Chapitre 6

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   Dès le lendemain, Xanërra se mit au travail. Les longues journées de labeur à l’usine ne lui rendaient pas la tâche facile. Malgré la fatigue, elle se rendait tous les soirs dans leur quartier général pour chercher une information susceptible de les éclairer. La femme réussissait à percer régulièrement les défenses du réseau gouvernemental. Cependant, les informations auxquelles la métisse tentait d’accéder cette fois-ci s’avéraient bien mieux protégées. Le niveau d’encryptage se trouvait à un tout autre niveau. Son petit côté compétitif appréciait le défi. De plus, avec son désir implacable de contrecarrer les plans de leurs tyrans, disons que la motivation ne manquait pas.

   Cela lui prit quand même trois jours de travail acharné pour accéder aux systèmes qui les intéressaient. Cependant, la quantité d’informations ainsi accessible s’avérait être astronomique. Démêler tout cela allait lui prendre un bon moment, ce qui ne lui plaisait guère. La femme vint rapidement à la conclusion que la tâche était trop lourde pour une personne seule, vu le temps dont ils disposaient.

Après une conversation avec Khan, la décision fut prise de séparer les données à analyser, et de reporter la réunion au dimanche. Dans les deux journées suivantes, l’ingénieure rencontra donc chacun des autres membres séparément, dans des endroits stratégiques et sécurisés, pour leur remettre leur part des fichiers. Restait plus qu’à en ressortir les informations pertinentes.

   Le samedi matin, ayant le cerveau complètement saturé d’informations, Xan décida de prendre l’air pour se rafraîchir les idées. Son père et elle se dirigèrent donc vers le marché pour faire quelques achats. Situé à une dizaine de rues de chez eux, cette place publique de grandeur moyenne regroupait tous les commerces accessibles pour leur classe sociale.

Certains possédaient de véritables locaux situés dans les bâtisses encerclant l’endroit, mais la plupart prenaient place dans des petits étals à ciel ouvert. Les marchands maintenaient heureusement l’endroit plus propres que le reste du quartier. Du moins, du mieux qu’ils le pouvaient, empilant les détritus le plus loin possible de la nourriture.

La température étant déjà caniculaire à l’aube de l’été, la demi-elaraan portait un haut court aux bretelles larges ainsi qu’un short lui arrivant à la mi-cuisse. Ses longs cheveux coiffés en natte revêtaient une couleur bleu très pâle, comme souvent lorsqu’il faisait si chaud. Les couleurs plus claires attirait moins le soleil après tout.

   Alors qu’ils arrivaient sur la place, Xan laissa son regard dériver sur la foule présente. L’endroit semblait plutôt bondé, rien d’étonnant un samedi, seule journée de congé pour la plupart des gens. Ce qui attira le plus son regard fut le nombre de gardes inhabituellement élevé. Preuve de plus qu’il se tramait forcément quelque chose. Ses sourcils se fronçèrent à cette réflexion, le besoin de savoir se faisant sentir plus fort que jamais. Ewen la tira de ses pensées en se râclant la gorge.

  • Tu es toujours avec moi, ma chérie? demanda-il, ses prunelles bleues lui jetant un regard préoccupé tout en se dirigeant vers un kiosque.
  • Oui oui, désolée, répondit-elle en lui emboîtant le pas.
  • Tu as l’air distraite cette semaine. En plus d’être très occupée. Tu es sûre que tout vas bien? ajouta-t-il sur un toninquiet mais aussi interrogateur, se demandant ce qu’elle pouvait bien faire de ses soirées.
  • Ne t’en fait pas, je suis juste fatiguée, affirma-t-elle en affichant un sourire se voulant rassurant.
  • D’accord, répondit-il sur un sourire, peu convaincu malgré tout.

La métisse fit mine de reporter son regard sur le choix de produits, un air neutre en apparence au visage. Mais intérieurement son coeur se serrait. Lui mentir demeurait le seul aspect de sa participation à la résistance qui lui déplaisait. Cependant, la sécurité de son père passait avant tout, même si pour cela elle devait lui cacher des choses.

