Relation

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Je sais pas vous, mais moi, ce confinement me désespère. Beaucoup sortiront les éternelles récriminations des bien-pensants, assurés que leur point de vue est le seul et unique qui soit valable. Oh, oui, nos aïeux ont fait la guerre, bien sûr, dans le monde, des gosses crèvent de faim. Évidemment, dans certaines barres d'immeubles, des familles s'entassent à six ou plus dans cent mètres carrés. En revanche, moi, j'en ai rien à battre. Non, je vais vous le dire franchement, j'ai donné. Ma dose quotidienne d'effort pour la société, je la prends chaque jour où je bosse depuis près de 17 ans. Alors, vous allez pas me la faire à moi avec vos remarques de petits bourgeois, bien assis dans votre confortable salon de jardin.

Il y a des choses qui me manquent, par dessus tout, parce que, comme chacun d'entre vous, je suis humain.Un être éminemment social. Par là, j'entends que le fondement de mon humanité, la votre, la notre, c'est la relation sociale. On naît ainsi, personne ne peut le réfuter. L'homme a besoin des autres pour vivre. Et je crois que c'est ça qui me rend le plus désespéré. Je vais pas épiloguer sur les raisons qui ont poussé nos gouvernements à confiner le monde, ni même extrapoler sur la justesse de cette décision. Non, je vais vous parler de toutes ces petites choses qui, en réalité, innondaient mon coeur d'allégresse et étanchait la soif de mon âme.

L'un des trucs qui m'obsède le plus, c'est de ne plus pouvoir râler en bagnole. Vous savez, quand vous êtes derrière un connard au feu rouge et qu'il avance pas quand c'est vert. Pouvoir lui lâcher un petit "mais démarre espèce de gros con" ou un "putain mais tu vas pas te faire un entorse à la cheville toi, enculé". C'est comme si une part de moi avait entièrement disparue, ce besoin d'insulter celui que je ne connais pas et que j'estime être un empaffé de première. Même chose lorsque je fais la queue dans un magasin. Ne pas voir cette petite vieille passer devant moi, espérant que j'ai rien remarqué. Et lui dire poliment, "madame, j'étais là avant vous". Lire sa réaction offusquée et lui mettre deux ou trois fions bien sentis dans les dents, froidement. Mais quel bonheur.

Pouvoir gueuler sur des gosses qui crient trop fort dans un jardin, pester contre le facteur qui a déposé un avis de passage alors que j'étais chez moi. Attendre trois heures dans une agence postale pour envoyer un recommandé de merde et se faire recevoir comme une sombre bouse par le guichetier. Assister à une dispute aux caisses automatiques du supermarché, entendre un client vitupérer contre une hôtesse, tous ces petits bonheurs de la vie quotidienne quoi. C'est tellement frustrant. Aujourd'hui, je ne peux que passer mes nerfs sur mes gosses, mais ça n'a rien de comparable. D'abord parce qu'ils ont pas la rigueur de tout ces cons quand il s'agit de me faire chier, et d'autre part, parce que j'ai un ascendant psychologique sur eux, et qu'ils peuvent pas répondre quand je leur dis "putain, mais tu vas la fermer ta grande gueule ?" Bien entendu, je pourrais les cogner, mais ça n'a aucun intérêt. Déjà, parce qu'ils sont petits et mous, et ensuite, parce que ça ne me soulagera pas plus que ça.

Non, en vrai, si je pouvais, je sortirai rien que pour aller resquiller dans une file d'attente, histoire de provoquer une bonne engueulade et balancer de bonnes vieilles insultes des familles. J'irai chez mon boucher pour me faire servir un morceau de barbaque et j'y retournerai le lendemain, juste pour lui dire que c'était dégueulasse, observer sa réaction outrée et se confondre en excuses. Je sortirai de son échoppe en criant au scandale, histoire de faire le plus de barouf possible.

Là, tout de suite, j'ai envie de sortir pour aller me balader avec mes gosses, comme si tout cela n'était qu'un mauvais rêve. Espérant que la vieille qui vit à trois pâtés de maisons, soit dehors pour me dire que j'ai pas le droit, que c'est un adulte avec un enfant. J'ose imaginer que, comme la fois précédente, elle me menacerait d'appeler la gendarmerie pour me dénoncer parce que je mets le monde en péril. Oh putain, comme j'en meurs d'envie. Rien que pour pouvoir sentir l'adrénaline monter, le flot d'insultes se répandre dans mon cerveau et débiter consciencieusement de bonnes vieilles tirades bien vives. Ça me manque tellement, que je ne suis pas sûr d'en être capable. Je crois que j'en baffouillerais.

Jai besoin d'hurler mon désespoir, besoin de lancer ces petites brimades journalière à la face du monde. Merde ! Putain !

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