Neige

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Hier, il a assez neigé… pour me faire chier.

C'est assez rare là où je vis.

Putain de rareté. Ça m’est tombé dessus.

Putain de journée, putain de journées, galères à venir.

Je m’y vois déjà à ne plus pouvoir circuler. À ne plus pouvoir avancer.

De toute façon je m’en fous, devrais m’en foutre, je ne compte pas prendre la voiture, mais je ne m’en fous pas, je suis piégé.

Putain de neige geôlière ; c’est galère, elle est galère, je suis en galère, la neige c’est la galère, c’est un adage, un mantra, c’est ce que vous voulez mais c’est comme ça, un point c’est tout !

Putain de neige, donc. Putain de neige galère.

Putain de neige blanche. Putain de Blanche-Neige, tant que j’y suis. C’est gratuit, c’est comme ça, bouffe ta pomme et ne va pas faire chier les nains. J’aime bien les nains… tant qu’ils ne me font pas chier, soyons clairs. Ne me font pas chier. N’ont pas intérêt à me faire chier, pas maintenant ; oh puis je les emmerde les nains. Tant pis pour eux. C’est gratuit, c’est comme ça, septoulez-vous avec Blanche-Neige tant qu’il vous sierra et ne venez pas me faire chier.

Faites chier, tous. Vous tous, tous, tous, tous, tout… Faites chier, fait chier. Encore, aujourd’hui encore…

Bouffe pas ça, toi ! Putain de chien ! Putain de merde, était-elle trop visible, trop attirante, à tel point qu’elle t’a paru goûtu ?

Ne peux-tu pas non plus te retenir au point d’épandre ta pisse jaunâtre sur la neige immaculée ? Putain de neige blanche, mais quand même… Putain de Blanche-Neige, non quand même ! Gardez vos perversions pour vous, bande de dégénérés !

En même temps, pauvre Toutou, c’est pour ça que je te promène. Pauvre Toutou, toi je t’aime bien. Pas pour ce que tu fais à la neige, non, ça, finalement, soyons honnêtes c’est crade… ça fait crade.

Pas par ta faute, pauvre Toutou, faute à son immaculée, nous tournons en rond, la boucle tourne en boucle. Jusqu’à l’arrêt net.

Oh bah continue, toujours plus, vas-y défèque, Toutou, d'accord oui c’est à ton tour, alors Ok chie-lui dessus, n’avait en même temps qu’à pas recouvrir ton herbe-wc ! Sa faute, à cette putain neige. Ma faute, à moi, à mon train de vie.

Qu’est-ce que tu as à me zyeuter, toi, vieille peau ?! Non, t’auras beau me jeter ton plus mauvais regard, je m’en fous je ne la ramasserai pas. Bien joué Toutou, elle est bien belle à trôner là. Chapeau l'artiste. Par contre je peux peut-être la recouvrir… comme ça si un stupide gamin en fait une boule de neige… il sera bien surpris. Certes moins que celui qui la recevra. L’idée m’amuse. L’idée m’amuse vraiment, à tel point que... voilà, c’est recouvert d’une belle neige fraîche. C’est ça, passe ton chemin vieille peau, ou la boule te sera toute destinée !

Destinée, tiens, putain de destinée, fait vraiment chier elle, fait vraiment chier elle, aujourd’hui encore, encore aujourd’hui.

Et voilà que ça reneige, comme s’il n’y en avait pas assez. Comme si je n'en avais pas assez. Putain de neige qui mouille, plus fourbe que la pluie, elle au moins ne cache pas son intention de vous tremper !

Et dire que tu en émerveilles certains, dire que j’entends que l’hiver sans toi n’est pas un réel hiver… Bah moi je m’en fous, j’aime l’été je veux de la chaleur je veux de la couleur putain de mono-couleur j’attends déjà le printemps je veux de la vie je veux de la vie ! De la vie. Putain de vie, d’ailleurs…

Putain de vie.

D’ailleurs.

Putain de vie.

Ailleurs.

Putain de boulot. Putain de routine. Putain de conséquences. Putain de femme qui me les brise, putain de gamins qui braillent, qui vivent, qui me… Ça vous amuse les mioches d’être heureux, d’être vivant là où je meure ? Là où je m’englue, me recroqueville, là où le désespoir m’envahit, là où l’avenir s’assombrit, là où l’avenir… toujours lui, il n’est question que de lui d’ailleurs… l’avenir… si seulement, je l’avais.

