26. Le parc des confidences

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Livia

Je m’installe sur la banquette aux côtés de Mathis et lui essuie la bouche en souriant. La matinée n’a pas été facile, devoir jongler entre le shop et mon fils m’a rincée. Évidemment, ce n’est pas sa place, et j’essaie au maximum d’éviter ça. Ce n’est pas très drôle pour lui de devoir se tenir tranquille pendant des heures, de se cantonner à ses quelques jouets que j’ai pris au hasard pour remplir son petit sac à dos rapidement et ne pas être trop en retard au boulot. Mais quand je n’ai pas d’autre option, c’est toujours mieux que de ne pas bosser. J’ai besoin de ce salaire, et mes parents agissent vraiment comme des employeurs, ce que je ne peux pas vraiment leur reprocher, même si un peu plus d’empathie ne ferait pas de mal.

Mathis monte sur mes genoux et glisse ses petites mains dans mon cou pour me faire des chatouilles. Il trépigne d’impatience que j’aie fini le travail pour pouvoir enfin aller se défouler. Honnêtement, il a été sage comme une image, ce matin, et je pense qu’on va zapper la sieste pour aller au parc près de la maison, même si je risque de le regretter lorsqu’il sera grognon, ce soir. Il fait beau, il faut qu’il sorte, qu’il s’amuse. Je ne suis pas sûre de pouvoir partir en vacances cet été, mais je vais essayer d’au moins lui faire profiter du beau temps ici, à Paris.

Je rigole et lui chatouille les flancs en retour, récoltant l’un de ses éclats de rire qui me font toujours plus mourir d’amour pour cette petite tornade qui a bouleversé ma vie. En relevant les yeux vers le comptoir, je surprends le regard attendri de mon collègue et lui souris en retour. Sacha me semble bien éteint depuis que sa sœur est passée ce matin au café, et ça m’embête. Je sais que je devrais être davantage focus sur mon fils et moi, mais le voir à moitié dépité me peine et me donne envie de lui redonner le sourire. C’est bête, mais c’est un peu ce que j’essaie de faire partout où je passe. Quand je bossais à l’agence de voyage, plus que le fait de faire du chiffre, c’était ça qui me boostait. Les gens étaient heureux à l’idée de partir en voyage, de découvrir un nouveau pays, de se projeter dans un bel hôtel… Et ça me faisait du bien.

— Dis-moi, petit kangourou, ça te dirait qu’on propose à Sacha de venir au parc avec nous, cet après-midi ?

— On va au parc ? me demande-t-il avec un sourire jusqu’aux oreilles qui réchauffe mon petit cœur solitaire.

— Oui. J’ai envie de faire du toboggan, moi.

— Trop bien ! Sassa ! interpelle le petit en m’escaladant pour descendre avant de se précipiter derrière le comptoir. Tu viens au parc ? Allez, dis oui !

— Tu veux que je vienne avec vous ? Mais… pourquoi pas, finit-il par dire devant la tête suppliante de mon fils.

— Youpi ! s’écrie mon fils en sautillant sous nos regards amusés. tu vas voir, il est trop bien, le parc. Avec Maman, on fait du toboggan, de la balançoire, et des fois on fait le pique-nique aussi. Oh, Maman ! Je veux une glace pour le goûter !

Je crois que je lui ai donné trop de mauvaises habitudes, à ce petit monstre. Je hausse les épaules, presque imperméable à ces petits yeux qui m’ont longtemps fait flancher.

— On verra. Range tes jouets dans ton sac. On file dès que Papy et Mamie sont là. J’aide Sacha à nettoyer en attendant. Pas de bêtise, sinon…

— Sinon, pas de glace, soupire-t-il en levant les yeux au ciel.

— Je crois que mon fils passe son temps à se foutre de moi, dis-je à Sacha en le rejoignant derrière le comptoir.

