SANS SUITE 49/ Jour 9 : Le repas de clôture (1)

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Je suis surprise quand Angie descend de la voiture et se précipite pour ouvrir le portail. J’ai tout de même du mal à croire à sa subite serviabilité. Ah ! C’est bien ce que je pensais ; elle s’est juste créé un passage pour pouvoir entrer. Avant que je puisse dire quoi que ce soit, John s’adresse à moi, plus qu’à n’importe qui d’autre :

— Pas d’affolement, je m’en charge.

Lukas est là, sur la terrasse, appuyé à la barrière, comme le tout premier soir, un verre à la main, une cigarette dans l’autre.

Je pénètre dans le salon et lui accorde un léger regard ; lui m’a suivi des yeux, je le sais. Avec son sourire ironique. Peu m’importe, je dois me doucher, m’habiller, me maquiller et me coiffer. En un temps record, soit dit en passant.

J’aurais dû m’en douter ! Angie courait s’accaparer la salle de bain ! Je la supplie derrière la porte de me faire passer mes affaires de toilette, mais rien n’y fait ; elle fait la sourde oreille.

En colère, je me réfugie dans ma chambre pour préparer mes vêtements. Face à l’armoire vitrée, mes yeux sont attirés par des cartons disposés du plus grand au plus petit sur mon lit. Mon cœur manque un battement ; je les reconnais ! La tenue que Lukas a achetée pour moi à l’occasion de la soirée chez les Madma ! Comment ose-il s’introduire dans ma chambre en mon absence ! Je cours jusqu’à lui et m’arrête à quelques centimètres. Sans crier, sur un ton sec, je lui fais part de mon irritation :

— Je te rappelle que mes quartiers sont privés. Tu n’es plus autorisé à y entrer. Suis-je assez claire ? Je vais te rendre tes cartons, pour la seconde fois, et tu pourras en disposer comme tu veux. Revends-les à une de tes œuvres de charité ou donne les à des pauvres, je m’en moque.

— Je pensais que tu serais ravie de les porter ce soir. J’ai eu tort, pardon. J’ai… commandé une voiture. Pour aller à la soirée tous ensemble.

— Bien, ta sœur en sera heureuse ; elle n’a pas de cavalier.

Ma tirade terminée, Leandra me tend ma trousse de toilette et mon nécessaire de maquillage.

— J’ai réussi à récupérer ça pour toi. Je vais aux douches, tu viens ?

— Tu veux bien m’attendre quelques minutes ?

Je repars jusqu’à ma chambre, empile les cartons les uns sur les autres et les dépose devant la porte de Lukas avant de récupérer ma robe noire à strass, jetée sur mon lit quelques instants plus tôt.

Sans sèche-cheveux et fer à lisser, je suis vite prête. Je me suis contentée de déposer de la mousse dans mes cheveux. J’aurai ce soir une coupe naturelle et mouillée.

Les autres sont toujours là quand je rejoins la villa, et Mickaël est déjà arrivé.

— Ton tacot va gêner, mec ; déplace-le, lui ordonne Lukas.

Puis à mon intention, sa bouche formant une parenthèse à l’envers, hargneux et avec un regard hautain :

— Ton cavalier t’attend, Marie-Madeleine.

Serait-il en train d'exprimer la profondeur de sa déception ? Monsieur Sullivan comprend enfin que pour être accompagné, il faut proposer, inviter... Qu'il n'est pas le nombril du monde, comme il l'a toujours cru.

Je lui adresse un sourire, hausse les épaules et pars ranger mes affaires dans la salle de bain enfin libérée.

Puis, plutôt fière de moi, je repasse devant mes amies et les américains, conduite par Mickaël. Sans un regard en arrière, je monte dans le camion.

— Pourquoi t’es-tu garé plus loin ? Tu n’as pas d’ordres à recevoir de lui.

— Je craignais de déclencher une dispute et je n’en avais pas envie. Je n’aime pas te voir stressée, avoue-t-il avec douceur. Surtout à cause de lui. Je crois qu’il n’apprécie pas que nous passions la soirée tous les deux.

Nous nous taisons pour laisser passer et admirer la limousine noire qui remonte la rue.

— Il s’en remettra vite ; ne t’inquiète pas pour lui. Pour ma part, je suis ravie d’être dans ton vieux tacot tout neuf, et de partager cette soirée avec toi, je le rassure avec un clin d'oeil.

Je lui souris pour accentuer le comique de mes mots. Son véhicule de société n’a rien d’un tacot ; il est au contraire très récent, et ça se voit. Il me rend mon sourire avant de reprendre :

— Tu es sûre de toi ? Le confort d’une limousine, c’est quand même autre chose. Tu bois du champagne, les gens se retournent quand la voiture arrive, ils te regardent en descendre avec envie.

