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  Un récit. J'étais parti au départ pour écrire simplement un récit. Une histoire, sans autre conséquence que d'emporter mes personnages où je le souhaitais. Aujourd'hui, ce sont de personnes dont il s'agit. Des êtres bien réels qui m'attendent, derrière ce miroir. Tous appréhendent l'instant présent comme s'il s'agissait du dernier.

Belmont, qui, de temps à autre, m'observe et partage cette appréhension. Il attend de savoir quelle forme prendra la fin de mon œuvre et leur existence par la même occasion. Ces trois agents patientent, comme ils le peuvent, dissimulant avec peine leur nervosité. La femme, chignon et tailleur, vapote frénétiquement. Elle va de gauche à droite, puis de droite à gauche, comme une lionne en cage sans me quitter du regard. Derrière, les deux hommes de Belmont semblent également à bout de nerfs. Le premier se lève régulièrement de sa chaise pour prendre un café ou quelque chose à grignoter. Chips, donuts, barre chocolatée, tout est bon désormais pour lui faire passer le temps. Le second, à la calvitie bien prononcée, est appuyé contre le mur du fond et se ronge les ongles. Il s'est lassé du postérieur de sa féline de collègue pour fixer son smartphone et les minutes qui défilent. De temps en temps, il se cure le nez, persuadé d'être à l'abri des regards. Je pourrais lui signaler...

Mais comment, à travers mon apparent reflet, suis-je capable de les voir de façon aussi limpide ? Certes, je suis un écrivain, un faiseur d'histoires, mais ça ne fait pas de moi quelqu'un d'exceptionnel. Bien au contraire : tout à chacun est libre de raconter, de dire une version des faits jusqu'à inventer de toute pièce une autre réalité.

Comme Belmont qui, à la tête du renseignement, a suffisamment d'informations en sa possession pour faire le tri, choisir le meilleur scénario parmi toutes les histoires qui s'offrent à lui et me narrer sa version des faits. À l'entendre parler de ses agents, de leur étonnante capacité à avoir trouvé cette clef, il les transpose dans ce qu'on pourrait croire être un roman d'espionnage. Ces deux hommes, cette femme, à travers le miroir, deviennent alors des protagonistes, les héros d'une histoire. Je ne les ai jamais vu à l'œuvre, analyser mes textes pour les décoder et réencoder; pourtant, je les imagine sans aucune difficulté. J'arrive même à leur inventer des gestes, des scènes, à leur construire une personnalité. Je les crée à mon image.

Clara et Suzon ont dû faire également cet exercice quand leur mère leur a menti. Jenni a su inventer une histoire crédible invitant chacune de nos filles à s'imaginer leur père en train d'écrire, dans un endroit calme, pour un éditeur. Elles m'ont imaginé dans cette histoire comme on peut imaginer n'importe quel personn...

Bon sang ! L'hypothèse qui me vient à l'esprit est toute aussi folle que les découvertes de Belmont.

Mais pour vérifier ma théorie, il n'y a qu'un seul moyen de le savoir.

Je saisis la dernière page de mon histoire et m'assure que ces derniers mots me sont fidèles, empreints de vérités, dignes de l'esprit de ma saga, de mes personnages et respectueux des découvertes des agents de renseignements. Je fais face à mon reflet pour m'adresser à tous les autres, derrière ce miroir. Puis, j'entame, à haute et intelligible voix, les dernières phrases de mon histoire.

« Un récit, c'est un souffle, un bref instant où nous sommes, debout parce que couchés sur le papier, nés d'une rencontre entre un lecteur et un auteur... »

De l'autre côté du mur, des voix sourdes me mettent en garde.


«... Mettre un point à cette histoire, ce n'est pas mettre fin à la leur, à la nôtre. Êtres furtifs jusqu'à en être fictifs, des personnages dans une tranche de vraie vie; c'est ce que nous sommes, en fin de comte. En fin de conte devrais-je lire... »

On frappe la vitre de la glace sans tain alors que, derrière la porte, on cherche la bonne clef au sein du trousseau.


«... Je dédie ces dernières phrases à celles et ceux qui restent derrière le miroir et poursuivront leur existence auprès de ceux qui les auront accueillis dans leur mémoire... »

Mots après mots, le danger se rapproche. Une partie de la pièce commence à s'effacer. Belmont et ses hommes parviennent enfin à trouver la bonne clef. Ils se précipitent pour me faire taire.

«..Puissent-ils continuer à vivre et à braver cette illusion qui nous fait croire qu'à la fin de ce point, il ne reste plus personne. Plus rien. Plus de vie. Pas un signe.

Zéro ... »

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