le croquemort amoureux

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8h30- GMT- Italie – Venise - Campo San Angelo.

Michelangelo de la Pasta, croquemort de son état finit de s’habiller. Chemise noire, cravate noire, veste noire, pantalon noir, chaussures noires et chaussettes de la même couleur avec un petit cœur rouge juste là sous le liseré. Il fait bien attention de rabattre son pantalon pour ne pas montrer cette excentricité aux clients. Ce qui pourrait les distraire de leur deuil et il n’y tient pas.

Michelangelo doit être invisible. Un enterrement c’est un mort et des gens qui le pleurent et personnes d’autres. Il ne lui viendrait pas à l’esprit même si quelques fois il en meurt d’envie, de débouler au milieu de la cérémonie avec sa guitare et chanter comme Caruso.

Michelangelo a une voix extraordinaire qui enchante ceux qui ont le privilège de l’entendre quand le soir, juste après le repas, il ouvre grand ses fenêtres et se met à chanter. Il n’est pas rare de voir sur la place, des touristes lever la tête, s’assoir et rester à l’écouter. Certains laissent, en partant quelques pièces dans le béret que Michelangelo a demandé à Paolino, son neveu, de poser à l’entrée de l’immeuble. Quand le récital est terminé, celui-ci s’empresse de le lui remonter sans avoir au préalable perçu son salaire.

Michelangelo, aujourd’hui est soucieux. Il a rendez-vous avec l’agent de la compagnie d’Électricité qui doit venir poser un nouveau compteur. Un nouveau compteur, quelle idée ! Michele Angelo, n’en n’a pas besoin, il a déjà un et il est très bien.

On sonne à la porte. Ça doit être l’agent de la compagnie d’Électricité.

  • Bonjour, Monsieur !

— Bonjour, Mo… Madame.

L’agent est une femme. Michelangelo est surpris, doublement surpris car il connait cette femme. Il la connaît très bien, c’est Catalina, son amour d’enfance. La petite blonde avec des boucles et un petit nez coquin qui le snobait en permanence déjà à la maternelle. Combien de fois a-t-il tenté de lui dire ses sentiments et combien de fois est-il resté assis au beau milieu de la cour ?

Catalina est devenu une très belle femme. Sa tenue d’agent de la compagnie générale d’Électricité qui lui serre au corps la rend superbement sexy. Beaucoup plus que dans ses derniers souvenirs.

C’était au lycée. Là il n’était même pas question qu’il s’en approche. Elle avait toujours autour d’elle une nuée d’admirateurs. Pourtant, il ne se souvient pas l’avoir vu fricoter avec l’un d’eux. Elle était très mystérieuse en ce temps-là.

— Bonjour madame, vous êtes…

— Catalina Florenzi. Je viens pour remplacer votre compteur.

— Oui et pourquoi donc ? Et, combien ça va me couter ? Rien j’espère, parce que je vous avertis, je n’ai pas l’intention de payer la moindre lire.

— Non monsieur, c’est gratuit !

— Très bien mais pourquoi vous me le remplacer ? Celui que j’ai, il n’est pas vieux, il a à peine dix ans.

— Parce que les nouveaux sont électroniques. Ils sont plus pratiques. La compagnie d’Électricité n’aura plus besoin d’envoyer un agent pour faire le relevé de votre consommation. Vous ne serez plus embêté, ça se fera automatiquement.

— Ah bon ! Et c’est tout ?

— C’est tout !

Catalina commence à déposer le compteur existant.

— Mais vous êtes sûre que ça ne va rien me coûter ?

— Oui, même si…

— Même si quoi ?

— La compagnie peut…

— Elle peut quoi, la compagnie ? Non, ce truc ça sent l’embrouille ! J’ai déjà un compteur, il est à moi. Je ne vois pas ce qui peut m’obliger à le remplacer. Je paie déjà assez cher. Il n’est pas question que je dépense une lire de plus. Je vous dis !

— Mais monsieur, j’ai déjà démonté votre compteur !

— Je m’en fiche ! Vous le remontez, c’est tout ! Allez, zou !

— Fais chier ce con de Michelangelo ! grommelle-t-elle entre ses dents.

— Pardon, vous avez dit ?

— Rien, monsieur ! Je pensais tout haut !

— Et c’est possible de savoir à quoi vous pensiez ?

— Simplement que c’est bizarre comme le temps peut passer et que les choses ne changent pas.

— Les choses, vous êtes sûres ?

— Non, vous avez raison, pas les choses, c’est vrai. Mais les gens par contre …

— Et vous pensez à qui en parlant des gens ?

— À vous par exemple !

— À moi ?

