40. Mojito confidence

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Livia


— J’ai dit non, Mathis. Tonton Ethan t’a lu l’histoire, maintenant, il est l’heure de dormir.

— Mais moi je veux rester avec Tonton et Tata ! geint mon fils en tapant du poing sur son lit.

— Il peut peut-ê…

Je fusille du regard Isa, à la porte de la chambre, ce qui semble lui faire comprendre que ce n’est absolument pas le moment de me contredire devant lui. Si elle s’y met, merci le sapage d’autorité. Mes parents sont pareils, c’est juste insupportable. “Mais laisse-le faire, il est tout petit !” C’est ça… Laisse-le dessiner sur le mur, laisse-le regarder les dessins animés, laisse-le prendre une autre part de gâteau. Ce sont des grands-parents bien plus laxistes qu’ils ne l’étaient lorsqu’ils nous élevaient. Logique, paraît-il, tout à fait normal. Je ne demande pas leur rigueur d’avant, juste de ne pas être les rois de la sape.

— Tu les verras bientôt, Petit Kangourou. Il faut dormir, sinon, demain avec Marina, tu vas être tout fatigué.

— Mais non, je suis grand, maintenant !

— Mathis, ce n’est plus l’heure de discuter. J’ai dit non, c’est comme ça. C’est pour ton bien. Des bisous, et dodo, maintenant.

— Je veux pas de bisous !

OK. Quand est-ce qu’il est passé du stade de petit garçon à ado ? Je n’ai pas vu le temps passer, là. Je soupire alors qu’il remonte le drap sur son visage et me tourne le dos, sans pouvoir m’empêcher de me dire qu’il a mon foutu caractère.

— Je t’aime, mon petit Cœur, soufflé-je en me levant pour sortir de la chambre.

Je crois l’entendre murmurer qu’il m’aime aussi lorsque je ferme la porte, mais c’est peut-être une hallucination de maman qui déteste quand la journée se termine sur une note négative. Il est fatigué, c’est normal qu’il prenne les choses plutôt mal, rien de personnel. Facile à dire quand tu es un sociologue dans un bouquin, difficile à vivre quand tu es la mère.

— Maman ! Bisous !

Eh bien… au moins, il y aura réconciliation ce soir. Je retourne dans la chambre et le serre contre moi lorsqu’il se redresse dans son petit lit. Une bonne dose de bisous et une nouvelle tentative pour me faire flancher plus tard, il pique du nez dans mes bras et je le borde avant de sortir.

— Eh bien, on a connu plus cool comme coucher, soupiré-je en me laissant tomber sur la chaise, sur la terrasse. Vous ne m’avez même pas servi à boire, sérieux ? Aucune pitié pour moi à ce que je vois.

— Attends, je m’en occupe, me dit Ethan. Tu prends quoi ?

— Un Mojito, pas trop chargé, s’il te plaît. Il y a de la menthe sur le rebord de la fenêtre de la cuisine, j’en ai racheté.

Isa glousse à côté de moi et tend son verre à Ethan qui soupire en rentrant à l’intérieur. J’adore les avoir à la maison un soir par semaine, ce sont des moments que je n’échangerais pour rien au monde. Ou presque. J’avoue que je n’aurais pas dit non à une soirée avec Sacha non plus. Moins d’alcool et plus de sexe, c’est pas mal aussi.

— Alors, c’est quoi le programme du soir ? De quoi on doit parler ? J’espère que tu as des potins pour moi, demandé-je à ma meilleure amie en jetant un œil à mon téléphone.

— Oh pas grand-chose de mon côté, tu sais. Enfin, à part que Nana et moi, on veut vraiment se taper un mec. Mais bon, on ne fait qu’en parler pour le moment.

— Vous allez vous marier dans quelques mois et vous parlez d’une nouvelle expérience ? Ça te fait pas flipper ?

— En fait, on voudrait aussi avoir un petit bébé… un copain pour Mathis. Et on se dit que la façon naturelle, c’est peut-être la mieux, tu vois ?

— Je vois… Mais du coup, vous mettez un papa dans l’équation ? C’est pas un peu bizarre ?

— On réfléchit, pour l’instant, on ne sait pas encore. Peut-être qu’on va demander à ton collègue, ça pourrait faire un beau bébé avec lui, non ?

— Tu le connais à peine. C’est quoi ce délire ? T’as fumé ou quoi ? m’étonné-je.

— Non, il est juste canon, ce type. Sinon, on demande à Ethan, mais pas sûr que ta femme soit d’accord, hein mon petit chou ?

