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Vincent mit le reste des vacances à profit pour vérifier ce que lui avait dis Marco. Il découvrit l’histoire des Von Voght, et les signes incohérents de la grossesse de la femme, dont l’accouchement semblait avoir été effacé des archives de l’hôpital. En lisant leur histoire, il se mit à imaginer ses parents – les vrais – il découvrit qui avait été son père, ce qu’il avait réalisé, et ce qu’il avait laissé derrière lui. Un héritage moral, plus précieux que ses biens ; une vision, un projet pour la ville, déchiré par les familles qui, à la chute du Conseil des Pères, s’étaient déchirés les quartiers, ce qu’on avait appelé « Le Chaos ».

Lorsque Vincent retourna à la Benedict L. Forscythe High School en tant que Worthington, il commença à se rapprocher de la jeune Ashley. La fille de Harvey Forscythe était blonde avec de longs cheveux, un visage parfait, un corps dont elle prenait soin et un rire communicatif. La première fois qu’il parla avec elle, il faillit oublier qui elle était, tant son naturel semblait à Vincent comme s’il revenait dans le passé, à l’époque où rien n’était grave ni important. Mais il se força, tout en devenant une connaissance, de toujours superposer à son visage celui de Harvey Forscythe, l’assassin de ses parents.

Ashley, cependant, n’avait rien à voir dans l’affaire. Elle n’était que la fille du richissime patron et semblait mener la vie d’une lycéenne tout à fait normale. Vincent se sentait presque mal de l’entraîner là-dedans. Au fil des semaines, il se mit à la croiser sans son groupe d’amis, et ils eurent des discussions plaisantes à propos de tout et de rien. Mais toujours, Vincent cherchait l’occasion de la questionner sur son père, sur l’entreprise, avec cet intérêt feint, celui d’un admirateur pour la famille dont elle était issue et qui représentait tant dans cette ville.

— Je ne sais pas grand-chose de ce que fait mon père, dit-elle un jour. Il nous a toujours tenues à l’écart de ses affaires, moi et ma sœur, du moins jusqu’à ce qu’elle soit à l’université. Souvent il me parle de la ville et mon avenir, mais franchement, pffff !

— La vie de la cité ne t’intéresse pas ? demanda Vincent, sans savoir s’il investiguait ou s’il était honnêtement curieux.

— C’est pas ça, mais comment dire… j’ai pas envie d’y penser, tu vois ? J’veux dire, à l’instant je veux un truc, mais après, je sais pas.

— Et qu’est-ce que tu veux ? demanda Vincent avec un ton et un sourire volontairement séducteur.

— J’aimerais bien connaître des lieux différents. Hors des villes. Je suis jamais partie d’ici.

— Mais en tant que fille d’Harvey Forscythe, t’as quasiment les clés de la ville ! Tu pourrais aller n’importe où après !

Ashley rit à gorge déployée, et Vincent la regarda avec un émerveillement qui le surpris lui-même.

— Je suis sûre que ma mère aussi avait de grands rêves ! Et qui sait, mon père lui-même rêvait peut-être de faire le tour du monde ! Voilà le résultat !

— C’est ça que tu voudrais ? demanda Vincent, plus bas, faire le tour du monde ?

— Je sais pas…

Le ton d’Ashley s’était fait plus pensif, presque mélancolique. Vincent la regarda avec une certaine pitié.

La cloche sonna et les cours reprirent. Lorsque le printemps arriva, Vincent et Ashley se souriaient, se saluaient en se croisant, et étaient devenus des amis.

— J’aimerais bien, quand même.

— Quoi ? fit Ashley, juste entrer dedans ?

— Non, mais visiter la tour, quoi. C’est un bâtiment immense, et puis y a des expos en plus, sur ton ancêtre, Benedict L. Forscythe.

— Oh ouais, pfff, l’autre vieux là…

Vincent rit en voyant l’air d’Ashley. Son rapprochement l’amenait chaque jour plus près de rencontrer Harvey Forscythe. Il n’était pas inconscient du fait que son attitude par rapport à Ashley avait changé, mais il n’avait pas vu ça venir. Il s’en voudrait, si elle devait souffrir de sa mission. Mais s’il le fallait, il n’hésiterait pas.

Le 27 mars à 18 heures, les cours se terminèrent et Vincent attendit Ashley sortant de la classe 39B. L’apercevant, celle-ci se détacha de ses amies. Vincent avait remarqué les œillades, les messes basses, et se disait qu’une attirance de sa part faciliterait d’autant plus sa mission. Ashley devait attendre la fin d’une réunion pour rencontrer un professeur, et Vincent attendit avec elle. À 19 heures, le lycée était quasiment désert lorsque les professeurs partirent. C’est là que Vincent perçut le sifflement.

