles, Edith les avait autant en horreur que Sasha. Un alpha qui lui annonçait son appartenance à l’une d’entre elles serait une raison de rupture non négociable. C’est pourquoi elle comprenait mal le désarroi de Sasha. La renarde avait toujours été catégorique. Niet, nada, niente, nicht, jamais elle n’approcherait une ultra-famille.

— Tu devrais lire le numéro de « Phéromones » sur les ultra-familles. Je pense que ça t’éclairerait un peu. Ça fait bien la part des choses entre rumeur et vérité. Notamment sur les Crodargen.

— Mmh. Je suis sure qu’ils ont été payés pour dire ça, maugréa Sasha.

— Arrête, tu sais aussi bien que moi que « Phéromones » est un très bon journal indépendant.

— Mmh.

Ce n’était pas le moment d’argumenter en faveur de Morgan. Rachelle se rapprocha et serra contre elle son amie. Edith se joignit à l’étreinte. Elles restèrent ainsi, en motte, un moment jusqu’à ce que les discussions badines s’insinuent doucement rythmées par les blagues que seules trois copines se connaissant depuis des années pouvaient comprendre.

La soirée fit un bien immense à Sasha. Elle n’en savait pas forcément plus sur elle-même, mais elle n’avait plus à aborder le problème par le prisme du désespoir. Elle appréhenda néanmoins de voir Morgan au bureau le lendemain matin. Finalement, ne s’étonna pas de ne pas l’y voir. La journée passa sans grandes convictions. Nora était en réunion, Cléo et Emilie semblaient fatiguées et Sasha fut ravie de ne pas avoir à ouvrir la bouche. En rentrant, elle entreprit de préparer le repas, qu’il soit prêt lorsque Rachelle rentrerait. Ce que faisait toujours Morgan lorsqu’elle n’allait pas au bureau. Sasha soupira.

Pendant que la sauce curry mijotait, la renarde se laissa tomber sur le click-clack engoncé entre une bibliothèque et une penderie. Soupira à nouveau. Son œil se posa sur la collection des numéros de Phéromones. Pourquoi pas. D’un flegme non fin, elle s’approcha des tranches et chercha le numéro dont lui avait parlé Rachelle. « Des familles ultras mythiques ? ». Ça devait être ça. Elle se rassit et survola le sommaire. Il y avait des articles généraux qui rappelaient les grands principes de transmission génétique, d’autres qui reprenaient le schéma classique de la voie vers le succès de toutes ces familles. Tout cela s’entremêlait puisqu’il s’agissait de transmettre leurs fortunes et leur pouvoir aux alphas les plus dominants et performants, génération après génération. Il y avait ensuite des articles plus détaillés sur chacune des familles les plus influentes. Sasha se força à les lire malgré son dégout grandissant. Elle ne voyait pas encore les rumeurs démenties par le journal. Elle ne le vit certainement pas dans la description des Crinièrdor, cette famille de félins qui détenaient le monde pharmaceutique. L’article déplorait même cette utilisation des omégas qu’elle abhorrait, une sélection ultra précise pour avoir la lignée la plus parfaite. Contrat et paiement sans droits sur la progéniture. Rien de plus que de la prostitution de luxe. Chez les Robdalzan, il s’agissait du même genre de sélection, mais les omégas, sans entrer réellement dans la famille, avaient un droit d’élevage de la progéniture. Des nounous gratuites, pensa Sasha. Les Blanpygarg fonctionnaient de la même façon, à ceci près que, ce qui étonna tout de même la renarde, les omégas pouvaient former des couples mariés et, en cas de divorce, réclamer la garde des enfants. Phéromones avait interrogé plusieurs omégas des différentes familles, et si l’argent revenait souvent en argument chez ceux qui procréaient pour les Crinièrdor et parfois les Robalzan, les deux omégas vivant au sein des Blanpygarg avaient un discours autrement différent. On pouvait même lire, pour celui qui n’avait pas divorcé, qu’il aimait son alpha et que celui-ci le lui rendait bien. Sasha comprit l’ordre des articles. Le journal expliquait tacitement que les Crinièredor, ayant beaucoup de visibilité dans la sphère publique, répandaient cette image de l’oméga-objet, au détriment des autres ultra-familles. Ce n’était pas à prendre comme une vérité pour toutes les familles. Il y avait d’autres choses à critiquer, certes, mais pas forcément ce point précis. Elle continua donc sa lecture, commençant à apprécier la place que semblaient détenir les Crodargent dans cette échelle d’esclavage. Il y avait avant eux les Beckacéré, les Grifbrun, quelques familles moins importantes qui avaient tout juste leurs titres « d’ultra ». Sasha les survola rapidement pour enfin arriver à l’article sur les Crodargen. Toute l’introduction rappelait le fonctionnement du loup, car, comme le rappelait l’un des membres interviewés, un certain Erwan, l’essence de leur famille reposait sur leur amour pour l’instinct de loups. La meute. Sa hiérarchie encrée jusqu’au plus profond d’eux même. « Chacun a sa place dans la famille et chacun aura le respect qui lui est dû quant à cette place. », expliquait Erwan. La notion était difficile à appréhender pour un animal ne vivant pas en meute, surtout que la seule idée que l’on pouvait s’en faire était celle du chef de meute, prenant sa place en grognant le plus fort. Or elle était fausse. « Nous ne sommes plus des animaux, tout même. La montée d’un chef de meute au sein de la famille est un processus complexe qui ne repose plus uniquement sur une prise de pouvoir dur. ». Il parlait ensuite des trois branches distinctes au sein de la famille, la principale étant celle des échines noires, dont il faisait partie. Il expliquait que celle-ci ne contenait actuellement pas d’alphas reproducteurs. Le journaliste s’était intéressé d’un peu plus près à ce détail, toujours dans l’espoir de comprendre la place des omégas au sein de cette famille. Erwan révélait qu’il était un alpha récessif. Il avait peu de chance de transmettre son animal ou ses gènes d’alphas, même si l’oméga dont il rêvait pour le reste de ses jours s’avérait être un oméga loup récessif. Sasha s’arrêta sur trois détails dans cette phrase. L’espèce de l’oméga semblait importer peu, il s’agissait d’un choix et surtout, d’un choix définitif. Morgan lui parut tout à coup vrai. La journaliste titilla un peu le Erwan quant à l’oméga de ses rêves, mais il répondit qu’il n’avait « personne à annoncer à sa famille pour le moment ». La façon dont c’était écrit, Sasha comprenait que le mot « annoncer » cachait une signification importante. Ce n’était pas seulement présenter son ou sa nouvelle copine. Cela semblait plus profond. La suite de l’article dépeignait la relation alpha et oméga dans cette famille comme des couples stables de longue durée. Les Crodargen semblaient tirer une certaine satisfaction dans le hasard des naissances, reflet de la puissance de leur gêne. Si une branche se tarissait par absence d’alphas dominants reproducteurs, ainsi soit-il. Sasha trouva cela très orgueilleux, mais n’ayant aucun rapport avec l’oméga en lui-même. Elle finit les quelques lignes de l’article qui parlait justement de la probable fin de la branche des échines noires. Erwan, mais aussi une autre alpha qui avait été presque adulée petite, n’étaient pas en mesure de la perpétuer. Morgan ?

Shasha referma le journal. Médita.

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