— Il est drôle en tout cas, s’exclame mon collègue qui rajoute plus bas, tu es sûre que je ne vais pas vous déranger au parc ? J’ai un peu l’impression de m’imposer à toi à cause de ton petit moqueur.

— Ça te rassure si je te dis que c’est moi qui lui ai soufflé l’idée ? Et puis, tu sais, je préfère dix fois ta compagnie à celle de la mère de son copain Jason. Et je fais avec quand il s’agit d’elle, donc encore une fois, tu ne t’imposes pas.

— Alors, si tu es à l’origine de cette sortie, je suis rassuré et je viens avec plaisir. Cela m’évitera d’aller regarder les murs de ma chambre au centre.

— Parfait ! Par contre, passage obligatoire par la boulangerie, j’ai les crocs, souris-je en enlevant mon tablier.

— Oui, ça va être fun. Moi aussi, je crève la dalle.

J’acquiesce et réceptionne mon fils qui me saute dessus en criant que Mamie est là. En voilà un qui a hâte de filer s’amuser. Je ne tarde pas à saluer ma mère et sors dans la rue avec Mathis, non sans avoir fait signe à Sacha de nous rejoindre, ce qu’il fait sans tarder alors que nous patientons devant la boulangerie, en face du café. Nous faisons la queue et gagnons rapidement le parc, où Mathis s’échappe pour grimper sur la structure de jeu. Mon collègue et moi nous installons à une table de pique-nique près de l’aire pour croquer dans nos sandwichs en observant le petit monstre qui s’éclate et retrouve un de ses copains d’école.

— Je peux te demander un truc ? questionné-je Sacha, le sortant totalement de ses pensées.

— Euh, oui, si tu veux… mais ne m’en veux pas si je n’ai pas envie de te répondre… Il y a des choses dont je ne suis pas très fier.

— Parce que tu crois que je suis fière de tout ce que j’ai fait ? ris-je. On a tous des gamelles, certaines plus lourdes que d’autres, c’est sûr, mais… est-ce que tu as déjà eu l’impression que je te jugeais ? Parce que si c’est le cas, je t’assure que non.

— Non, je me juge bien assez moi-même, tu sais. Avec mes conneries, j’ai réussi à perdre tout ce qui comptait pour moi.

— Ce n’est pas comme ça que tu vas réussir à avancer… Si ta sœur était là, c’est parce que tu comptes encore pour elle, non ?

— Peut-être. C’est surtout qu’elle ne me fait plus confiance et qu’elle voulait voir si je la baratinais ou pas.

— Eh bien… elle a vu que ce n’était pas le cas. C’est une bonne chose, non ? Je suis sûre qu’elle va revenir, elle est tombée sous le charme de Mathis, souris-je.

— C’est vrai qu’il est mignon mais je ne suis pas sûr que ça suffise. Je crois que ce serait mieux pour elle de tourner la page et de m’oublier.

— Ne dis pas n’importe quoi, tu restes son frère et sa seule famille, c’est… Il faut que tu te battes pour renouer le lien avec elle, Sacha. Elle doit pouvoir voir que tu as changé, que tu as appris de tes erreurs.

— Pour ça, je crois qu’il va falloir que j’emprunte Mathis à temps plein si je veux avoir un espoir d’y arriver !

— Désolée, je ne me sépare pas de lui plus de quelques heures, sous peine de finir folle d’inquiétude avec un ulcère. Mais… ponctuellement, c’est envisageable.

Je lui souris et lui fais signe de regarder le sujet de notre conversation, occupé à aider une petite fille à monter sur le petit muret d’escalade.

— Il faut que j’en profite, en plus, je pense qu’il va vite oublier sa mère, ce petit tombeur, ajouté-je en soupirant.

— Je ne pense pas qu’on puisse t’oublier… énonce-t-il doucement, presque dans un murmure, sans même me regarder.

— Eh bien, le père de Mathis te contredirait certainement… Bref. Alors, c’est quoi, le plan, pour reconquérir ta frangine ?

