17. L'éducatrice et ses bons conseils

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Sacha

Je nettoie les dernières tables, le cœur un peu plus léger que ce matin. Je parviens même à adresser un sourire à ma collègue qui est en train de clôturer la caisse. J'avoue que je ne sais toujours pas comment elle a fait pour me faire parler de ma sœur tout à l’heure. Quand elle s'est installée en face de moi, j'ai juste été pris d'une folle envie de me confier. Bon, je ne suis pas entré dans les détails non plus, mais je lui en ai dit plus que je ne le pensais possible. J'espère que je peux avoir confiance en elle et qu'elle ne va pas se servir de cette information contre moi.

Je continue à l'observer du coin de l'œil, en essayant de rester discret. Elle est vraiment mignonne quand elle se concentre comme ça en fronçant les sourcils, à la recherche sûrement des quelques centimes qu'il manque parfois à la fin d'une journée de service. Ses cheveux qu'elle a rassemblés dans un chignon simple et élégant dégagent parfaitement sa nuque et ses épaules. Elle a mis une petite robe aujourd'hui et j'avoue que je la trouve vraiment séduisante. C'est plutôt agréable de travailler avec une jolie femme comme elle même si c'est un peu frustrant. J'espère que le type pour lequel elle s'était apprêtée la dernière fois se rend compte de la chance qu'il a.

— J'ai terminé de mon côté, je te laisse tout fermer ?

Elle relève la tête et m'adresse un magnifique sourire qui ne fait qu'exacerber ma frustration. Il faudrait vraiment que je me trouve une petite parce que je commence à en avoir assez de fantasmer sur ma collègue qui ne doit voir en moi qu'un mec jeune et dépressif.

— Pas de souci, tu peux y aller, oui. Bonne soirée, Sacha, à demain.

Je dois me faire violence pour ne pas la retrouver derrière le comptoir et aller l'embrasser. Je refoule toutes les images déraisonnables qui se bousculent dans mon esprit et qui impliquent toutes nos deux corps imbriqués. Je me dépêche de sortir pour arriver au centre avant l'heure de fin du dîner.

Sur le chemin du retour, j'essaie vraiment d'évacuer toutes ces folles envie et y parviens en me concentrant sur la réaction de Marina ce matin. Livia ne m'a pas dit grand-chose mais elle m'a au moins permis d'arrêter de m'apitoyer sur ma situation et de me mettre à réfléchir à l'avenir. C'est clair que ce n'était pas l'idée du siècle de débarquer comme ça dans sa vie. Mais j'ai toujours fonctionné comme ça. D'abord, j'agis. Ensuite, je réfléchis. Comme quand je suis passé au quartier. Ou quand j'ai décidé de me sacrifier pour éviter la prison à Jo. Finalement, je fais le beau et mes potes m'appellent l'Intello, mais je ne suis pas si malin que ça vu comment je me retrouve toujours dans la galère.

Lorsque j'arrive au centre, je ne suis toujours pas au clair sur la conduite à tenir envers Marina et c'est avec un plaisir non feint que je croise le regard d'Aurélie qui est de service de repas ce soir. Je m’approche d'elle et constate qu'elle aussi s'est habillée légèrement en raison des températures estivales. Le joli top de la petite blonde attire le regard de tous les gars présents qui vont tous bien fantasmer, je pense.

— Aurélie, on peut se voir après le dîner ? J'ai vraiment besoin de toi et de tes conseils.

— Ouais, moi aussi j'ai besoin, lance Karim, hilare, en faisant un geste obscène avec ses doigts.

Je lui lance un regard noir et m'apprête à répliquer en serrant déjà les poings quand l'éducatrice intervient.

— Tu refroidiras tes ardeurs en faisant la corvée de vaisselle ce soir, Karim, ça devrait te permettre de te souvenir que je ne suis pas là pour ça, et toi non plus d’ailleurs. Sacha, on se voit après le repas, pas de problème, termine-t-elle d’une voix plus douce en m’adressant un sourire auquel je réponds d'un simple signe de tête.