— Oui, à vous ou je devrais dire à toi, Michelangelo, le petit garçon orgueilleux qui ne disait jamais bonjour, qui tournait le regard dès qu’on voulait lui parler…

— Pardon ?

— Oui, tout à fait !

— Je ne sais pas de quel passé vous … tu veux parler Catalina mais dans le mien, je vois plutôt une petite fille, qui fait la belle, qui passe devant les gens le nez en l’air sans même leur jeter un regard. Je parle de la petite fille mais je pourrais aussi de parler de l’adolescente, une vraie pimbêche qui semblait s’amuser de voir les garçons tourner autour d’elle.

— N’importe quoi !

— Oué, c’est ça ! En attendant, t’as un compteur à rebrancher.

— Bien sûr !

Catalina retourne à son chantier et s’affaire à remettre l’installation électrique dans son état initial. Michelangelo part puis revient avec une chaise. Il s’assoit à quelques pas d’elle et suit son travail d’un œil critique. Elle est nerveuse, elle n’aime pas être surveillée.

— Excuse, ça te dérangerait pas de me laisser travailler tranquillement. Je suis désolée mais je ne suis pas à l’aise quand on me regarde.

— Tiens donc ! Ce n’était pas l’impression que j’avais quand tu te pavanais dans la cour du lycée.

— Mais qu’est-ce que tu vas chercher ! Je ne me suis jamais pavaner où que ce soit. Je ne sais pas mais tu dois avoir un problème avec les filles. Je donnerais ma main à couper que tu n’as pas de petite amie. Je me trompe ?

— Ben, heu…

— Évidemment ! Et que tu n’en as jamais eu … C’est ça !

— Quand même ! Bien sûr que j’en ai eu, même si …

— Même si quoi ?

— Non rien ! Et toi, par contre, tu dois en avoir des tonnes, j’imagine !

— Pas du tout !

— Tu rigoles, gaulée comme t’es ! Ho, pardon, je ne voulais pas …

— Non, gaulée, ça me va. Même si c’est pas trop romantique, je prends. Ça fait toujours plaisir.

— Donc, tu n’as personne dans ta vie ?

— Personne !

— Et tu n’as jamais eu personne ?

— Faut pas exagérer ! Bien sûr que j’ai eu des mecs, quoique …

— Quoique quoi ?

— Non, rien !

Étrange cette conversation, très étrange. Michelangelo semble vouloir dire quelque chose à Catalina qui semble vouloir lui dire la même chose, mais quoi ?

— Allez, s’il te plaît, laisse-moi finir ! Sors de la pièce, tu seras gentil.

— Si tu le dis si gentiment !

Michelangelo quitte la pièce et va s’assoir dans la cuisine. Le travail terminé, Catalina range ses outils, viens le rejoindre et lui tend une feuille de papier.

— Si tu veux bien signer. C’est une décharge de responsabilité. C’est uniquement pour que tu confirmes bien que tu as refusé la pose du nouveau compteur.

— Ça aura des conséquences ?

— Non, mais tu sais, dans trois ans tu n’y couperas et là tu devras casquer.

— Qu’est-ce que tu me dis ? Je devrai payer ?

— Que ce soit maintenant ou que ce soit dans trois ans, tu paieras. Tu gagnes trois ans, c’est tout !

— C’est déjà ça !

— Bon, je te laisse. J’ai été très contente de te revoir. Ça m’a fait remonter des souvenirs de moments très agréables. Enfin...

— Pareil ! Ce serait bien que l’on se revoit ! Non ? J’aime bien quand on s’engueule !

— Dans trois ans quand je viendrai t’installer le compteur.

— Tu es dure avec moi !

— Je plaisante ! Je n’habite pas loin, rue dei Orbi.

— C’est vrai, c’est juste à côté ! Eh bien, on ne manquera pas de se croiser !

— A bientôt, donc !

Michelangelo lui tend la main mais Catalina la refuse, lui se braque et elle lui présente sa joue.

— Quand même ! On est de vieux potes, non ? dit-elle.

Le contact des lèvres de Michelangelo sur sa peau produit une sensation qu’elle n’a pas ressentie depuis bien longtemps, qu’elle n’a jamais ressentie d’ailleurs. Pourtant des baisers elle en a reçus, des baisers maladroits, languissants, torrides mêmes, laborieux parfois, écœurants souvent. Mais là, c’est un simple contact sur sa joue. Un simple contact, pas une langue qui envahit la bouche, enveloppe la sienne comme un boa constrictor. Non, un simple contact, une caresse, une brindille de soleil qui se pose sur elle et lui réchauffe l’âme. Une caresse qui, le temps d’un souffle, la transporte au paradis.