— Un plan ? Euh… Je n’en ai pas vraiment. Me trouver un vrai boulot et gagner ma vie dignement ? Ou alors, tout abandonner parce que c’est mort et retourner au quartier ? Je ne sais pas ce que je dois faire.

— Tu as l’impression de faire du tourisme, au coffee shop, peut-être ? Parce que perso je rentre du boulot crevée et les jambes en compote, j’ai pas l’impression d’être en vacances, moi.

— Je ne suis pas à temps plein, moi. Et c’est un contrat aidé, ça ne suffit pas pour vivre et se prendre un appart. C’est la galère, en fait. Quand je pense que je me faisais dix fois plus avant…

— C’est vrai. Tu devrais y retourner, au quartier. Une bonne paie, de quoi avoir un appartement. Et puis… même une fois que tu te seras fait prendre, tu seras logé, nourri et blanchi, après tout, le provoqué-je alors qu’il me regarde enfin.

— Rajoute un peu de came et l’oubli qui va avec, ce n’est pas la définition du paradis, ça ? me provoque-t-il à son tour, visiblement pas convaincu par ses dires.

— Je n’ai testé que le pétard et je n’ai jamais oublié quoi que ce soit, moi. Je suis sérieuse, Sacha, il faut que tu t’accroches et que tu fasses tout ton possible pour renouer le lien. C’est… le plus important, la famille, même si tout est toujours loin d’être rose.

— Si je te disais que moi, je n’ai jamais fumé même un pétard, tu me crois ? J’aime pas perdre le contrôle de ce que je fais… Mais j’ai vu les effets et c’est pas joli, joli. Il y a mieux comme business, mais pas sûr que ce soit le pire…

— T’as jamais fumé un pétard ? ris-je. Tu viens de briser le mythe du bad boy que tu t’emploies à afficher. D’autres non-casseroles à ton actif ?

— Le mythe du bad boy ? Tu sais que je ne suis pas un gentil ? La prison, ce n’était pas pour rien, tu vois…

— C’est fini, la prison, non ? Comment tu veux que ta sœur te pardonne ta bourde si tu ne le fais pas toi-même ?

— Ce n’était pas une bourde. J’ai choisi la voie de la facilité en toute connaissance de cause. Je mérite ce qui m’est arrivé et j’aurais mieux fait de l’écouter quand elle me disait d’arrêter mes conneries.

— Tu lui as dit, ça ? Elle sait que tu regrettes et que tu t’es rendu compte que tu aurais dû l’écouter ? lui demandé-je alors que Mathis nous rejoint et grimpe sur le banc à côté de lui.

— Je ne sais pas, c’est comme une étrangère pour moi, désormais. La petite fille que je connaissais a disparu.

— Tu veux vraiment lâcher l’affaire ? lui demandé-je, incertaine. Parce que je viens d’avoir une idée, moi…

— Autre que me laisser Mathis à plein temps chez moi ? Vraiment ?

Je ne lui réponds pas tout de suite et réfléchis un peu. J’ai encore balancé ça sans y penser, et je me demande si c’est une bonne idée. Mais… qui ne tente rien n’a rien, non ?

— Elle est en vacances, ta sœur, non ?

— Oui, elle ne doit plus avoir cours, là.

— Bien. Il me faut son numéro. Je l’ai vue, je pense qu’elle s’en sortirait bien et j’ai besoin d’une nourrice. Tu sais que personne ne résiste à cette bouille d’ange… S’il veut venir au shop, elle va l’emmener… Et il veut venir tous les jours, souris-je.

— Tu confierais ton fils à la sœur d’un ex-taulard alors que tu ne l’as croisée que quelques instants ?

— Quoi, j’ai tort de faire confiance à ta famille ? lui demandé-je, mon regard plongé dans le sien.

— Je sais que non, moi, mais toi, comment tu pourrais en être sûre ?

— Tu me promets de ne pas me juger si je te raconte quelque chose que j’ai fait et que je regretterai toute ma vie ?