   Des éclats de rires sonores la sortirent de ses réflexions et elle tourna la tête, cherchant leur provenance. Une telle hilarité demeurant plutôt rare dans le coin vu leurs conditions de vie, la femme sut tout de suite que quelque chose tournait pas rond. Sa recherche fut de courte durée. Environ au centre de la place, un petit groupe de cinq gardes, beaucoup trop heureux à son goût, entouraient quelques civils effrayés. Xan regarda son père, qui lui aussi jetait oeil en direction de l’attroupement, le front plissé. Apparemment anxieux lui aussi.

  • Reste ici, je vais juste voir ce qui se passe, dit-elle en se mettant en route sans plus attendre.
  • Xan, ne fait rien pour les provoquer! eut-il le temps de lui dire avant qu’elle soit trop loin.

   L’homme soupira. Sa fille ne retenait pas des voisins, décidément. Rien pour le rassurer. Xanërra contourna les gens attroupés en petits groupes tout autour de l’esclandre qui prenait place sous leurs yeux. L’adrénaline commençait à faire son effet, son coeur s’accélérant à mesure qu’elle approchait. Sans se positionner au premier rang, la surdouée s’approcha assez pour bien voir et entendre ce qui se passait.

   Les cinq gardes présents portaient l’uniforme noir habituel de la faction de l’armée assignée au contrôle des populations, qu’on appelait les karadar. Le tissu constituant leurs habits relevait de la prouesse technologique. Confortable, capable de réguler la température du corps, d’absorber une partie de la puissance des chocs physiques et même d’atténuer l’impact des tirs d’arme laser. Cela constituait plus une armure que des vêtements, même si ça n’en avait pas l’apparence. En plus de cet uniforme, ils portaient une ceinture avec différents gadgets et armes, ainsi qu’un casque dont la visière couvrait environ la moitié du visage. Selon les détails à leur col, quatre d’entre eux se trouvaient être de simples soldats. Le cinquième, qui les dépassait tous d’une bonne tête, elle le reconnaissait pour l’avoir vu souvent dans le coin. Un sergent Krein particulièrement vicieux arrivé quelques mois auparavant. Ce dernier se tenait au centre, un rictus mauvais au visage. Sa peau écailleuse d’un rouge sang donnait froid dans le dos, comme si cela constituait un avant-goût de ce qui les attendait.

   L’escouade entourait un petit groupe de citoyens composé de trois hommes et une femme. L’un des gardes s’en prenait à celle-ci qui essayait en vain de s’enfuir. Une humaine, à première vue, possédant quelques traits typiquement melyan, que Xan connaissait de vue. Le soldat, un humain de grandeur moyenne à l’apparence plutôt banale la saisit par le bras fermement.

  • Qu’est ce que tu as à dire pour ta défense ma belle?
  • Je…mais je n’ai rien fait! Je vous le jure! répliqua-t-elle d’un ton suppliant, les larmes aux yeux.

  La femme devait avoir une vingtaine d’année tout au plus. Petite, même pour une melyan. Ses yeux d’un gris bleu unique frappèrent Xan de plein fouet. Au delà de la couleur particulière, l’innocence et surtout la peur qui habitaient ce regard.

  • Vous êtes bien tous des menteurs! ajouta un autre soldat, un elaraan à l’air féroce, tout en poussant un des hommes qui voulut aider celle-ci.

   Ce dernier, un melyan pur sang à l’apparence chétive, s’écrasa au sol sous la force du coup, se redressant ensuite péniblement pour se mettre à genoux. Xanërra regarda les alentours, le coeur battant. Cherchant quelque chose sans vraiment savoir quoi. Un allié. Une opportunité. Un lueur d’espoir. Toutes les fibres de son être lui criaient de réagir. Son sang semblait bouillir dans ses veines alors que sa colère montait, sachant parfaitement que la situation ne se terminerait pas bien. Elle savait qu’elle ne pouvait rien faire sans mettre en danger son père, les gens autour d’elle, ses compagnons d’arme. Seule, sans arme ni aucun matériel, elle ne réussirait qu’à se faire tuer. Qu’à rajouter une victime de plus sur leur tableau de chasse.

