69. La tête de nœud reste dans son lit

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Sacha

— Tu vois, tout est toujours bien rangé, n’est-ce pas ?

Mon éducatrice sourit en continuant son inspection qu’elle fait désormais une fois toutes les deux semaines. Je la suis alors qu’elle pénètre dans ma chambre. Je suis un peu gêné quand elle ouvre la porte du placard car elle tombe directement sur les vêtements laissés par Livia pour les fois où elle passe la nuit avec moi. Elle est plus à la recherche de produits stupéfiants ou illégaux mais elle ne peut s’empêcher de me faire une petite remarque sur cette lingerie féminine en ma possession.

— Je ne savais pas que tu avais ce genre de penchants. Oh, je ne juge pas, hein, chacun s’habille comme il veut. Tu as bon goût, en tout cas, les couleurs sont jolies.

— C’est pas interdit par la loi de jouer à la drag queen, il me semble, rétorqué-je en souriant. Si tu veux, à la prochaine Gay Pride, je t’invite.

— On fait ça, sourit-elle. C’est du sérieux, alors, avec Livia ? Bon, je sais que ça ne me regarde pas, tu n’es pas obligé de répondre, mais… disons que ça me fait plaisir pour toi.

— C’est du sérieux, oui. On se voit dès qu’on peut et avec son fils, ça se passe super bien. Dommage que ses parents apprécient moins notre relation.

— Je vois… Tout ne peut pas être parfait, tu sais ? Il faut prendre le bon, c’est l’essentiel.

— Si un jour on se marie, tu seras invitée ! rigolé-je. Juste pour voir la tête de mes beaux-parents. Rien que ça, ça devrait valoir le coup. Mais bon, on n’y est pas, à cette étape-là.

— Oui, prends ton temps, quand même. Dans les premiers temps, c’est toujours tout beau tout mignon. Bref ! Eh bien écoute, tout me paraît bien, Sacha, c’est parfait. Je savais que tu assurerais.

— Tu pourras dire à ton directeur que j’ai bon goût en lingerie, il sera rassuré.

— Arrête de focaliser sur lui, tu te fais plus de mal que de bien, soupire-t-elle. Tu es un peu obsessionnel sur les bords, toi.

— Je sais juste reconnaître les gens qui seront capables de me donner une chance et les autres. Instinct de survie, tu vois ? Merci de ton passage, en tout cas.

— Ton instinct s’était un peu planté à mon sujet, non ? Vu comme tu étais agréable avec moi au début.

— J’étais en colère contre la société et tu en faisais partie, c’est tout. Tu m’en veux encore ?

— Je ne t’en ai jamais voulu. C’est mon boulot, j’ai l’habitude d’avoir des têtes de nœud en face de moi, sourit-elle. J’ai connu pire, t’es un petit joueur comparé à d’autres.

— Tu as vraiment le droit de m’appeler tête de nœud dans le cadre de ton travail ? rigolé-je en la raccompagnant à l’ascenseur alors que ma sœur fait irruption sur le palier.

— Ben oui qu’elle a le droit ! C’est la vérité vraie ! nous interrompt-elle en venant me faire la bise.

— Toi, si tu veux que je te laisse entrer, tu as intérêt à être gentille. Aurélie, à bientôt !

— Ne laisse pas ta sœur sur le palier, sinon ça va barder, Sacha. Et… je ne doute pas que tu sauras être discret sur ma façon de te parler. Parfois, ça fait du bien de lâcher prise. A bientôt, les jeunes !

— Salut, Aurélie ! C’est bon, je peux entrer, tête de nœud ? J’aime bien ce surnom, rit ma sœur.

— Oui, soupiré-je. Tu as l’air en pleine forme, toi. Si tu veux un truc à boire, j’ai des jus dans le frigo. Sers-toi, indiqué-je en allant m’installer sur mon canapé.

— Livia t’a appelé ? me demande-t-elle en allant se servir avant de s’asseoir à côté de moi.

— On s’appelle tout le temps, oui ! Tu crois quoi ? Qu’on ne se parle pas et qu’on ne fait que baiser quand on se voit ?

— Mais non, roh, t’es mal luné ou quoi ? Est-ce qu’elle t’a parlé de notre conversation ?

— Ah non, du tout. De quoi avez-vous parlé ? Tu m’intrigues, là.

