Partie 5

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     Je claquai brutalement le capot de la malle. La lampe posée à côté de moi n’éclairait plus que d’un faible faisceau et clignotait même un peu. J’étais bouleversée de découvrir ainsi mon père. Durant des mois, je lui en avais voulu de nous avoir abandonnés, alternant entre la tristesse et la colère mais jamais avec un sentiment modéré. Je ne pouvais comprendre cet égoïsme ni comment il en était arrivé là. La lampe s’étant définitivement éteinte, pour la première fois, je n’eus pas envie de fuir le noir qui m’environnait. J’étais bien à l’intérieur d’un caveau. J’avais posé ma main sur le cercueil d’un homme qui avait tenté de vivre. A travers toutes ces photos, il m’avait livré sa vie entière sans aucune retouche. Comme une tentative pour projeter ses rêves contre les parois du monde, il avait conservé une trace de tout ce qu’il avait parcouru. Des souvenirs et des bonheurs spontanés, physiquement imprimés dans cette malle pour tenter de se libérer des idées noires et fuir l’accablement d’une vie sans espoir. Comme durant toute son existence, il s’était battu seul. Il était parti un après-midi alors que nous étions à l’école et que ma mère travaillait. Il était parti sans un mot. La veille nous avions reçu un simple appel, accablant de banalité, il prenait de mes nouvelles et de celles de ma sœur et je répondis d’un simple « oui ». Ce furent ses derniers mots.

    Je crois qu’à cet instant je me mis à prier. Une prière du cœur, pour tenter d’attraper une dernière fois son étreinte, essayer de l’entendre me dire adieu. Je ne pouvais rien faire de ces photos, c’étaient les siennes et elles contenaient une partie de son âme. A tâtons dans le noir, en distinguant la discrète lueur qui émanait de l’extérieur, j’atteignis l’échelle pour remonter à la surface. La vue de la lumière me transperça de chagrin et je me sentis plus abandonnée que jamais. Je retournai dans la maison et j’y croisai ma mère, les yeux irrités et toujours imbibés de larmes. Elle s’immobilisa et me regarda ouvrir la porte du placard de l’entrée. Je ne lui lançai pas un regard et repartis en direction de la cave. N’ayant pas pensé à récupérer la lampe torche, je craquai une allumette pour retrouver l’emplacement de la malle. Puis je la soulevai par les poignées et la transportai jusqu’au pied de l’échelle. Je déroulai la corde autour de moi et la raccrochai à la caisse en métal, gardant les extrémités dans la main, je remontai à la surface une seconde fois. Une fois arrivée en haut, je tirai de toutes mes forces, les tempes en sueurs, les jambes bloquées contre les derniers barreaux qui faisaient office de poulie. La malle apparut et je rassemblai une dernière fois mes forces pour l’extraire totalement du boyau en essayant de ne pas me faire entrainer vers le fond. La manœuvre miraculeusement réussie, je transferrai ensuite la malle dans le coffre de ma voiture et me dirigeai hors de la ville.


    C’était début mars et la forêt commençait à reprendre des couleurs. Il avait fait un temps exécrable et la pluie avait creusé de larges sillons boueux dans les travées forestières. Mais soudainement, un grand soleil surgit d’entre les branches, faisant scintiller les feuilles et donnant aux flaques des reflets presque multicolores. J’ouvris une dernière fois la malle pour jeter un regard sur l’ensemble des photos, tenant toujours dans la main la photo de la mobylette. Je rangeai celle-ci dans la poche de mon blouson avant de craquer une allumette pour la jeter dans la malle. Une fumée noire s’en échappa et la flamme sembla étouffer avant d’embraser complètement son contenu. Une fois que toutes les photos furent consumées et qu’il ne resta que des cendres dans la malle en métal, je m’assis contre un tronc d’arbre, humant l’air pour espérer soulager le poids qui m’opprimait la poitrine. Un bruit de branchages dans mon dos fit tout disparaitre. Une bécasse isabelle sortit du fourré et sauta sur le tronc à côté de moi. En essayant de rester immobile, je fixai son œil marron qui brillait comme une perle, en contrastant avec son plumage crème. Elle croula un instant comme pour me parler, puis elle s’envola en direction des volutes de fumée.

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