Chapitre 1

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  Une pensée, puis une autre. J'ouvre un œil, puis l'autre. Un plafond blanc se dresse devant moi. Je bouge la tête à droite puis à gauche. J'aperçois du matériel médical et je suis branchée de partout. Qu'est-ce que je fais ici ? Je me redresse en panique, cherchant tout autour de moi et essayant de me débrancher. Une infirmière accourt, puis un autre. À deux, ils me canalisent, m'empêchent de bouger et me hurlent de ne rien faire.
« - Madame, calmez-vous. Vous êtes à l'hôpital suite à un accident de voiture. Vous vous souvenez ? me dit l'infirmière avec une voix apaisante.
- Non ! Que s'est-il passé ? Je devais aller au travail… Je suis en retard ! Laissez-moi partir, s'il vous plaît !
- Vous avez fait des tonneaux. La police est en chemin.
- Mais c'est moi la police !
- Nous devons vérifier que vous n'avez aucune séquelle. Comment vous appelez-vous ?
- Eléa. Eléa Rosenflor.
- Quel jour sommes-nous ?
- Je... je ne sais pas... Dimanche ?
- Dimanche 17 octobre. Qu'avez-vous fait avant de prendre la voiture?
- Je ne m'en souviens plus...
- Vos souvenirs remontent jusqu’où ?
- Je ne sais pas, je venais d'apprendre que Charlie se lance dans la création d'une BD.
- D'accord, merci madame. Reposez-vous, je reviens dans deux minutes. »
Une minute, puis une autre : ça devrait aller. Ces deux minutes ont été très longues. J'ai pu analyser la pièce dans les moindres détails. Quand elle revient, elle m'annonce que mon dernier souvenir remonte à il y a cinq heures. Charlie, mon meilleur ami, lui aurait dit que l'on était en train de regarder la télévision quand soudainement je me suis levée et je suis partie pour aller au commissariat. J'ai été inconsciente pendant au moins trente minutes, c'est ce que m'a dit l'infirmier.
« - Vous vous en souvenez ? »
Je secoue la tête. Pourquoi j'ai voulu aller à mon travail ? Comme ça, un dimanche soir ? Je me torture l'esprit pour trouver une raison mais impossible pour moi de la trouver.

Mes collègues de la police sont venus dans ma chambre afin de prendre de mes nouvelles et de me donner l'état de l'enquête sur mon accident. Il n'y a aucun témoin et ma voiture se fait examiner pour savoir la nature de l'accident. On en saura plus dans quelques jours. Étant donné que ma seule séquelle est l'amnésie, je vais donc pouvoir sortir. Charlie, qui est venu directement après avoir su, m'aide à marcher un peu car j'ai une entorse. Il me pose pleins de questions mais pour la plupart je n'ai pas de réponse. Je regarde la route à travers la vitre. Le paysage défile devant mes yeux. Une fois rentrée, je vais immédiatement me coucher.

Je me réveille en pleurs et en sueurs. Un cauchemar. Cela faisait des années que je n'en avais pas fait. Mon chat en profite pour grimper sur mon lit. Je le prends dans mes bras.
« - Tu ne veux pas me dire toi ce qu'il s'est passé ces trois derniers jours ? Bah non, tu ne peux pas parler toi... Je trouverai par moi-même. Ça va bien me revenir non ?»
Je me lève, me prépare un café et allume la radio. Je crois que je suis la seule femme de 23ans à le faire mais j'aime bien écouter les actualités.
« - Il est 6h30 et c'est l'heure des informations avec Gilles Tiquet. Bonjour à toi, nous t'écoutons.
- Merci Catherine. Avant les infos, voici une chose qui pourrait vous intéresser vous et vos enfants: à l'occasion de la fameuse fête américaine Halloween, nous organisons un concours du meilleur déguisement. Un voyage aux États-Unis est à gagner !
- Ils ne savent plus quoi inventer... dis-je à moi-même en levant les yeux au ciel.
- Alors qu'une enfant vient d'être annoncée disparue, j'en parle un peu plus dans quelques instants, un corps inerte a été aperçu durant la nuit dans une des poubelles du restaurant Elarras à Arras. La police va arriver sur place… »
Je me dépêche de prendre mon téléphone et je vois que j'ai reçu quatre appels de mon supérieur. Il me rappelle pour la cinquième fois et je décroche. Il me demande de le rejoindre sur le champs suèr le lieu de la découverte du cadavre. Il m'envoie l'adresse par message et je cours me préparer. Une fois vêtue de mon uniforme, j'écris un mot à Charlie pour le prévenir que j'ai pris sa voiture. Je conduis jusqu'à l'adresse en faisant bien attention. Je n'arrive pas à comprendre comment sur une route droite j'ai perdu le contrôle de ma voiture et fait des tonneaux dans le fossé. Il doit bien y avoir une raison. Un attroupement se forme auprès de la scène de crime. Je sors mon badge et le montre à mes collègues faisant la sécurité. Je m'approche de mon supérieur. Il ne peut pas s'empêcher de me faire des réflexions :
« - Bah alors, on a pas réussi à se réveiller ? Hier tu as eu un accident mais aujourd'hui tu dois travailler. T'as du taff!
- Bonjour chef. »
Je préfère ignorer ces propos. Ma partenaire arrive et me prend à part afin de m'expliquer la situation.
« - Le gérant du restaurant a jeté ce matin ses poubelles et a aperçu une main. Il a donc retiré les anciens sacs pensant qu'un enfant s'était caché dans le conteneur. Il a donc découvert le corps et nous a appelé tout de suite après. Évidemment les journalistes sont venus pour avoir les actus en avant-première les curieux aussi, tu les connais, mais on avait prévu le coup et Karim se charge de faire la sécurité. L'enfant doit avoir environ 8 ans, la PTS s'occupe des preuves et du corps. J'ai une photo du visage de la petite fille, la voici.
- Ok merci Samya, dis-je en prenant la photographie qu’elle me tendait. On va regarder dans les alertes de disparition et on ira voir la PTS cet après-midi. Ils vont pouvoir nous donner des infos supplémentaires. Il faut qu'on cherche aussi si il n'y a pas eu d'autres témoins et interroger le gérant du resto. Je vais aller le voir pour le convoquer ce matin. »
Une fois mon action déroulée, je reprends la route et vais au commissariat. Je monte jusqu'au bureau que je partage avec ma partenaire. Celle-ci est déjà en train de consulter les alertes de disparition. Je m'installe à côté d'elle. On cherche comme ça pendant une heure jusqu'à ce que j’aille écouter le témoignage. Je l'installe dans un bureau vide au rez-de-chaussée et je lance la caméra. Je lui explique pourquoi je filme l'interrogatoire : quand ça touche aux mineurs, on filme toujours. Je lui demande de me répéter comment il a trouvé le corps. Il me dit exactement la même chose qu'il a dit à Samya. Je lui demande quand a été la dernière fois que lui ou l’un de ses employés se sont rendus à la poubelle. Il me répond qu'il y avait été la veille et que la poubelle ne contenait que deux sacs de dix litres. Je lui pose encore quelques questions d'usage qu'on pose régulièrement mais rien de très intéressant. Cet homme n'en sait pas plus et ne nous aidera aucunement dans l'enquête. Je ne perds pas plus de temps et je le renvoie chez lui. Je le sollicite tout de même de ne pas ouvrir le restaurant aujourd'hui et lui dit que la police scientifique restera sur place autant de temps que possible afin de recueillir tous les indices. Il s'inquiète pour l'image de son restaurant mais je le rassure aussi vite en disant que comme il n'a rien à se reprocher, l'enquête n'aura aucune incidence sur son activité professionnelle.