— Je mentirais si je disais que ce n’est pas agréable, mais je trouve ça inutile et éphémère. C’est vrai, à quoi ça sert d’arriver dans une belle voiture, de provoquer l’envie et la curiosité des gens, puisqu’au final ils te jugeront ? Tu te souviens de ce qu’il s’est passé chez les Madma. Pour moi, ceux qui montrent ainsi leur richesse font preuve de vanité. Je préfère la discrétion, je déclare avec détermination.

— Je suis d’accord avec toi, mais j’ai éprouvé une certaine fierté quand nous sommes arrivés.

— Pourtant, tu es resté seul presque toute la soirée. Mickaël, je ne suis pas Angie ; je ne te laisserai pas, moi.

— Vraiment ? Même s’il se montre insistant ? me défie-t-il avec un regard moqueur.

— Qui, Lukas ? Il ne m’atteint plus. Je ne lui ai pas répondu sur la terrasse. J’ai même réussi à garder mon calme. Il est éphémère, comme tout ce qui compose sa vie ou son milieu.

Mickaël n’ajoute rien, et j’ignore la petite voix dans ma tête qui me demande qui je cherche à duper. Le silence s’installe. C’est triste pour une soirée où nous sommes censés faire la fête. J’allume la radio, à la recherche d’un air entraînant et nous discutons de nos goûts musicaux. Lui, aime les chansons françaises, qu’elles soient modernes ou plus vieilles :

— J’aime comprendre les paroles. Toutes les paroles.

J’écoute le titre qui passe à la radio. Belle, de la comédie musicale Notre dame de Paris. Je l’adore, je l’avoue. Je me retiens pour ne pas fredonner ou chanter en cœur, car il s’agit d’une chanson d’amour, et je préfère prendre des gants avec Mickaël. Je l’aime beaucoup, en tant qu’ami.

Nous avons ensuite droit à Andy, des Rita Mitsouko. Nous chantons en faisant les pitres, et nous nous esclaffons encore lorsque nous arrivons à l’entrée de la salle des fêtes.

Alors que nous franchissons le seuil, Mickaël me glisse à l’oreille :

— Cette fois, personne pour nous accueillir.

Je souris d’un air entendu.

La salle est très grande ! Je m’attendais à des tables rondes de huit et dix personnes, mais elles sont au contraire rectangulaires, disposées dans un désordre ordonné. Je compte une vingtaine de chaises par lignée.

Mickaël aperçoit ses collègues, qu’il me propose d’aller saluer. Les présentations faites, il me demande de l’attendre quelques instants et s’éloigne, sans que je n’ai pu protester. Je le suis des yeux. Il porte le même smoking que le soir de notre invitation chez les Madma. Ses épaules et ses bras sont toujours coincés dans la veste, mais cela ne choque pas. Bien au contraire, on devine sous ces vêtements un homme qui entretient son corps musclé. Je ne peux m’empêcher de l’admirer, tandis qu’il demande deux coupes de champagne et remplit une assiette de canapés.

Il s’enquiert de la table choisie par ses collaborateurs et s’assure que je ne souhaite pas dîner auprès de mes amies. Je n’y vois aucun inconvénient. Sybille et Leandra vont passer la soirée en compagnie de John, Angie et Lukas, et plus je me trouve loin d’eux, mieux je me porte. De ce dernier en particulier.

Ainsi, Mickaël m’invite à prendre une chaise et me propose les toasts avant de les reposer sur la nappe. J’en saisis un, et curieuse :

— Qu’est-ce que c’est ?

— Aucune idée. Goûte et si tu trouves ça bon, je me lancerai peut être.

Quelque chose me perturbe. C’est le brouhaha ambiant qui s’est éteint. Je regarde les gens qui m’entourent et constate qu’en effet, plus personne ne parle. Tous les visages sont tournés dans la même direction et, d'instinct, je suis les regards. D'instinct, car je sais déjà ce qui les attire ainsi. Ça ne peut être que l’arrivée de Lukas et Angie. En effet, je les distingue entre deux têtes.

Ils font leur entrée avec classe et grâce, comme des stars, John, Leandra et Sybille à leur suite. Je me détourne, écœurée par leur suffisance, mais l’image de cet homme irrésistible s'est déjà rappelée à ma mémoire. Il porte ce soir la tenue du riche homme d’affaire, un costume sur mesure anthracite sur une chemise blanche plus que blanche et une cravate couleur argent maintenue en place par une pince en or qui brille sous les lumières.

Je dois à tous prix éviter de poser les yeux sur lui, ne pas le laisser exercer ce puissant attrait qui fait de moi son esclave. En gros, je ne dois pas penser à lui, sous peine de délaisser encore Mickaël et de lui faire du mal. J’ai résisté à la tentation nommée Lukas toute la journée, que ce soit en souvenir ou en personne, je devrais y parvenir encore pour le peu d’heures qu’il nous reste.


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