70. Où est Sassa ?

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Livia

— Mathis, doucement. Installe-toi à table pour manger, Chéri.

— Oh, Livia, laisse-le, c’est rien, c’est la fête voyons.

Je me retiens de rétorquer quelque chose à ma belle-sœur et maintiens le contact visuel avec mon fils. Qu’est-ce que ça me gonfle d’être reprise de la sorte devant lui, s’il y a bien quelque chose que je ne fais pas, c’est ça. C’est pas faute d’avoir des choses à lui dire quant à sa façon d’élever ses enfants, mais je préfère que chacun s’occupe de ses affaires.

C’est le bordel chez mes parents. Le petit repas de famille dans la cour a été délocalisé dans leur appartement à cause de la pluie, et l’impression d’étouffer avec tous ces gosses et tous ces frangins a fait son apparition. Même Charles est de la partie, remonté du sud pour l’occasion. L’anniversaire de mariage de mes parents, personne ne manque ça… et tout le monde doit se demander lequel des deux est le plus courageux de supporter l’autre. Oui, je suis un peu cynique, mais pour les supporter quotidiennement l’un et l’autre, il m’arrive de vraiment me poser la question.

— Mathis, je t’ai demandé quelque chose. Assieds-toi, tu vas en mettre partout.

C’est vrai, et c’est un coup à ce que mes parents se plaignent de leur canapé taché… ou d’une trace de main sur leur papier peint. Et puis, merde, on mange à table, c’est comme ça, pourquoi faut-il que je me cherche des justifications ?

— Eh, Champion, continué-je à son oreille tout en l’asseyant sur une chaise. On fait une petite photo tous les deux pour Sacha ?

— Oui ! Peut-être que ça lui donnera envie de venir avec nous ?

— Il passe la journée avec Marina, normal qu’il veuille être avec sa sœur, non ?

Je colle ma joue contre la sienne et lève mon téléphone devant nous. Mathis sourit, de la sauce tomate au coin de la bouche, et me suit dans mon délire quand je grimace. OK, meilleur moment de la journée, assurément.

— Allez, je te laisse manger. Tu viens me voir pour nettoyer tes mains et ta bouche quand tu as fini, OK ? Et tu restes assis le temps de manger, tu sais que Papy et Mamie n’aiment pas quand on salit.

Je dépose un gros bisou sur sa joue et me faufile entre les gosses pour aller m’asseoir entre Charles et Diego. Autant dire que je fuis Louis comme la peste depuis qu’il a enquiquiné Sacha. Et je me sens clairement en infériorité numérique. Si mes frangins se liguent avec mes parents, je vais vite me retrouver acculée. Parce qu’il est clair qu’avec Diego, on n’a pas parié sur la possibilité que Sacha arrive sur le tapis, non. On a lancé les enchères pour savoir à quel moment du repas ça allait partir, et qui serait celui qui le ferait. Diego penche pour le dessert et ma mère, et moi, je suis sûre que Charles va lancer le sujet presque innocemment dès le plat principal. J’espère qu’on a tort tous les deux et qu’ils vont me lâcher la grappe.

C’est raté, et c’est la grosse surprise pour nous deux, puisque c’est Louis qui lance le truc dès l’entrée avec une petite phrase au premier abord innocente.

— Livia, tu n’as pas invité Sacha ?

Bon ben… vingt balles dans l’os pour Diego comme pour moi. Tant pis !

— Non, je ne suis pas cruelle, je préfère autant lui épargner une journée bien désagréable.

— Dis tout de suite que tu n’es pas fière de ta famille, grommelle Charles en me regardant assez froidement.

— Disons qu’il m’arrive de me demander si je n’ai pas été adoptée, le provoqué-je en souriant innocemment.

Véronique, la femme de Louis, intervient à ce moment-là, l’air de rien.

— En même temps, avoir un criminel avec mon mari à ses côtés, ça serait bizarre. Ça pourrait même nuire à sa carrière dans la police si ça se savait…

Je tique au mot criminel et sens la main de Diego serrer ma cuisse.

— Manque de chance pour lui, ses collègues sont déjà au courant, tu sais ? Alors, ça de plus ou ça de moins. Il va bien falloir vous y faire, de toute façon.

