MAÏDAN, DE QUELQU'UN À QUELCONQUE.

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Image de couverture de MAÏDAN, DE QUELQU'UN À QUELCONQUE.

Année 1899 : La création. ( Autriche, Vienne).

Elle avait un dos plus joli et plus intelligent que le visage de beaucoup de modèles. C’est par cet esprit que Gustav dépeignait Maïdan.


Elle avait consenti à poser pour lui. De longs mois d’hiver ont été nécessaires à Gustav pour convaincre Maïdan. Son refus avait grandement surpris tant les femmes à vouloir se prêter aux exigences parfois capricieuses de ce bon vivant étaient nombreuses. Elles trépignaient pendant des heures dans la pièce attenante à son atelier, niché dans un grand jardin à Vienne. Gustav permettait à toute femme de venir s’assoir et d’attendre leur tour. Il les choisissait au gré de l’inspiration du moment et, bien entendu, si l’inspiration se présentait. Elles fumaient et conversaient sur les rumeurs qui couvraient l’artiste. Deux d'entre elles faisaient la une des curiosités. La première était l’existence de dix enfants qu’il refusait de reconnaître car de toute manière trop désargenté pour subvenir aux besoins des différentes mères, et ensuite, qu'il vivait, à l’âge de quarante ans, encore avec sa vieille mère. En fin de journée, elles avaient épuisé tous les sujets de divertissements ainsi que leur cigarettes.  Leur tour n’arrivait jamais.


Maïdan était la seule à pouvoir incarner le tableau à venir. Pour la première fois de son existence Gustav comprit assez vite qu’il avait affaire à une femme libre mais surtout que l’attitude générale de Maïdan correspondait en tout point à sa nouvelle pensée artistique. Non pas qu’elle chérissait une certaine idée de l’égalité mais, mieux que cela : Une femme totale. Sa manière fluide, déterminée et harmonieuse de marcher offrait le même plaisir que celui de réécouter sans cesse une chanson que l’on apprécie grandement. Aucune lassitude ne semblait l’atteindre. Son style vestimentaire rendait les autres jeunes filles monotones et figées dans l’espace. Maïdan s’habillait constamment dans l’optique de la nouveauté et de l'inattendu. D’ailleurs, Émilie Floge, une styliste viennoise, lui avait proposé de porter ses nouvelles créations pour incarner son mouvement de réforme vestimentaire. Maïdan était devenue ainsi la première représentante du féminisme de son époque à Vienne.

C’est à cette occasion aussi que Gustav avait rencontré Maidan puisque Emilie Floge était la compagne de Gustav. Ils vivaient dans des appartements séparés et l’a trompait allègrement d’où peut-être la rumeur connue des dix enfants. Maïdan avait cette puissance de se définir en tant que femme total en faisant correspondre chaque traits de sa personnalité à un art, le tout dans une harmonie parfaite. Cette particularité, rare à l’époque et de nos jours, provoquait chez Gustav des sentiments d’insécurité, d’instabilité et de découverte constante. Pendant tout l’hiver, le peintre partait à sa recherche pour la convaincre, déambulait dans les rues de la capitale autrichienne avec l’illusion qu’il la voyait partout. Désespéré, il patientait chaque jour tant bien que mal jusqu'à la fin d’après-midi pour la retrouver au Café Central. Elle était souvent accompagnée de Peter Altenberg, un écrivain dont Maïdan admirait l’écriture incisive et le mode de vie rudimentaire. Gustav pensait qu’elle fréquentait cet être loufoque pour susciter en lui de la jalousie et lorsqu'il se résolut à comprendre que ce n’était guère l’intention de Maïdan, son désir de la peindre avait atteint le seuil de l'obsession.

L’oeuvre projetée par Gustav étaitt la représentation d’une femme nue. Maïdan tenait à s’assurer de deux choses. La première est de ne pas lui faire endosser le rôle de muse. Elle exécrait ce terme. Elle estimait que c’est une supercherie qui consiste à nier le talent d’une femme en faveur d’une prétendue réflexion artisitique masculine ou à réduire l’intelligence d’une femme à une simple inspiration pour nourir celle d’un homme moins sensible au monde. La deuxième, que la nudité de la Femme devienne une attitude propice à la réflexion sur soi.

En son for intérieur, Gustav était convaincu que Maïdan était et sera toujours un paradigme nécessaire pour une vision nouvelle de l’humanité.



C'était la dernière nuit. Gustav venait d’achever son tableau qui allait célébrer la rupture avec les règles de la peinture académique, de la morale, de la bienséance et de l’hypocrisie.

L'atelier, meublé d’une large table en bois tachetée d’huile et de peinture et d’une armoire appartenant à sa mère, craquait sous le poids du silence. Maïdan contemplait cet imposant chevalet qui soutenait l’incarnation de la Vérité sans compromis. À son tour, l'œuvre la fixait. Sans quitter sa propre image des yeux, Maïdan suggéra à voix basse le nom de Nuda Veritas. Après un long silence, Gustav concéda qu’il n’ y avait pas d’autres titres possibles car seule une femme nue pouvait incarner l’idée de Vérité. La Nudité féminine comme la Vérité dérangent. Les hommes faibles et frustrés les cachent, les travestissent, les agressent ou les violent, avait ajouté Maidan.