C’était un sifflement animal, mais aucun animal de la sorte ne pouvait se trouver ici, au cente-ville. Vincent sentit la menace ; il ne l’avait jamais oubliée. La prime sur sa tête n’était jamais partie de son esprit. Est-ce que la mort était venue le cueillir ce soir ?

— Vincent ? Qu’est-ce que tu fais ?

Le garçon avait soudainement serré le poignet d’Ashley, l’empêchant d’avancer. Il ne savait pas d’où allait venir le danger, qui l’attendait. Trop de bâtiments en hauteur, trop peu de visibilité. Il tira Ashley et courut vers l’escalier.

— Aie ! Tu me fais mal ! Mais qu’est-ce qui te prend ?

— Pas le temps de t’expliquer, viens.

Vincent était en sécurité avec Ashley près de lui ; si Forscythe ou quiconque voulait le tuer, ils ne prendraient pas le risque que l’héritière le soit aussi. Vincent avait toujours sa dague, qui ne le quittait jamais, attachée par une bande élastique contre son mollet.

Il monta les escaliers de secours et grimpa la dernière volée menant sur le toit du bâtiment B. Là, la visibilité lui permettait de voir quiconque arriver, de n’être pas pris en traître. Le soleil se couchait sur la ville, à l’ouest, inondant le béton d’une lumière orangée magnifique.

Alors il le vit. À contre-jour, il se découpait sur le soleil couchant, debout sur le parapet de l’autre côté du toit. Il descendit sur le sol et s’avança vers eux. Le soleil éblouissait Vincent, le faisant plisser les yeux.

— Vincent, tu me fais peur ! Dis-moi ce qui se passe !

— C’est ton père qui m’envoie un tueur, encore, laissa échapper Vincent, agacé.

— Mon père qui… quoi ?! T’es pas bien ?!

Un bruit d’acier brisa le silence, une lame renvoya la lumière du soleil. Le tueur tira un sabre de son fourreau.

— C’est qui ça ?! fit Ashley, le voyant soudain. Elle veut quoi ?!

Vincent remarqua alors que, effectivement, la silhouette qui s’avançait était celle d’une femme. Une femme pas très grande, vêtue d’un ensemble près du corps. L’arme qu’elle tenait était un katana. Vincent tira d’un coup Ashley devant lui, lui arrachant un bref cri de douleur.

— C’est la fille de Forscythe ! cria-t-il. Ne bougez plus et il ne lui arrivera rien !

Vincent avait sortit sa dague, bien visible, pointée sur le flanc d’Ashley. Il serrait les dents, priant pour que la tueuse renonce. Il ne se sentait pas capable de blesser Ashley. Et si la tueuse n’avait rien à voir avec Harvey Forscythe ?

La mystérieuse épéiste fut soudain assez proche et se rua sur Vincent. Celui-ci, sans réfléchir, lâcha Ashley, la poussant à sa droite, et concentra son regard sur la lame du katana pointée sur sa poitrine. Avec une précision diabolique, il fit glisser l’acier de sa dague sur celui du sabre et écarta l’arme au dernier instant. Une seconde, il vit le visage de son assaillante ; une asiatique aux cheveux noirs et aux yeux déments. Puis elle bondit vers l’arrière, se préparant à un second assaut. Il n’y aurait pas de répit, comprit Vincent.

Vincent jeta un œil à sa droite et vit Ashley, prostrée dans un coin. Il lut l’incompréhension dans ses yeux, quand leurs regards se croisèrent. S’il survivait à ce soir, Vincent se promit de tout lui dire.

La tueuse au sabre semblait avoir compris qu’elle n’avait pas n’importe qui face à elle. Elle jaugea son adversaire aussi intensément que Vincent l’observa lui-même.

— Qui t’as engagé ? lui demanda Vincent sans réel espoir de réponse.

La tueuse garda le silence. Ses longs cheveux noirs attachés derrière sa tête laissaient son visage parfaitement visible, quand leur ronde les amena à se trouver avec le soleil en biais.

— Je suis Ji-Eun, dit alors la tueuse. Tu vas mourir, ce soir.

Ji-Eun. Jiwun, pensa Vincent. Il avait toujours cru que l’assassin renommé était un homme. Elle avait prononcé son nom distinctement, en deux syllabes. C’était donc elle ? Impensable, et pourtant…

Elle ne laissa pas à Vincent le loisir de tergiverser. Elle bondit à nouveau, et cette fois, quand le jeune homme dévia sa lame, elle lâcha son sabre d’une main et envoya son coude dans son visage. Vincent sentit l’os contre sa pommette et recula sous le choc. Il tira son stylet et para in-extremis un coup de taille du katana, en le déviant vers le bas. Alors, sentant l’avantage de son adversaire en terme d’allonge et de rapidité, Vincent se propulsa contre elle de tout son poids et saisit son katana d’un même mouvement. Ji-Eun lui donna un coup de genoux dans le ventre, mais Vincent ne lâcha pas.