— Ben… avec Livia, on a parlé de ses imbéciles de parents, et des solutions pour t'aider, tu vois ? Elle m'a dit que vous cherchiez du boulot pour toi, même si c'était pas pressé encore, et que tu pourrais emménager chez elle !

— Ah oui ? Elle t’a dit tout ça ? Mais c’est quoi cette histoire d’aller vivre chez elle ? Elle est vraiment prête à m’accepter dans son appartement ?

— Ben j'en sais trop rien, mais ce serait l'idéal, non ? J'aurais carrément ma chambre, et ça, le juge, il appréciera.

— Parce que toi aussi, tu vas aller vivre chez elle ? lui demandé-je, dubitatif. Tu es sûre que c’est du jus d’orange dans ton verre ?

— Ben si tu vas vivre là-bas, tu comptes me laisser chez Sonia, sérieux ?

— Euh non, mais je n’ai juste pas réfléchi à tout ça ! Je ne pensais pas que Livia y avait déjà pensé et qu’elle envisageait que l’on vive ensemble. Je suis surpris, c’est tout.

— Ah ben c'est elle qui en a parlé, je sais pas, moi. Je suis que la messagerie, vu qu'elle traîne à t'appeler.

— Et pourquoi elle t’en a parlé à toi et pas à moi ? C’est quand même moi le premier intéressé dans l’histoire.

— Je te l'ai dit, on était en train de discuter de ses parents relous et on réfléchissait à comment faire pour t'aider à garder ton boulot au café, tu m'écoutes ou pas ? Bon, ok, rit-elle, au final ça n'a pas vraiment de rapport, mais elle a lancé ça, c'est génial, non ?

— Oui, ça peut être bien, en effet.

L’idée commence lentement à faire son chemin dans ma tête. C’est sûr que ça serait une solution idéale. Et au moins, plus de visite d’éduc qui vient fouiner dans les sous-vêtements de ma chérie. La liberté de vivre comme bon nous semble. Nous passons le reste de la soirée à papoter et je suis content de découvrir un peu tout ce qu’elle a fait et vécu pendant mon incarcération. Quand je vois tout ce que j’ai manqué, je me dis qu’il faut vraiment que je fasse tout pour ne pas retomber dans ces travers. Lorsqu’elle repart chez elle après un petit dîner partagé dans une ambiance super conviviale, je m’allonge dans mon lit et attends que Livia m’appelle en visio comme elle le fait chaque soir où nous ne sommes pas ensemble. J’adore ces petits moments qui commencent par le baiser du soir à Mathis et que nous poursuivons parfois tard dans la nuit. Lorsque mon téléphone se met à vibrer, je souris et lance la visio.

— Bonsoir ma Chérie. Bonsoir Mathis ! Prêt à aller au dodo ?

— Coucou Sassa ! T’es déjà au dodo, toi ? T’es fatigué ?

— Je ne suis pas fatigué, je voulais juste te montrer l’exemple.

Je ferme les yeux et me mets à ronfler de manière sonore, ce qui déclenche un éclat de rire chez lui.

— Allez, Petit Kangourou, dodo maintenant. Tu fais un bisou à Sacha ?

— Bisou Sassa ! crie-t-il en m’envoyant un baiser bruyant.

— Oh, tu m’as réveillé ! Bonne nuit à toi, mon pote. A demain !

— A demain ! Bonne nuit, Maman.

— Bonne nuit mon petit Cœur. Fais de jolis rêves, lui dit doucement Livia avant que la lumière s’éteigne. Il va mettre du temps à s’endormir, je crois, il est en forme, le petit.

— Oui, sûrement. J’aurais pas dû l’exciter plus qu’il ne l’était déjà. Désolé.

— C’est pas grave, ça devrait le faire. Si ça se trouve, il va vite redescendre. Qui sait ? Ça va, toi ?

— Oui, Marina est partie il n’y a pas si longtemps. Tu me fais des cachotteries ?

— Des cachotteries ? Je… Qu’est-ce qu’elle t’a raconté, au juste ?

— Que tu voulais que je vienne vivre chez toi et tu avais eu une super idée. Je trouve ça chouette, mais c’est surprenant que tu lui en aies parlé à elle avant de me le dire.

— Ta sœur s’est carrément emballée, Sacha, soupire-t-elle. Je… disons que c’était une option dans le cas où mes parents ne te prolongeraient pas et que tu te retrouves sans boulot, c’est tout.