Maïdan scrutait toujours cette allégorie de la Connaissance de soi à qui elle a prêté son corps.

— Regarde son visage figé, cette main fine qui brandit le miroir et ce serpent enroulé à ses pieds, l'interpella-t-il.

— L’ensemble est aussi attirant qu' effrayant, jugea-t-elle. Tu as fait de son regard une force divine et… rien ne semble lui échapper …

— C’est ton regard Maïdan, la coupa t-il. Comme toi, Nuda Veritas nous invite à reconnaître notre méconnaissance quant à notre existence. Travestir nos paroles en votre présence fait de nous des êtres risibles. Le miroir qu’elle porte incite chacun de nous à accepter es profondeurs qui nous constituent ; à déconstruire toutes les illusions, les affabulations, les blessures, les frustrations, les idées inculquées et les joies éphémères qui s’étaient accumulées depuis notre arrivée sur Terre.

— Tu es ambitieux ou naïf, l’esprit humain est aussi agile qu’une croyance religieuse, asséna-t-elle avec un sourire songeur. Je suis épuisée, à croire que Nudas Veritas s’est emparée d’une grande partie de mon être, c’est étrange …

Maïdan devint amère et ne partageait plus l’enthousiasme de Gustav. Qu’elle le veuille ou non, elle se savait liée à cette entité. Elle n’ignorait pas que c’était Nuda Veritas qui allait être exposée pour interroger les profondeurs de l’humain mais tout de même ! Elle était la version vivante de ce tableau à qui elle a offert une partie de son âme ! Elle craignait désormais qu’aucune personne ne puisse la regarder sans s'infliger la vérité ; souffrir et peut-être en mourir. Était-ce bien là son rôle ou celui de Nuda Veritas ?

— Gustav … Il serait bon de la détruire, de la brûler ! de…de… ! Maidan se laissait porter par une angoisse indescriptible.

— Que se passe-t-il Maïdan ? Gustav s’approcha et posa ses mains sur ses épaules, comme pour la rassurer. J’ai respecté tes consignes … j’ai peins Nudas Veritas à ton image, elle parlera au nom de tous les être humains, les confrontera à leur vérité… elle représente ta force, ta liberté …

— Justement ! s’était- elle emporté. Je ne le veux plus ! … As-tu le droit de nous exposer à tous les maux de l’humanité ?! Nous n’avons rien demandé ! Moi je veux une vie paisible et Nudas Veritas n’a pas demandé à exister ! Tu te comportes comme le Créateur et …

— Je suis un artiste ! Et mon rôle est d'interroger la Création ! C’est aussi le rôle de l’Art !

— Tu t’es servi de moi ! accusait Maïdan. Je vais tout dénoncer, avait-elle prévenu.

— Dénoncer quoi ? interrogea Gustav, les yeux écarquillés. Je crois surtout que tu as peur d’assumer ce que tu es. Nudas Veritas traversera le temps, les gens du monde entier viendront la voir pour se confronter à elle et à eux-même, elle sera autant aimée que haï. Maidan, par cette œuvre, je t’offre la vie éternelle.

— Détruit cette chose Gustav ! Ordonna t-elle.

Gustav restait toujours immobile et la suppliait par la force des yeux de revenir sur sa décision et de permettre la naissance de cette nouvelle ère artistique et humaine. Maïdan baissa la tête et se dirigea lentement vers la table. Elle semblait ne plus s’appartenir, un impératif mystérieux dictait ses gestes. Quant à Gustav, il retrouvait peu à peu sa tranquilité intérieure, se remettait à prendre quelques gorgées de vin et désirait la blottir dans ses bras pour mettre fin définitivement à cette idée saugrenue de détruire la toile. Quelques minutes s’écoulent. Soudainement, ses yeux sont attirés par un mouvement discret mais suspect de la main de Maïdan. Elle se saisit d’un fin couteau et s’apprête à bondir sur Nudas Veritas. D’un geste réflexe, Gustav lançait le verre de vin à moitié plein sur le visage de Maïdan. Plaquée au sol, elle oscille entre la douleur et le plaisir de voir cet être déjà si fou de son œuvre. Elle relève la tête, quelques gouttes de sang s'échappent de ses cheveux pour se mélanger au vin et humidifier le parquet abîmé. Gustav s’était rapproché et se tenait debout près de Maïdan.

— Laisse-moi partir Gustav, je suis fatigué, chuchotait-elle.

Gustav ne répondait plus et ses yeux étaient vides. Il s’était accroupi en faisant glisser la paume de sa main sur le visage pâle de Maïdan. Elle esquisse un sourire. Nudas Veritas assistait à la scène et son regard avait croisé celui de Maïdan lorsque Gustav fit pénétrer férocement un morceau de verre de vin dans la gorge de la femme totale. Il réitéra mécaniquement le geste, toujours au même endroit, puis exerça une pression sur sa bouche et son nez pour accélérer sa mort.

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PROLOGUEChapitre2 messages | 1 an

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