Lorsque je sors de la salle, je remarque que j'ai reçu un appel de mes collègues de la police scientifique pour le compte rendu. J'ai donc rendez-vous avec l’officier en charge de l'enquête ainsi qu'avec l'agent de la PTS en fin d'après-midi afin que j'en sache plus. Je retourne à mon bureau, m'assoies sur ma chaise, pose mes coudes sur le bureau et la main gauche sur mon front.
« - Eléa, j'ai trouvé une piste ! »
Je me lève d'un bond et me met derrière elle. Sur son ordinateur se trouve la photo du visage de l'enfant découvert à droite, la même qu’on m’a donné ce matin, et un avis de recherche à gauche. Je me rapproche pour comparer les photos. Les enfants se ressemblent : c’est la même personne. Je lis les informations : Lisa Porter, disparu le 21 avril 2021 - 6 mois de disparition, 7 ans. Lors de sa disparition, elle était habillée d'une robe violette, d'une petite veste noire et de baskets noires. J'attrape le téléphone fixe et j'appelle le commissariat d'où a été prise la déposition. Le brigadier est parti à la retraite mais on va m'envoyer le dossier. Je le recevrai donc demain mais on m'a donné le numéro de la maman. Je la téléphone pour lui annoncer ; je tombe sur sa messagerie vocale.
« - Bonjour Madame Porter, Lieutenant Rosenflor du commissariat d'Arras. J’ai besoin que vous veniez demain au commissariat. Je vous expliquerai tout sur place. Je vous remercie. Au revoir et bonne journée. »
Je déteste de devoir à annoncer la mort d'un enfant, c’est pourquoi je préfère l’annoncer en face à face. Annoncer ça est très difficile car nous devons rester professionnel mais on veut garder cette empathie et le faire en douceur. C’est vrai : comment voulez-vous apprendre que votre enfant disparu a été retrouvé mort dans une poubelle ? En premier lieu, on n’aimerait pas que ce soit le cas mais ensuite on voudrait qu’ils respectent notre tristesse, notre déception, notre dégoût. Il ne faut pas oublier que nous avons en face de nous un humain qui n’est pas habitué à ce genre de scène et qui a des sentiments et des émotions. C'est très rare les meurtres ici mais quand il y en a, c'est horrible pour nous d'enquêter mais aussi de faire face à la famille. J’ai vite qualifié cette mort d’assassinat pour plusieurs raisons : la première étant que l’enfant a été disparu. En effet si elle avait été seule durant tout ce temps, soit elle serait déjà décédée depuis un long moment, soit elle aurait été retrouvée. Quand bien même, elle n’aurait pas pu monter dans la benne ni mourir en une nuit. Pleins de questions fusent dans ma tête. Je descends prendre l’air. Je sens mon anxiété montée ; je n’ai nullement envie de faire une crise d’angoisse et encore moins dans mon bureau devant tout le monde. Au passage dans le hall, j’achète au distributeur un paquet de bonbons. Je m’assois sur un muret derrière le commissariat et je mange en me concentrant sur les sensations : le goût qu’ils ont, la manière dont je les mâche et dont ça fond en bouche, le plaisir que cela provoque à mon cerveau.

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