Chapitre 1

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 Une légère brise venait apaiser le feu du soleil sur la nuque d’Encène, faisant délicatement bruisser les longues feuilles du saule sous lesquelles il s’était assis. Ses pensées voletaient au rythme des cris folâtres des hirondelles. C’est ainsi que le jeune homme aimait commencer ses journées, les pieds nus dans l’herbe humide et l’esprit vagabond. Quelques vrombissements soudains de libellules tentaient bien de lui faire perdre le fil, mais sitôt il retombait dans sa douce contemplation. Les yeux clos, la respiration ample, il pouvait alors deviner l’odeur lointaine des fleurs qui bordaient son foyer. Une cinquantaine de pas l’en séparait. C’était une modeste demeure surmontée d’un toit de chaume recouvrant en partie des murs blanchis à la chaux. L’ensemble, bien que simple, était accueillant.
 Perché sur sa petite colline, il pouvait apercevoir en contrebas la délicate silhouette de Dei, qui apparaissait et disparaissait derrière l’alignement des bouleaux à mesure qu’elle avançait dans sa direction. Vêtu d’une tunique de lin blanche, son corps se fondait dans le paysage. Pareil à un renard enjoué, sa crinière écarlate donnait l'impression de bondir entre les arbres. Arrivée à sa hauteur, elle lui sourit et cligna lentement des paupières, il lui rendit le geste. C’était une manière de se dire que tout allait bien, un signe de paix intérieure. Entre eux, les mots n’avaient pas toujours d’utilité.
 En rouvrant les yeux, le regard du jeune homme s’accrocha sur les immenses pierres dressées à l’horizon, lui rappelant que leur lien avait été bien différent autrefois. Cette vie à deux, on leur avait imposé. Brutalement. Alors que chacun revenait d’une chasse solitaire, de monumentales stèles s’étaient élevées aux abords de la rivière, leur défendant ainsi de traverser le pont et de rejoindre le clan. Bien que les blocs disposés en quinconce eurent permis à un homme de passer, les franchir les aurait menés droit vers la mort. D'ailleurs, les anciens le rappelaient sans cesse : au travers des pierres les dieux imposent leur volonté, nul de doit les contrarier. Le père de Dei, imbécile arrogant, n’avait jamais adhéré à ces « croyances » et en avait subi les conséquences en bravant l’interdit. Après avoir convié le clan à la surprise de tous, il s'était aventuré au-delà des monolithes qui entourent le village, sans jamais revenir. Était-il mort, bloqué de l'autre côté ? Nul ne le savait, la seule certitude était qu'il venait de briser un interdit. C'est pourquoi la mère et la fillette nouvellement née furent bannies. Les superstitions étaient bien ancrées, si elles demeuraient ici, le châtiment des êtres suprêmes risquait de s'abattre sur le reste du peuple.
 De tout temps, les stèles avaient délimité les contours du monde. Plusieurs générations s’étaient succédées sans en voir s’élever une seule. Mais ces dernières années, leurs apparitions étaient de plus en plus fréquentes, tronquant petit à petit leur espace de vie. Par crainte d’attiser la colère des pierres, Encène avait toujours fait son possible pour éviter la jeune fille. Il ne manquait également aucun rituel, et respectait scrupuleusement les règles. Comble de l’ironie, malgré sa prudence, les dieux les avaient enfermés lui et la paria dans la zone de chasse. Les premières semaines de coexistence furent difficiles, car aux yeux du garçon, Dei était responsable. Après tout, n'était-elle pas maudite depuis la folie de son père ?
 Franchir la barrière divine malgré l’assurance d’une mort instantanée était devenu une obsession pour le jeune homme, il ne pouvait abandonner sa famille. Allaient-ils être exclus à leurs tours s’il ne revenait pas ? Ses parents le savaient être au delà de la rivière, peut être allaient-ils entreprendre quelque chose pour le retrouver ? Il ne pouvait les laisser dans l’ignorance. Malheureusement, les monolithes étaient trop hauts, et les trois rangées visibles empêchaient d'observer au-delà sans les traverser. Ses proches étaient-ils derrière à guetter un signe de vie ? Encène ressassait sans cesse ces questions. Il se rappelait ses tentatives désespérées pour communiquer au travers, les sons qui ne parvenaient pas à vaincre l’obstacle, l'accablement, puis la résignation. Jamais il n'aurait voulu revivre cette période.
 Dans un premier temps, assez autonomes pour survivre dans la nature, chacun s’était installé en des lieux différents. Lui au pied des blocs de pierre, au plus prêt du chemin menant vers le pont, et elle dans la forêt. Leur nouveau territoire n’était pas large, ceinturé d’un côté par la rivière infranchissable et de l’autre par les limites ancestrales du monde. Mais la fatalité de cette proximité avait fini par les rapprocher. C’est alors qu’au fil des mois, l’entente était devenue plus cordiale, et l’entraide finalement indispensable. Ils étaient dans la même situation après tout.
 Aujourd’hui, à l’aube des vingt ans d’Encène cela faisait cinq ans qu’ils étaient isolés du reste de la communauté. Survivre n’avait pas été difficile, leur environnement offrait toutes les ressources nécessaires à leurs bien-être. Profitant de l’expérience du jeune homme acquise auprès de son père, les adolescents s'étaient chacun bâti une petite maison au pied de la colline qui bordait la forêt. Une amitié sincère était née. Délaisser les abris de fortune, pour s'installer durablement, leur avait permis de commencer une nouvelle vie. Tant que ces refuges n'avaient pas été pérennes leur isolement leur avait paru provisoire. Chaque jour se présentait alors avec l'espoir d'une libération et se terminait par d'amères désillusions.

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