— Ah non, moi, ce ne sera pas possible, il faudra que tu ailles fantasmer ailleurs, ma puce, répond l’intéressé en déposant nos mojitos. Et toi, de ton côté, quoi de neuf ? Tu as l’air… Je ne sais pas, plus détendue que d’habitude ?

J’hésite un peu à me confier à eux à ce sujet. En un quart de seconde, tout le quartier peut être au courant de mon aventure avec ces deux-là, ou alors, ils vont s’emballer et paniquer parce que Sacha a fait de la prison. Remarque, Isa pense quand même à ce qu’il soit le père de son enfant… Elle est vraiment dingue, parfois, comme si deux fils se touchaient, c’est hallucinant.

— J’ai un nouveau Hector, ça fait pas de mal, souris-je en trinquant avec eux.

— Un nouveau… Mais c’est super, ça ! lance Isa en levant son verre. A Livia et son nouveau jouet !

— Ouais, enfin celui-là est un peu plus réaliste que mon vieux vibro. Beaucoup plus, même.

Ethan m’observe en silence, sans doute qu’il pige plus vite qu’Isabelle, mais il la laisse poursuivre dans son délire.

— Tu m’étonnes, le tien avait quoi, dix ans ? Ils font des trucs vachement plus réalistes, maintenant.

— Isa, je ne crois pas que vous parliez de la même chose, là. Je me trompe si je dis que le vibro fonctionne sans pile ?

— Clairement, pouffé-je. Et il a une sacré endurance. J’ai plus l’habitude, mais ça n’est pas désagréable du tout.

— Oh purée, j’y crois pas ! Tu baises ? Mais depuis quand ? Et avec qui ? C’est un bon coup, on dirait ! Raconte-nous tout !

Je joue le suspens et les regarde l’un après l’autre avant de prendre mon téléphone pour vérifier que je n’ai pas de message du fameux bon coup. Raté. Et je ne veux pas la jouer trop collante avec lui non plus.

— Oh, ça ne fait qu’une petite semaine, mais oui, c’est clairement un bon coup. Ça fait du bien de retrouver le monde des adultes, souris-je.

— Je doute que les jouets auxquels tu penses soient pour les enfants, se moque Ethan. Content de voir que tu y prends du plaisir, mais c’est quoi ? Un plan cul ? Le début d’un truc plus sérieux ?

— Je ne m’emballe pas, mais… je crois qu’on est sur plus qu’un plan cul, même si on y va mollo. Équation à trois inconnues, quand même, je ne peux pas faire n’importe quoi avec Mathis.

— Eh bien, ça s’arrose ! Un toast pour le bel étalon qui te sort de ton célibat ! lance Isa, visiblement décidée à boire pendant sa soirée. Et tu l’as rencontré où ?

— Au boulot, en fait. Disons que quand tu bosses tous les jours avec la même personne, forcément, ça rapproche…

— Oh, c’est pas vrai ? Tu t’es acoquinée avec le jeune qui sort de prison ? Tu fais ta cougar ?

— Je me suis acoquinée avec mon collègue, soupiré-je. La prison, c’est fini, pas besoin de toujours l’identifier comme un ex-taulard, hein ? Je veux dire… Tu n’es plus étudiant, on ne te parle pas tous les jours de l’université.

— Tu es sûre que tu veux que ce soit plus qu’un plan cul ? Ce n’est peut-être pas raisonnable, ajoute Ethan, toujours aussi ancré dans la réalité.

— Raisonnable ? C’est un canon, un bon coup et elle est tout sourire. Faut arrêter d’être raisonnable, parfois, ça fait quatre ans qu’elle l’est, elle a le droit de profiter aussi, non ? intervient Isa qui me gratifie d’un clin d’œil complice.

— Ouais, mais à son âge, difficile de s’engager, je trouve. Enfin, j’espère me tromper. Tant qu’il s’occupe bien de toi, c’est ce qui compte.

— On n’a pas encore parlé de mariage non plus, tu sais ? On prend notre temps, je t’ai dit. Et il est génial avec moi, alors s’il te plaît, je ne te demande pas de m’encourager, mais juste de ne pas réagir comme pourraient réagir mes parents et mes frangins. Je risque d’avoir assez d’adversité comme ça si je les mets au courant à un moment donné.

Ethan réagit un peu comme je le craignais, mais ça aurait pu être pire. Pourquoi faut-il toujours que les gens aient leur opinion sur les autres, comme ça ? Ou alors, est-ce que je vais droit dans le mur ? Non, j’ai un bon feeling avec Sacha… Je ne veux pas être influencée par l’avis des autres.

