La mise au point

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Malheureusement mon vœu ne fut pas exaucé. Je me réveillais une fois de plus dans cette chambre d'hôpital. Le réveille fût plus facile au moins. L'infirmière était en train de changer une poche de perfusion lorsque j'ouvris les yeux.

— Bonjour, me salua-t-elle.

— Bonjour.

— Je vais vous aider à vous asseoir et on va faire un test de déglutition. Le fait que vous arrivez à parler est bon signe, mais il faut que l'on s'assure que vous pouvez à nouveau manger seule.

À ces mots, mon estomac cria famine. Elle m'indiqua un petit tuyau qui passait dans mon nez afin de remplir directement mon estomac d'une alimentation liquide.

— C'est une sonde naso-gastrique. On va la laisser tant que vous ne pouvez pas vous nourrir parfaitement seule. On va y aller par étape, en commençant par de la gelée. Quel parfum préférez-vous ? Citron, menthe ou fraise ?

— Menthe.

Le temps qu'elle aille me chercher à boire, j'en profitais pour réfléchir à ma situation. Mon cerveau était rempli de doutes et il me fallait un minimum de certitudes pour mon équilibre mental. Comment savoir si nous étions bien à Nîmes, en avril 2003 ?

Comment pouvait-on expliquer que ces dix-huit dans de vie, de rencontre, de voyages, de connaissances n'avait pas eu lieu ?

L'infirmière revint avec la gelée et je tentais de l'avaler avec succès. Cette fraîcheur dans ma bouche me fit un grand bien. Je profitais de la présence de la jeune femme pour lui demander d'allumer la télévision sur les chaînes d'informations.

— Nous n'avons pas le câble ni les chaînes étrangères.

J'allais lui demander s’ils avaient la TNT, mais je compris que ça n'existait pas à cette époque. Est-ce que j'avais tout imaginé ?

Elle me laissa tout de même la télécommande et je finis par arriver sur le journal de 20 heures sur la une. PPDA présentait le journal. Nous étions le lundi 14 avril 2003. Trois grands truands avaient réussi à s'évader d'une prison par hélicoptère dans les Bouches-du-Rhône, les tensions avec la Syrie et les Américains montaient en flèche, ces derniers venaient de prendre Tikrit, fief de Saddam Hussein.

Je réalisais alors que beaucoup de choses n'avaient pas eu lieu. Pas encore ? C'était une grande question. Je réfléchissais à ce qui avait bien pu se passer dans mes souvenirs en 2004. Je me souvins de la canicule qui avait fait plus de quinze mille morts en France et de la mort de Marie Trintignant. J'étais une grande fan de noir désir et cet événement avait signé la mort du plus grand groupe de rock français de l'époque.

J'aurais bien fait des recherches sur mon smartphone, mais je pensais que ça n'existait pas encore. C'était tout juste le début des appareils photo sur les portables...mais surtout c'était le tout début d'internet, alors c'était trop tôt pour Google, Facebook et compagnie.

Dépitée, je cherchais dans ma mémoire de comateuse des souvenirs agréables de cette époque. J'étais à Toulouse à la l'université Paul Sabatier. J'étais en première année de Licence Communication-Information. À l'époque je voulais devenir journaliste ou graphiste. Je bossais dans une clinique à faire des ménages et je complétais avec du baby-sitting. J'avais une rente de l'assurance-vie de mon père tant que je continuais mes études, mais j'avais beaucoup de choses à payer et je ne pouvais pas économiser avec juste cette rente. Et puis j'avais besoin de faire quelque chose d'utile.

Je ne sortais pas énormément, car les étudiants n'étaient pas des plus chaleureux avec les nouveaux, surtout s'ils ne venaient pas de Toulouse. J'étais un petit bout de femme complexée, qui vivait seule avec ses chats et qui passait son temps libre à lire, à réviser ou travailler. J'étais sociable, mais mon départ pour la ville rose était un nouveau départ. Alors je ne connaissais pas grand monde à l'époque.

Toutes ces connaissances acquises en cours, je ne pouvais pas les avoir inventées tout de même !

Je passais la soirée et une partie de la nuit à cogiter là-dessus.

Le lendemain matin, on m'installa dans un fauteuil roulant et je pris une douche assise. L'aide-soignant m'aidant un peu et me surveillant comme de l'huile sur le feu. J'essayais un peu de le détendre en plaisantant un peu. Il était accroupie, en train de me laver les pieds, car j'étais trop faible pour le faire pour l'instant. Mon corps reprendrait sa tonicité avec le temps et la kiné. La pièce en plastique blanc était éclairée au plafond. Dans un nuage de buée, je profitais des bienfaits de l'eau chaude sur ma peau.

— Je ne vais pas m'envoler ou partir en courant, vous savez ?

— Je sais bien. Souris-t-il. Je me suis occupée de vous presque tous les jours durant ces deux ans. Je n'ai pas envie que vous vous cassier la tête par terre bêtement après ça. Encore moins sous ma surveillance.

— Je n'étais pas trop pénible comme patiente ?

— Non vous étiez ma préférée. La moins difficile, mais la plus têtue, car vous avez longtemps refusé de vous réveiller.

Je rigolais à sa blague. Puis, alors qu'il m'aidait à m'habiller, il m'interrogea.

— C'est vrai que vous pensez être en 2020 ?

— En 2021, oui c'est ce que je pensais hier.

— Pourquoi ?

— Je ne sais pas encore expliquer ce qu'il s'est passé, mais dans ma tête j'ai dix-huit ans de vie qui ont défilé. Et je ne sais pas encore si j'ai tout inventé. Je sais que ça a l'air tiré par les cheveux, mais j'ai l'impression que j'ai vu ce qui allait se passer.

— Un peu comme une médium qui fait des rêves prémonitoires ?

— Un rêve prémonitoire qui dure deux ans ? C'est une façon de le décrire, mais oui, ça y ressemblait. Sauf que j'ai tout vécu de mon point de vue et j'ai tellement de détail, de souvenirs, de gens que j'aime. Je ne peux pas abandonner tout ça...

Sentant mon moral en berne, l'aide-soignant me serra la main.

— Je m'appelle Bastien et moi je vous crois. Je sais qu'on ne peut pas tout expliquer dans la vie. Quand vous serez sortie d'ici, je pourrais vous aider dans vos recherches ?

— Pourquoi feriez-vous ça ? Ce n'est pas votre travail.

— Peut-être que moi aussi j'ai des intuitions puissantes qui me poussent à vous faire confiance et à vous aider ?

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