Je vais m’installer à une place libre en donnant un bon coup d'épaule au passage à Karim qui n'ose pas réagir quand il voit le regard noir que je lui lance, et je jubile intérieurement quand il passe à la plonge pour commencer son service. Lorsqu'Aurélie me fait signe de la suivre, je dépose mon plateau devant l'autre abruti et souris quand il m'adresse un doigt d'honneur.

— Astique bien surtout, vu que c'est tout ce que tu sais faire, lui lancé-je en m'éloigner.

Pas sûr qu'il saisisse la référence, mais moi, ça me fait rire. Arrivé au bureau, Aurélie est déjà installée à sa place et m'invite à m'asseoir en face d'elle. Quand elle plonge ses beaux yeux verts en forme d'amande dans les miens, j'en oublie presque la raison de cet entretien, avec juste le geste obscène de Karim dans la tête.

— Alors ? Qu’est-ce que je peux faire pour toi ? Tu veux des conseils d’une éduc, vraiment ?

— Pourquoi ? l'attaqué-je en sortant de ma rêverie. C'est si étrange que ça de te demander de faire ton travail ?

— Range les crocs, Sacha, soupire-t-elle. Alors, comment ça s’est passé avec Marina, ce matin, selon toi ? Ne me regarde pas comme ça, son assistante familiale m’a appelée. Et ne te braque pas, ce n’était pas pour te casser du sucre sur le dos.

— J'ai bien merdé, je crois. Je me demande si ma sœur va accepter de me revoir tellement j'ai été con. Elle est en colère contre moi et je crois que je lui fais peur. Bref, si tu ne m'aides pas un peu, autant que je retourne directement au quartier. Au moins, là-bas, ils ont autre chose que du doliprane pour se soigner.

— Je peux être honnête avec toi ? Je crois que là où tu as merdé, c’est quand tu lui as dit que tu voulais la récupérer. Tu as brûlé les étapes, Sacha. Déjà parce que tu ne peux pas la récupérer, pas tout de suite, mais aussi parce que c’est comme si tu effaçais les trois ans qu’elle vient de vivre et ce qu’elle a pu ressentir pendant ce laps de temps. Il faut y aller étape par étape, et ne pas faire ça n’importe comment.

— Avant que j'aille en prison, il y a un juge qui m'a donné la tutelle sur elle. Et ça n'a pas été annulé, que je sache. J'ai le droit de la récupérer si je veux ! m'énervé-je alors que ses propos sur le fait que je n'ai rien à lui offrir me reviennent en tête tel un boomerang, arrêtant net m'a diatribe juridique.

— Sauf que les services sociaux s’en sont mêlés depuis, Sacha. Tuteur ou pas, tu n’as plus la garde de ta sœur. Et pourquoi la récupérer ? Tu comptes l’héberger dans ta chambre, ici ? Écoute, je sais que tu veux son bien, à ta sœur, mais il faut faire les choses dans l’ordre. Sonia m’a dit que Marina et elles avaient beaucoup discuté après ton départ, et que ta frangine envisageait au moins des visites hebdomadaires, pour commencer. Rien n’est perdu, à toi de faire en sorte de ne pas précipiter les choses ou les gâcher.

— Tu crois vraiment que je vais accepter une heure de parloir par semaine comme en prison ? Et dire merci au maton quand je rentre dans ma cellule comme un con ? C'est pas des vrais conseils, ça !

Je m'emporte et constate que ma colère ne lui fait ni chaud ni froid. Elle se redresse un peu et me scrute un instant avant de reprendre calmement.

— Bien, alors, mon conseil, Monsieur le sourd, c’est d’arrêter de penser à ta petite personne et d’écouter ce que je vais te dire : C’est ce que ta sœur est prête à t’offrir, pour l’instant. Prends-le et fais en sorte de ne pas merder pour qu’elle veuille passer davantage de temps avec toi. Et, en même temps, cherche-toi un appartement, un boulot à temps plein ou au moins de quoi compléter ton temps partiel. Tiens-toi à carreau et fais les choses bien.