Putain, vous me faites chier les mioches, à me faire cogiter, vous et votre putain de candeur, d’insouciance ; putain comme je vous envie, les mioches ! Votre mère ? Casse-couille de première, je répète « me les brise », moraliste, sermonneuse, donneuse de leçon, à coups de « je te l’avais dit », à coups de « on va se battre ensemble », à coups de « on va s’en sortir », à coups de « ça va aller », à coups d’engueulades sur fond de « non, maintenant arrête, ça suffit ! », c'est assez ? C'est assez ! À coups de « mais ta gueule à la fin ! ». J’ai fait ce que j’ai voulu, comme je l’ai voulu, ma faute, à moi, rien qu’à moi, puis je m’en fous, pas de regret, c’est comme ça, j’en ai profité, n’en profiterai plus, mais il n’y a pas de "on", il n’y en aura jamais, du moins plus, c’est maintenant moi que ça regarde, que moi, il est temps d’être égoïste, de n'être que moi, temps de ne rien stopper, temps des excès, des surenchères et temps que le "on" soit le tien, plus que le tien, ton putain de "on" se fera donc sans moi ! Alors arrête, arrête de me les briser, je te le dis comme ça, un point c’est tout…

C’est comme ça, un point c’est tout…

La boucle boucle et tourne.

Ne serais-je finalement pas comme la neige ? À faire chier le monde ? Aujourd’hui te faire chier, t’envoyer chier, ma pauvre, faire chier les mioches, les miens que j’aime, les envoyer chier à les renier ! Ne suis-je pas comme la neige, galère comme la neige ? En tout cas dans la galère. Ne suis-je pas comme la neige, à me faire pisser dessus ? Il est sûr qu’aujourd’hui la vie me pisse dessus, me chie dans la… gardez vos perversions. Ne suis-je pas comme la neige, mono-couleur ? Couleur grise, d’humeur grise, couleur noire, à broyer du noir, couleur noire… comme la mort. La mort ne se vit pas en couleur, la mienne ne fera pas exception.

Mais je t’aime bien, toi, mon Toutou. Toi je t’aime bien, car toi tu t’en fous, pour toi rien ne change, pour toi tout est simple. Aussi simple que…

Que, ce, pu-tain de bon-hom-me de NEIGE ! Le comble, un putain de bonhomme de neige. Maintenant. Aujourd'hui. Comme si j'en avais besoin. Ce vieux connard de voisin-commère-concierge, voisin je sais tout, voisin je me mêle de tout, voisin j’ai toujours le sourire, voisin j’expose en permanence ma bonne humeur et j’ai toujours un petit mot gentil gnangnan à souhait à en faire crever un Bisounours, a fait un putain de bonhomme de neige ! J'en suis sûr que c’est lui qui l’a modelé ce « bonzomme », c’est son genre, sa façon de faire. « Bonzomme » ta gueule, apprend à parler et arrête, arrête, arrête avec ta gentillesse de merde ! Elle me saute au nez, m’explose à la gueule, me pourrit les narines, m’encrasse la peau ! On n’en veut pas de tes sourires, ON !

Deux boules superposées, quelle originalité, bravo, bravo.

Des graviers pour les yeux, n’as-tu rien trouvé de mieux ?

Une paille pour la bouche, bien vu, j’admets.

Mais je vais la lui éclater, sans prétention, hein, soyons clairs.

Et voilà, Toutou. Voilà, c’est fait, l'idée m'amusait à tel point qu'il n’en reste que des débris, ma grosse trace de pied d’adulte au milieu de la bouillie.

Merci voisin.

Ça m’a fait du bien.

Oh comme ça soulage.

Oh comme ça détend.

Je m’excuse, hein, mais j’en avais bien besoin. Merci pour ce petit sourire redonné ; merci de m’avoir permis de m’exprimer ; une bien piètre poésie, je l’admets bien volontiers, mais ma salvatrice poésie. Rien qu'elle, plus que moi.

Allez viens, Toutou, repartons vers ma solitude, laissons ici mon instant de bonheur.

Oubliez-moi.

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