Yoann, tu m'entends ?

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Je n’ai pas répondu quand l’infirmier m’a demandé s’il était mon fiancé. J’ai tiré une mine de trois mètres de long et il a lâché l’affaire en se disant certainement que c’était une confirmation. C’est fou comme on va où on veut, dans les hôpitaux. J’ai donc rejoint mon fiancé dans la chambre où je me trouve à présent, affalée sur un fauteuil recouvert de tissu rêche, d’une vilaine couleur pêche. Il aurait l’air paisible si cet affreux tuyau ne lui sortait pas de la bouche comme une trompe disgracieuse. Il est laid. De grosses lèvres rouge pâle, un nez proéminent et épaté sur la fin, un visage creux comme un canyon…il a l’air maigre. Moi, je les aime avec une petite brioche à laquelle on peut s’accrocher et sur laquelle on peut dormir à l’aise. Ou avec de la poitrine, mais on parle d’autre chose. La main en garde-menton, je soupire entre mes ongles vernis. Qu’est-ce que je fais là ? Pourquoi je suis venue ? Par ennui. Quand l’hôpital m’a appelée, je trainais devant une série déjà vue trois fois en me coupant les ongles des pieds. Je n’ai pas dis ‘Y a erreur, désolée’. J’ai dis :


"Ok, j’arrive tout de suite."


Et je suis arrivée tout de suite. Le temps de terminer mes ongles et d’attraper un métro. En passant, qu’est ce qu’elle est stupide, cette expression ! Comme si on attrapait un métro comme on attrape un cheval sauvage…


Pas sûre que trainer ici me sauve de mon ennui. Il n’a pas grande conversation, le bonhomme. Je jette un œil dans le couloir, ferme la porte et fouille les placards. On a rangé – jeté serait un mot plus juste- ses effets dans un placard assorti au fauteuil. J’y mets mon nez et mes doigts. Un jean couleur terre, ou de la boue en forme de jean, un T-shirt noir dans le même état. Rien d’autre. Même pas de chaussures. Du bout des ongles, je lui fais les poches. Jackpot, un portefeuille. Je check d’abord s’il a quelques billets, mais vu l’état de ses fringues, l’espoir est mince. Peu de déception, donc, en ne trouvant rien. Quelques piécettes trainent au fond. Je les prélève, ça me remboursera le déplacement. Quelques vieux tickets de métro. Une carte de piscine au nom de Yoann Leblanc. Je ricane malgré moi et m’adresse au corps flasque :


"Heureusement que tu t’appelles pas Juste."


Tout en poussant de petits hennissements de rire, je retourne m’effondrer sur le fauteuil et poursuis ma fouille. Alors, Yoann, qui es-tu ? Mais il n’y a rien d’autre dans le portefeuille…sauf une photo minuscule au format photomaton. Yoann a l’air un peu moins moche, quand il est vivant, souriant à côté d’une petite grosse au sourire de top model et au regard plus qu’aguicheur. Elle fixe mon fiancé avec des yeux qui disent ‘il est à moi’. Je fronce les sourcils et m’agace un moment devant cette dragueuse avant de me rappeler que je ne connais pas du tout Yoann Leblanc et qu’il n’est, par conséquent, pas mon fiancé. C’est elle qui devrait être là, dans ce fauteuil immonde, à veiller son Yoann et pas moi. Pourquoi, foutre Dieu, est-ce moi qui me retrouve ici ? J’abandonne le portefeuille sur le siège et me penche au-dessus de Leblanc comme un prince prêt à abuser sexuellement de sa Belle au bois dormant.


"Hé ! Juste…heu Yoann ! Tu m’entends ?"


Silence, silence, silence. Evidemment. A quoi m’attendais-je ? Qu’il se réveille d’un coup en hurlant :


"COUCOU C’ETAIT POUR RIRE !"


A mourir de rire, oui. Sans réfléchir, j’écarquille grossièrement les yeux, relève les babines et claque des dents comme un squelette en manque de chair fraîche.


"Mais que faites-vous ? me demande une voix outrée et surprise."

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