Catalina ferme les yeux et ne se rend pas compte que les lèvres de Michelangelo l’ont quitté. Quand elle les ouvre à nouveau, son regard reste en suspens quelques secondes accroché à celui de Michelangelo. Puis elle baisse la tête, ébauche un sourire gêné tourne les talons et sort.

Ou ce gars est un sacré séducteur et il est très fort ou il y a quelque chose, c’est pas possible ! Puis elle se ravise. Bah, ça doit être le courant électrique, les ondes, oui c’est ça, les ondes. Allez, c’est qui le prochain client ? songe-t-elle.

Elle descend lourdement les cinq étages avec à chaque marche l’envie de plus en plus prégnante de revenir sur ses pas, de se jeter sur cette homme et le couvrir de baisers et bien plus si affinité.

Les ondes, tu parles d’ondes, elles ont beau jeu les ondes, on les rend responsables de tous les maux de la terre. T’as la diarrhée, c’est les ondes, t’es constipé c’est les ondes, t’es de mauvais humeur c’est les ondes. Rien à faire des ondes !

Catalina comprend tout à coup qu’elle est en train de tomber folle amoureuse de cet homme et qu’elle l’a toujours été. Mais elle ne peut pas revenir, c’est impossible, elle a sa dignité. Elle parcourt le long couloir obscur qui mène à la rue, tourne la poignée et au moment de sortir entend une détonation descendre des étages.

« Michelangelo, le compteur ! » hurle-t-elle.

Elle remonte, escalade les marches quatre à quatre, ouvre la porte. Une fumée âcre la prend à la gorge. Elle traverse la cuisine et voit sortir du cellier des flammes provenant du tableau électrique. Des étincelles jaillissent de toutes parts, les fils comme des serpents affamés se tortillent et semblent vouloir se jeter sur elles.

Michelangelo est couché au sol, inanimé, les vêtements brûlés. Les flammes tout d’abord limitées au tableau lèchent maintenant son corps. Catalina se couche au sol, rampe jusqu’à lui, le prend par la manche de sa veste et le tire hors du cellier.

Elle avise près de la porte un extincteur accroché au mur. Elle s’en empare et étouffe le feu avant que celui-ci ne se propage.

La pièce est toujours plongée dans un nuage opaque et acide de fumée. Catalina commence à manquer d’air, elle se sent défaillir. Elle se laisse choir, cherchant au sol un peu d’air. La fumée y est moins dense. Elle rassemble ses forces et tire Michelangelo hors de la pièce.

Sitôt sur le palier, elle prend son portable pour appeler les secours mais se ravise et préfère contrôler si Michelangelo respire. Elle approche sa joue de sa bouche, regarde si sa cage thoracique se soulève. Rien, aucun mouvement. Et le cœur est-ce qu’il bat ? Non plus.

Elle n’a pas le temps, les secours ne seront pas arrivés qu’il sera mort. Elle plaque sa bouche contre celle de Michelangelo et souffle fort. Trois fois puis pose ses deux mains croisés sur sa cage thoracique, juste au-dessus du cœur et appuie fortement, dix fois, vingt fois, elle ne se souvient plus.

Qu’importe, elle s’active de plus en plus, souffle de plus en plus fort, n’appuie plus sur la cage thoracique mais de rage frappe violemment du poing.

— Tu vas te réveiller, putain de bordel de merde ! s’écrie-t-elle, surprise de dire autant de gros mots en si peu de temps. Réveille-toi, Michelangelo et je te promets la plus belle nuit d’amour de ta vie.

Le corps de Michelangelo, tressaille, se soulève puis retombe. Sa bouche s’ouvre comme pour chercher de l’air. Il tousse, ses yeux s’ouvrent et se referment fatigués. Michelangelo respire, son cœur bat. Elle le redresse et le prend dans ses bras. Ils rouvrent les yeux, leur regard se fondent l’un dans l’autre, Catalina penche sur lui sa tête, leurs lèvres s’appellent, se rejoignent.

Le reste, je ne le dirai pas. Cela fait partie de leur intimité. Ce que je peux vous dire, par contre, c’est que l’appartement, un peu plus tard dans la journée, dévasté par les pompiers se trouvera n’être plus qu’un champ de ruine.

Michelangelo, à la rue, n’aura d’autre recours que de passer la nuit chez Catalina qui n’aura même pas besoin de lui proposer puisqu’elle continuera à le prendre par le revers de sa veste et l’y trainera.

Michelangelo récupèrera très vite.

Il passera effectivement la plus belle nuit de sa vie.

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Le croquemort amoureuxChapitre1 message | 1 an

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