— Oui, il est vraiment cool, en plus, ajoute Diego. N’est-ce pas mon petit bisounours ?

— Oui, Sassa, il est trop gentil !

— Malin, le mec. Il achète le gamin pour accéder à la maman. Un vrai pro de l’arnaque, on dirait.

— Ah non, ça ne marche pas, ça, par contre, il arrive carrément à m’acheter avec des orgasmes, ça, y a pas photo, continué-je sans me départir de ce sourire moqueur.

Oui, je sais, c’est ridicule et inutilement provocateur, mais j’ai bien compris qu’ils n’auraient pas de prise de conscience, qu’ils ne changeraient pas d’avis à son sujet. Peut-être que je garde un infime espoir, mais honnêtement, il y a peu de chance.

— Livia, on est à table, bon sang, geint ma mère.

— Ça va, Maman, soupiré-je. Vous devriez être contents pour moi, ça me fatigue, tout ça.

— Oui, c’est vrai, et aujourd’hui, c’est notre fête. C’est pas le moment de se disputer. Il est gentil, Sacha, je confirme ça, au moins.

Je lève les yeux vers ma mère, surprise par sa sortie, même si j’imagine que c’est juste parce qu’elle a envie d’être tranquille et de ne pas entendre tout le monde s’énerver aujourd’hui. Honnêtement, je crois que Diego pourrait balancer qu’il est gay sans que personne ne soit choqué, vu que je me tape un criminel… Ce serait l’occasion.

— Oui, il est gentil. Bon appétit !

Je me penche contre l’épaule de mon jumeau et lui chuchote à l’oreille.

— Vingt balles que c’est Louis qui relance le sujet d’ici le fromage.

— Tu vas encore perdre. Charles ne va pas te lâcher comme ça, il va te passer au gril au dessert !

— Paris tenu. Tu sais que Louis me tire la gueule depuis que je lui ai dit qu’il s’ennuyait au pieu ? gloussé-je. Tu crois que j’ai visé juste ?

— Franchement, c’est sûr. T’as vu la tronche de Véronique ? Elle doit juste faire un petit missionnaire, le samedi soir, et là, comme il a trop bu, elle saute une semaine.

Je pouffe en jetant un regard en direction de notre frère qui, effectivement, a les joues rougies et le front humide. Super, c’est un peu risqué, ça. Louis ne réagit pas très bien à l’alcool, ou du moins, il n’est pas du genre amoureux transi quand il a bu.

— T’es vraiment sûr que Charles sera le premier à rattaquer ? Vu l’état de Louis, c’est pas garanti. Moi, j’ai bien peur que tu perdes, frérot.

Nous poursuivons le repas alors que les discussions s’enchaînent sur un peu tous les sujets, dont les plus bancals comme la politique. Je me tais, Diego aussi, à mes côtés, et nous finissons par discuter tous les deux plutôt que de nous mêler aux autres. C’est souvent comme ça, de toute façon, lui et moi sommes tellement différents du reste de la famille que nous préférons nous isoler dans notre bulle gémellaire.

— Maman, me surprend Mathis en essayant de monter sur mes genoux. Pourquoi on dit pas à Sassa de venir avec Marina, au fait ? Ils sont trop bons, les gâteaux de Papy, et il en a fait un au chocolat, Sassa il aime trop le chocolat.

Je le soulève et l’installe sur moi tandis qu’il baille. Diego et moi avons perdu tous les deux, parce que, bizarrement, personne à cette table ne veut relancer le sujet, tout à coup.

— C’est une bonne question, ça, Petit Kangourou. Et je n’ai pas la réponse… Quelqu’un sait, ici ?

Mathis regarde ses oncles et tantes, ses grands-parents, incrédule, et personne ne dit rien, encore.

— Mais c’est pas juste, Maman. Tonton Louis il a Tata Véro, Tonton Charles il a Tatie Louison, et Papy et Mamie, ils sont tous les deux. Pourquoi toi tu viens pas avec Sassa ? Et Marina, elle aurait pu venir avec Tonton Diego !