— Ça a l'air facile à faire en t'écoutant, grimacé-je. Tu n'es pas à ma place, tu ne sais pas ce que c'est d'être seul et sans espoir que les choses se passent mieux.

— Tu n’es pas seul, Sacha. Je sais que je ne suis que ton éduc emmerdante et moralisatrice, mais je suis là pour t’accompagner autant que possible. Et sans vouloir en rajouter une couche, si tu crois que la vie est facile, tu te fourres le doigt dans l’œil. Elle est semée de galères pour tout le monde et on y fait face comme on peut. A toi de voir si tu préfères te lamenter ou si on réfléchit à des solutions ensemble. La balle est dans ton camp.

Je la regarde et je sais que je suis en train de me faire avoir par son discours d'éduc mais une partie de moi veut y croire. J'ai un peu l'impression qu'elle est mon seul espoir.

— Et tu proposes quoi alors, concrètement ?

— Tu acceptes les visites hebdomadaires chez Sonia sans broncher, et puis tu t’intéresses à ta sœur. Et… magique, tu sais qu’elle joue du piano sur scène dans trois semaines ? Tu pourrais lui demander si tu peux y aller, non ? Et proposer de l’emmener déjeuner en ville, une fois le concert passé. Bref, tu ne t’emballes pas trop vite et tu respectes son rythme. De notre côté, on voit pour du boulot. Je viendrai faire un point avec les proprios du shop bientôt. Je sais qu’ils sont vieillissants, qui sait, peut-être qu’ils vont chercher à lever le pied. Si tu fais le taf, ton contrat pourrait évoluer. Tu commences à regarder les annonces pour des appartements et on voit ce que ça donne. Je sais que tu es pressé, Sacha, mais là, rien ne peut se faire d’ici la fin de semaine, tu comprends ? Il va falloir que tu sois patient. Ah, et, une dernière chose, soupire-t-elle en se penchant dans ma direction. Ta sœur n’a pas peur de toi. Elle ne veut pas être déçue ou à nouveau lâchée, c’est tout.

— J'aime pas être patient, je l'ai été trois ans en prison et j'en ai marre. Mais je comprends. Je ne suis pas un imbécile non plus, tu sais ? J'espère juste que tu dis vrai et que tu vas pas me lâcher toi aussi.

— Tu sais qu’une fois que tu ne seras plus ici, je ne serai plus ton éduc, quand même ? sourit-elle. Je vais te manquer, finalement ? On va faire en sorte que tu aies une situation stable pour que tu puisses récupérer la garde de ta sœur, mais je ne suis que le soutien, c’est toi qui dois bosser, Monsieur Je-ne-suis-pas-un-imbécile. Je sais que c’est une montagne à gravir, mais tu vas y arriver.

— Parce que tu ne viendras pas me voir dans mon logement ? Pourtant, si j'y arrive, je peux t’assurer que je t'y accueillerai toujours avec plaisir.

— Quand tu y arriveras, tu veux dire. Et je ne sais pas si j’aurai encore envie de devoir te supporter, moi, me répond-elle, le sourire aux lèvres. En tout cas, je suis contente que tu aies fait la demande pour qu’on se voie, ça montre une fois encore que tu veux vraiment t’en sortir. Tu peux être fier de toi, Sacha.

— Je serai vraiment fier de moi quand j'aurai mon appart, ma sœur à la maison et une petite copine aussi mignonne que toi, m'autorisé-je à lui dire en retrouvant le sourire et un peu d'espoir.

— Arrête de jouer le lover, rit-elle en rougissant légèrement. Et tu as le droit d’être fier de chacune de tes réussites, même si l’objectif final n’est pas encore atteint.

— Merci de m'avoir écouté, Aurélie. Et je suis sérieux, si tout se passe bien, c'est avec grand plaisir que je t'accueillerai chez moi.

J'essaie de cacher le désir que je ressens derrière un sourire et m'éclipse rapidement après l'avoir saluée. L'espoir est faible, mais je devrais pouvoir relever ce défi, non ?

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