  • Pourtant nous n’avons rien fait monsieur, je vous le jure. Nous sommes des honnêtes citoyens, supplia l’homme, toujours au sol, dont la peau d’un noir d’ébène luisait sous les rayons du soleil.
  • Nous vous avons pris en flagrant délit de vol, inutile de nier, affirma le sergent, clairement satisfait. Amenez les tous. On va leur apprendre les bonnes manières.

En faisant un signe de la main aux autres de se saisir des « criminels », il suspendit son mouvement reportant son regard sur le melyan toujours à genoux au sol. Une idée venait de germer dans son esprit. Son visage se fendit d’un sourire cruel.

  • Sauf lui. Il servira d’exemple.

   Les gardes attrapèrent donc fermement les autres pour les attirer à l’écart le temps que leur patron finisse le travail. La femme se débattit désespérément pour rejoindre celui qui semblait être son mari. Les larmes ruisselaient déjà sur ses joues. Xan se retint de justesse d’écarter les gens devant elle pour aller leur porter secours. Son corps avait failli se mouvoir seul. Sa mâchoire se serra.

  • Non! Ne lui faites pas de mal! Pitié! je ferai tout ce que vous voudrez! implora de nouveau la demi-melyan.

   Le sergent quitta l’homme des yeux pour la regarder elle, s’approchant. Il placa son visage très près du sien pour lui parler d’un ton qui promettait des souffrances indescriptibles. Il saisit une de ses mèches de cheveux et la huma, se délectant du parfum de la peur émanant de sa victime.

  • Ton sort sera bien pire que le sien...

   Alors qu’il parlait, ses yeux rouge aux pupilles de rapace brillaient de malice. Il se détourna ensuite et regarda la foule silencieuse amassée autour d’eux.

  • Cela fait trop longtemps qu’on ne vous a pas montré ce qu’il arrivait quand vous nous désobéissez, annonca-t-il sur un sourire en coin avant de reporter son regard sur le melyan devant lui.

   Ce dernier échangea un regard avec sa femme qui pleurait de plus belle, l’observant comme pour mémoriser chaque détail de son visage. Il dit quelque chose, pas assez fort pour que Xan comprenne, et la femme baissa la tête, essayant de fixer le sol.

   Alors que l’officier levait son arme, l’ingénieure dû utiliser toute sa volonté pour se forcer à rester immobile, fixant le sol. Le coeur au bord des lèvres alors que la pensée d’être encore une fois impuissante s’imposait dans son esprit. Le son de l’arme laser retentit, résonnant dans tout le marché. L’odeur de la chair brûlée lui parvint aux narines alors que le corps du melyan s’effondrait au sol. Un silence de mort régnait désormais, seuls les sanglots de la femme venant le troubler. Sur un dernier regard sur la plèbe, le sergent et ses hommes partirent en entraînant les trois pauvres malheureux avec eux. Xan leva les yeux à nouveau pour les regarder s’éloigner, remarquant alors que la nouvelle veuve affichait un petit ventre rond qu’elle n’avait pas remarqué jusque là. La métisse se fraya un chemin pour sortir de la foule mais les hommes s’engouffraient déjà dans un véhicule, qui s'éloigna rapidement. Laissant le corps là, à qui voudrait bien s’en occuper.

   Xanërra resta donc sur place, éprouvant un mélange déstabilisant de tristesse et de rage. Son regard se posa sur la dépouille de l’homme. Ses yeux aux iris d’un vert menthe très pâles, toujours ouverts, semblaient la fixer. L’accuser du regard. Même si elle savait très bien que son sentiment de culpabilité lui faisait voir des choses. Des gens s’approchèrent pour prendre soin de lui alors elle se détourna pour retourner là où elle avait laissé son père, marchand avec un air absent. Ce genre d’exécution publique s’avérait malheureusement être monnaie courante. Les gens avaient l’habitude de s’occuper des victimes. Trop.

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