Ah oui, non Diego avec Marina, on va éviter. Elle est mineure, quand même, la petite. Est-ce que je peux être fière de mon petit garçon ? Toujours est-il que le silence s’est fait autour de la table. J’ai beau être dans une galère monstre pour lui expliquer les raisons pour lesquelles Sacha n’est pas là, j’avoue que mon fils a le don de sécher tout le monde.

— Mathis, ta maman n’est pas vraiment en couple avec ce Sacha. Ils se voient de temps en temps, c’est vrai, mais c’est juste une connaissance. Ici, c’est un repas de famille, pas pour les gens extérieurs, lui explique doucement son grand-père.

— Ben non, Maman elle est amoureuse de Sassa, c’est son chéri. T’y connais rien, Papy.

— Il a raison, tu n’as pas compris, Papa, soupiré-je. Je crois même qu’aucun de vous n’a compris, en fait. C’est simple, pourtant. Vous savez, quand deux personnes s’apprécient et apprennent à se connaître, ils peuvent tomber amoureux. Et il se trouve qu’effectivement, nous sommes tombés amoureux. Et nous sommes en couple, en fait.

— C’est encore récent, il faudra voir si ça continue sur la durée, énonce ma mère, un regard d’avertissement vers son mari.

Je crois bien que c’en est fini du calme que je voulais garder.

— Vous savez que lui faire quitter le café ne changera rien ? C’est totalement ridicule comme obsession. Peu importe qu’on bosse ensemble ou pas, en fait. C’est d’ailleurs le dernier repas de famille où je viens seule. Il va falloir faire avec et être respectueux, parce que sinon, je vous déposerai Mathis pour qu’il profite de ses cousins et cousines, mais vous ne me verrez plus aux repas.

— Ne dis pas de bêtise, ma chérie. Si tu es vraiment en couple avec ce… garçon, eh bien, tu pourras l’emmener.

— S’il vient, moi, je ne viens pas ! Un criminel et en plus, vous allez cautionner qu’ils vivent dans le péché ? s’énerve Louis.

— Oh, Louis, arrête, marmonné-je. J’ai un gosse sans être mariée, je ne suis plus à ça près. Et arrêtez de dire que c’est un criminel, il a payé sa dette, qu’est-ce que vous êtes chiants avec ça !

— C’est vrai que niveau péché, tu es pas mal, toi, renchérit mon frère, toujours aussi désinhibé avec l’alcool ingurgité.

— Et je le vis bien, je t’assure. Vivre dans le péché m’a offert le meilleur des cadeaux, et honnêtement de nous deux, c’est toi qui me sembles le plus malheureux.

— Livia !

— Quoi, Maman ? J’ai le droit de m’en prendre plein la tronche et je dois la boucler ? Non, désolée, je ne suis pas un déversoir à méchancetés. On va rentrer, Mathis, tu vas chercher tes jouets ?

— Mais je veux du gâteau au chocolat, moi !

— Je t’en ferai un, promis. On va même faire mieux que rentrer, mon Cœur, on va aller faire une surprise à Sacha et Marina.

— Trop bien !

Il descend de mes genoux en vitesse et je souris de le voir si heureux d’aller retrouver mon amoureux. Et personne ne dit plus rien à table. Magnifique, ce repas.

— Pour info, Sacha et moi on va emménager ensemble. Quitte à vivre dans le péché, autant le faire jusqu’au bout, dis-je en me levant à mon tour.

— Je viens avec toi, intervient Diego qui nous rejoint rapidement. Je crois qu’on rigole plus avec Sacha qu’avec Louis et Charles !

— Bonne fin de journée, la famille, lancé-je en insistant sur le dernier mot avant de sortir, la main de Mathis dans la mienne.

Est-ce que je viens vraiment d’annoncer à toute ma famille que Sacha et moi allons vivre ensemble ? Alors que ce n’était pas du tout au programme ? Est-ce que je fais n’importe quoi ? Bon… franchement, depuis qu’on en a discuté tous les deux, j’y réfléchis. Pourquoi pas, après tout ? J’avoue que l’idée de me coucher tous les soirs à ses côtés me tente bien, finalement. Espérons juste qu’il range ses chaussettes au lieu de les laisser traîner.

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