— Bref, je vous ressers à boire? demandé-je en me levant.

— Moi, je vais rentrer, Elise m’attend à la maison. En tout cas, bonne chance avec ton amoureux, j’espère que ça va être une super histoire.

— Oh, déjà ? Je… OK. Bonne fin de soirée alors, lui dis-je en le prenant dans mes bras pour le saluer. Isa, tu fais quoi, toi ? Tu vas retrouver Nana ?

— Oui, je vais faire comme Ethan et retrouver ma chérie. Tes histoires m’ont donné des envies qu’il faut soulager. Bonne nuit et bonne chance avec le minot !

Je soupire en refermant la porte sur eux après de rapides au revoir, et me demande s’ils n’ont pas préféré fuir plutôt que de me dire ce qu’ils pensaient de ma relation avec Sacha. Toujours est-il que je rumine et me pose bon nombre de questions en rangeant les restes de cette soirée brutalement écourtée. J’ai bien conscience qu’en seule célibataire du groupe, il est évident que je ne peux pas faire le poids face à leur moitié, mais une soirée par semaine, est-ce si terrible que ça ?

Quand je me glisse sous les draps, il est à peine vingt-deux heures trente et je prends mon bouquin sans parvenir à me concentrer sur ce que je lis. Peut-être qu’il faudrait que je cherche des livres sur les relations avec un ancien prisonnier ? Au moins, ça m’intéresserait davantage que ce polar où le tueur est un peu trop évident à mon goût.

Après un nouveau coup d’œil à mon mobile vide de toute notification, j’hésite quelques secondes avant de lancer un appel à Sacha. Loin de moi l’idée de jouer l’amoureuse transie, mais j’ai envie d’entendre sa voix qui résonne rapidement à mon oreille, pleine de chaleur.

— Salut Livia. Tes amis sont déjà partis ?

— Oui il semblerait qu’ils aient mieux à faire que de passer la soirée avec leur amie, ce soir. Ça va, toi ? Pas d’éduc insupportable ?

— Non, ça va, ce soir, c’était Aurélie et un stagiaire. Ils ne sont pas embêtants. Tu sais que tu m’as manqué ?

— Je crois que j’aime un peu trop t’avoir dans mon lit, du coup, tu me manques aussi, ris-je, mal à l’aise de me dévoiler.

— Juste dans ton lit ? Parce que moi, c’est clair que si je pouvais sortir sans risquer de perdre ma place, je viendrais bien terminer la nuit avec toi…

— Si seulement. C’est vraiment la poisse. Je te rejoindrais bien en douce, mais j’ai un gamin endormi dans la chambre en face de la mienne. Quant au reste… On s’est vu au boulot aujourd’hui, quand même. Je crois même que tu m’as tripotée plusieurs fois. Tu n’en as pas eu assez ?

— Non, jamais. C’est tellement frustrant de ne pas pouvoir se voir quand on veut. Vivement demain qu’on se retrouve !

— Quand est-ce que tu veux faire des heures supp’, un soir ? Histoire de dormir chez ta collègue ? Je signe le papier tout de suite, moi.

— Demain, on fait ça ! D’accord ?

Je souris bêtement et regarde la place vide à mes côtés.

— OK, va pour demain. J’ai hâte. Je vais aller faire des courses demain matin, tu veux manger quelque chose de particulier ? Qu’est-ce qui te ferait envie ?

— Toi, bien sûr ! Et pour le reste, je te fais confiance ! dit-il, un sourire dans la voix.

— Tu ne m’aides pas, pouffé-je. Bon, allez, je te laisse. Il faut qu’on dorme bien tous les deux, histoire de profiter demain soir, non ?

— Oui, tu as raison. Fais de beaux rêves. A demain.

— Jolis rêves à toi, mon Loup ! A demain.

Je raccroche sans me départir de mon sourire et me love sous mon drap avec une envie un peu enfantine de vite m’endormir pour que demain arrive plus vite. Certes, l’objectif est tout sauf un jeu d’enfant, je le conçois, mais j’ai vraiment hâte de passer un petit moment en tête à tête avec Sacha. C’est vrai, au café, c’est mignon et un peu excitant, mais ici, loin des regards une fois Mathis couché, c’est quand même bien plus agréable. Je ne sais pas trop où je vais, sur le long terme, avec Sacha, mais j’avance et ça me va comme ça, pour le moment.

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