— Ah, ce n’était donc pas une vraie proposition ? J’avais cru, commencé-je avant de me stopper.

J’essaie de dissimuler ma déception, mais je crois que je n’y parviens pas totalement car Livia me relance.

— Sacha, c’est pas ce que je veux dire. C’est juste que… on a le temps de voir venir, non ? Emménager ensemble, c’est parce qu’on s’aime, parce qu’on est prêts, pas pour de mauvaises raisons. C’est surtout pas une décision que prend ta sœur en s’emballant sur une discussion. Bien sûr que j’envisage qu’on vive ensemble, un jour, mais ce serait un peu précipité, non ?

— Tu sais, moi je confirme que je t’aime et que je suis prêt. Enfin, quand tu le seras aussi, bien sûr. Je comprends que tu ne veuilles pas précipiter les choses, mais bon, ce n’est pas non plus comme si notre relation avait commencé hier.

— Non, juste… avant-hier ? Tu te rends compte de ce que ça implique de vivre ensemble ? Ce n’est pas juste toi et moi, c’est un enfant H24, des obligations, des frais, des… disputes. On n’est pas bien, là, à se voir et profiter du temps ensemble, plutôt que de s’engueuler pour des chaussettes qui traînent ou des courses pas faites ?

— Parce que tu crois que si on vivait ensemble, on se disputerait ? Moi, pour que tu sois heureuse, je te fais toutes tes courses, promis. Et pour les chaussettes, je ferai un effort, je m’y engage aussi !

— Sacha, rit-elle en s’allongeant dans son lit. C’est… mignon, mais t’as pas peur de t’emballer un peu ? A ton âge, te caser avec une mère de famille, déjà, c’est une sacrée décision, mais aller jusqu’à vivre avec nous…

— Que veux-tu, je suis fou, oui. Mais un gentil fou, hein ? Qui apprécie déjà que tu lui aies fait une petite place dans ta vie. Je ne vais pas non plus demander la lune alors que j’ai déjà mon étoile.

— Ton étoile, hein ? pouffe-t-elle. Je pense juste qu’on a tout le temps et qu’il ne faut pas trop se précipiter, Chéri. Ce qui ne veut pas dire que je ne veux pas, d’accord ? Juste que je ne pense pas qu’on doive aller trop vite, indépendamment de l’amour qu’on peut éprouver l’un pour l’autre.

— Oui, ce soir, c’est trop vite. Mais demain, ça sera bon, non ? Tu seras prête ?

Je sais que c’est bête, que je blague, mais j’ai le fol espoir toujours en moi qu’elle me prenne au mot et me demande de venir la rejoindre pour de bon.

— T’es dingue, tu le sais ? C’est pas rien de vivre avec un gosse de quatre ans. Et c’est un sacré chamboulement pour lui aussi. Si on ajoute à ça un possible emménagement de ta sœur, c’est vraiment pas un truc à faire à la légère.

— Ouais, je suis dingue de toi. Raide dingue si tu vois ce que je veux dire ! pouffé-je en l’admirant sourire à la caméra.

— Quel pervers ! On discute sérieusement et tu me dis que tu as la trique, vraiment ?

— C’est toi qui interprètes mes propos ! Mais il est possible que tu ne sois pas totalement dans l’erreur.

— J’ai toujours raison. Il va falloir t’y faire, mon Chéri.

— Je m’y suis déjà fait, je crois. Tu sais que tu es belle ? Je t’aime.

Je sais, ça sort tout seul, c’est un peu bête, mais je ne parviens pas à retenir ces mots d’adoration que j’ai envers elle. Jamais je n’ai été comme ça avec aucune femme. Elle me rend fou, c’est tout.

— Je t’aime aussi, Sacha. Vraiment, n’en doute pas.

Je n’en doute pas et je pense que l’échange coquin qui suit cette petite discussion lui prouve que je suis plus que dingue d’elle et que je la crois quand elle me dit m’aimer. Je suis un peu déçu qu’elle ait émis une fin de non recevoir à ma venue chez elle dans l’immédiat mais je suis aussi soulagé qu’elle n’ait pas émis un non définitif. Il faut laisser l’idée mûrir dans sa tête et voir les choses calmement, pas dans l’excitation de ma sœur. Nous avons déjà réussi à nous trouver tous les deux, à nous aimer. Le reste suivra, c’est certain.

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