— Je serais mal placé pour juger qui que ce soit, tu sais ?

— Mathis, tu vas jouer cinq minutes ? Et après, on ira acheter des glaces pour le goûter, mon Cœur. Réfléchis à ce que tu veux, parce que je ne te donnerai pas ma glace au chocolat cette fois, canaille, souris-je alors qu’il acquiesce et obéit.

Je reste silencieuse un moment, me demandant si je vais bien lui avouer ce que je pense alors que c’est quelque chose dont je ne parle jamais.

— Quand Mathis avait six mois, j’ai pété un câble… Un matin, je l’ai déposé chez mes parents en prétextant que la babysitter était malade, et, au lieu d’aller bosser, je suis partie. Juste… partie. J’ai roulé sans but pendant des heures, trouvé une location en bord de mer… et j’ai juste disparu pendant trois semaines, sans donner de nouvelles à personne.

— Tu as fait quoi ? Tu étais où ? Et comment tu as fait pour abandonner ton fils adoré pendant autant de temps ? demande-t-il, visiblement surpris.

— Ce que j’ai fait ? J’ai… passé mon temps à pleurer au bord de la mer, à me dire que j’étais une mère indigne, que je ne méritais pas cet enfant. J’ai… j’ai vrillé. J’étais seule, je gérais tout, je n’avais pas le soutien d’un père, tu vois ? Je… je me sentais seule et impuissante. Il ne faisait pas ses nuits, il pleurait souvent, j’avais l’impression de lui faire plus de mal que de bien. Et je ne m’en sentais pas capable, tout simplement… Tu sais qu’il était prématuré ? J’ai passé son premier mois de vie à le regarder à travers une vitre ou à le prendre dans mes bras alors qu’il était relié à des machines. Je crois que je m’en suis voulu pour ça aussi, et ça s’est ajouté au reste. Bref, j’ai abandonné mon fils, soupiré-je alors que j’entends un trémolo dans ma voix, et est-ce que tu as l’impression qu’il m’en veut ?

Il me dévisage et je n’arrive pas à percer ce qu’il ressent ou ce qu’il pense de ce que je viens de lui avouer et que peu de personnes connaissent à mon sujet.

— Je te dirais bien que ce n’est pas pareil parce qu’il était tout petit, mais même à cet âge-là, on a une mémoire traumatique et clairement, il ne t’en veut pas. Et je comprends ce que tu veux me dire. Personne n’est parfait… J’espère que ma sœur dira oui pour la garde de Mathis…

— Personne n’est parfait, mais tout le monde à le droit à une seconde chance, Sacha, lui dis-je en attrapant sa main sur la table. Parfois, c’est pas gagné, et il est possible que tu rames, mais à force d’acharnement, tu y arriveras. Et parfois tu t’en voudras encore… C’est comme ça. Tu as son numéro ? Il vaut peut-être mieux que ça ne passe pas par toi, pour le coup… T’en penses quoi ?

— J’ai juste le numéro de la dame chez qui elle vit… Tiens, le voilà. Mais je doute que tout ça fonctionne. Ce serait trop beau.

— Maman ! On va chercher les glaces, maintenant ?

— Oui, on y va, petit kangourou, souris-je en le prenant dans mes bras. On va faire en sorte que ça fonctionne, “Sassa”. Et toi, tu veux une glace ?

— Seulement si elle est au chocolat, me répond le beau barbu. Et seulement si je peux t’en offrir une à toi aussi !

J’acquiesce en souriant et récupère mon sac. J’ai encore du mal à réaliser que je me suis confiée si facilement à lui… Alors, certes, mon objectif de base n’était pas de le faire, mais d’appuyer mes propos, cependant, ça ne change rien au fait que l’image de la Maman qui fait tout pour son petit vient de se prendre une belle entaille. Quant à cette histoire de babysitting, j’espère ne pas avoir fait de bourde et que tout se passera au mieux. Cet après-midi ne se déroule décidément absolument pas comme je le pensais.

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