Alors, soudainement, une troisième paire de mains apparut au-dessus d’eux et Ashley saisit le katana, surprenant l’assassine qui, déstabilisée, perdit son équilibre. Elle se réceptionna dans un geste fluide et gracieux pour amorcer un nouveau coup vers Vincent.

Le jeune homme n’était pas rodé au combat physique, même si son séjour chez les Lames ne l’y avait pas laissé démuni non plus. L’assassine semblait diaboliquement agile sans son arme. Vincent ne pouvait imaginer un instant se passer de sa dague ou de son stylet pour l’affronter, même à main nues.

Soudain, une sonnerie de téléphone retentit. Ji-Eun recula d’un bond hors de portée, puis elle extirpa de sa combinaison un appareil de communication.

— Ji-Eun, dit-elle.

Elle resta impassible un instant, écoutant. Vincent ne bougea pas. Sur sa droite, Ashley non plus.

Puis l’assassine rangea l’appareil et, sans un mot, se détourna de Vincent. Passant près d’Ashley, elle pris son sabre brusquement. La jeune fille sursauta et recula vers Vincent. Ji-Eun ramassa le fourreau de son arme et disparu en sautant du parapet.

Vincent n’avait pas eu conscience de sa propre peur jusqu’au moment où, la menace disparue, il vit Ashley courir vers lui les yeux brillants. Sans un mot, sans que lui ne s’y attende, elle se blottit contre lui. Vincent voulut la repousser, mais il la laissa faire.

Elle avait attaqué, malgré Ashley. Vincent se repassa la scène en tête, alors qu’ils sortaient du lycée enténébré. Ce n’était donc pas Harvey Forscythe le commanditaire : il savait de quoi était capable Vincent, il n’aurait pas mis la vie de sa fille en danger en l’y abandonnant ainsi. Mais qui, alors ? Pour autant, il ne devait pas laisser Harvey Forscythe être mis au courant de ce qui s’était passé. Si cette tueuse avait été envoyée par un autre acteur de cette partie d’échec, peut-être Forscythe ignorait-il toujours tout de son existence.

— Vincent ? Qui… qui es-tu, réellement ?

— Pas ici. Pas maintenant, répondit le jeune homme.

La tenant toujours fermement il l’amena à travers les rues de la ville. Ashley Forscythe se laissa faire, mi-confiante, mi-effrayée par ce garçon dont elle se pensait l’amie, et qui lui apparaissait comme un étranger, tout à coup.

Vincent l’amena jusqu’à la gare, à l’écart du centre, dans un bâtiment en chantier, abandonné près du squat.

— Je dois rentrer chez moi, dit Ashley, hésitante.

— Je ne peux pas te laisser faire ça, répondit Vincent.

— Que… que vas-tu faire ?

Vincent la regarda, se dégoûtant lui-même. Quand est-ce que sa vengeance l’avait amené à traiter ainsi les autres, à devenir un tel bloc de glace face à la peur, qui se lisait à cet instant dans le regard de son amie ? Mais la rage dans son cœur bridait ces considérations et surpassait toute réflexion rationnelle.

— Tu vas m’amener jusqu’à ton père. Demain.

— Pourquoi ? Qu’est-ce que tu veux lui faire ?!

— Il est… en danger. La tueuse qui m’a attaqué au lycée, elle veut tuer Harvey Forscythe. J’ai essayé de l’approcher par ton intermédiaire pour le prévenir.

Vincent baissa la tête, honteux à la fois de son mensonge et de la facilité avec laquelle il lui était venu, et de la déception, le choc qui se lisait sur le visage d’Ashley.

— Elle voulait me tuer moi ? balbutia Ashley.

Vincent hocha la tête sans répondre. Un mensonge était déjà bien assez.

Cette nuit là, alors que le printemps débutait, l’air avait gratifié la cité d’une température douce qui leur permis, blottis dans leurs manteaux, de dormir à l’abri. Vincent, qui ne trouvait pas le sommeil, regarda dormir Ashley et se prit à la considérer avec attachement, souriant involontairement. Recroquevillée sur elle-même, elle semblait grelotter. Vincent retira son manteau et lui déposa sur le corps. Ses nuits dans le squat n’étaient de toute façon pas bien différentes.

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