14. Un gastro pour la mama

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Livia

Je soupire en jetant la troisième robe qui me passe entre les mains sur mon lit. Il y a une éternité que je n’ai pas fait de shopping pour moi, j’ai l’impression que tout ce que je porte est dépassé. Bon, j’ai toujours eu un style un peu décalé, suivre la mode ne m’intéresse pas. Loin des truc moulants, des jeans troués et autres tendances que je vois par le biais des jeunes qui passent ici, j’ai un côté bohème et fleuri, un look souvent oversize qui me convient bien. Mais je voulais être classe, ce soir, changer un peu. Sauf que je n’ai rien qui pourrait le faire, et qu’en plus, ça ne serait pas moi. Alors tant pis, j’enfile mon pantalon taille haute couleur corail, celui des grandes occasions, et un crop top blanc en dentelle sous une veste de costume oversize noire, et récupère mes compensées d’été sous ma commode. J’adore mon reflet dans le miroir. Le pantalon moule mes hanches un peu trop larges à mon goût et s’évase le long de mes jambes, le top dévoile mon ventre enfin redevenu à peu près ferme sans être trop provocant… Je fermerai ma veste pour espérer rentrer tranquillement ce soir sans être accostée par des mecs dans la rue, ça fera l’affaire.

Je discipline rapidement mes cheveux ondulés et hésite une nouvelle fois à maquiller ma bouche, mais j’aurais l’impression d’en faire trop. Je veux lui plaire, mais pas non plus avoir l’air d’une nana qui a passé deux heures à se préparer, même si j’en conviens, c’est presque le cas.

Lorsque je sors de la chambre, j’évite de justesse les mains couvertes de purée de carotte de mon fils et soupire de soulagement en voyant Diego l’attraper.

— Eh bien, ça faisait longtemps que je ne t’avais pas vue si resplendissante ! Tu es à croquer ! me lance mon frangin.

— Essuie-lui les mains, que je puisse l’embrasser, tu veux ? ris-je. Ça va, c’est pas too much ou, au contraire, trop décontract ?

— Non, si je n’étais pas gay et que tu n’étais pas ma soeur, je te sauterais dessus ! Il en a de la chance, ton rencard. Et moi aussi, car le Bisounours, je l’adore !

— Ça fait beaucoup de “si”, quand même. Merci de le garder.

Je les enlace tous les deux et couvre mon fils de baisers une fois que son oncle l’a débarbouillé. J’ai déjà dû reporter une fois le rencard, hors de question d’être en retard ce soir.

— Tu es sage avec Tonton, petit kangourou. On se voit demain matin, c’est moi qui te réveille. Je t’aime très très fort !

Pour une fois, je ne traîne pas trop sur les “au revoir” et dépose une bise sur la joue de mon frère avant d’attraper mon sac et de sortir. Je descends les escaliers rapidement et longe le bâtiment pour entrer au Shop, où Sacha est affairé à nettoyer les tables alors que c’est l’heure de fermeture.

— Ça a été, cet après-midi, collègue ? lui demandé-je alors qu’il lève les yeux dans ma direction.

Il s’arrête net dans ce qu’il fait et reste la bouche ouverte en me regardant, ce qui a le don de me faire sourire et me conforte dans le choix de ma tenue.

— Euh, oui… se reprend-il, apparemment incapable de détourner son regard appréciateur de moi.

— Tu sais où sont les proprios ? Ça va, toi ? Tu as l’air… ailleurs, le taquiné-je.

— Tu es juste superbe, ce soir. Encore plus que d’habitude, ajoute-t-il avant de rougir et d’enfin détourner le regard. Tes parents sont rentrés chez eux et m’ont dit de tout fermer, c’est ce que je suis en train de faire.

— Merci, souris-je en tentant de ne pas paraître trop nunuche face à sa remarque. D’accord. Très bien. Tu bosses comment, demain ?

— Comme toi, je crois. On fait l’après-midi et la fermeture à deux. Ça te laissera le temps de te remettre de ta soirée, au moins.

J’ai presque l’impression qu’il est jaloux quand je l’entends dire ça.

— Je ne pense pas rentrer tard. Promis, je ne serai pas de mauvaise humeur demain. Bon courage pour la fermeture, Sacha. Je suis contente que tu sois revenu, tu sais ?

— Moi aussi, je suis content d’être revenu, même si je me suis pris quelques remarques de ta mère. Merci de m’avoir appelé hier soir. Vraiment. Amuse-toi bien quand même, ce serait dommage de ne pas profiter alors que tu es si belle. A demain.

Je lui souhaite une bonne soirée et sors pour rejoindre Sébastien dans un restaurant à à peine un kilomètre d’ici. J’hésite à m’engouffrer dans la bouche de métro, mais je choisis la marche et profite de ce temps pour appeler mon frère Charles, et prendre des nouvelles de sa petite famille.

Quand j’arrive, dans la rue du restaurant, mon regard tombe sur mon rencard et je me dis que l’effort de préparation en valait la peine. Il est vraiment classe, bien que plus sobre que moi, dans sa petite chemise blanche et son pantalon marron. Et le sourire qu’il affiche en m’apercevant me fait me dire que j’ai quand même visé juste sur ma tenue. Ou alors, il masque vraiment bien ses émotions.

— Bonsoir, Sébastien, lui dis-je en souriant. Je pensais être en avance, je vois que vous me battez largement.

— Lorsque je sais qu’une belle surprise est au rendez-vous, je suis impatient comme un enfant ! Et là, j’ai l’impression que la surprise est encore plus merveilleuse que ce à quoi je m’attendais !

— On peut dire que vous savez flatter une femme…

Même si c’est peut-être un peu trop ? J'ai du mal avec son côté guindé. Le "tu es superbe" de Sacha m'a semblé plus sincère, j'avoue.

— Je nous ai réservé la meilleure table. Vous verrez, tout sera parfait ce soir.

— Faites attention, Sébastien, j'ai tendance à trouver la perfection ennuyeuse, lui dis-je en riant.

J'espère faire passer le message. S'il est réellement comme ça, je pourrais m'y faire, mais si son côté gentleman coincé du popotin est un rôle, autant qu'il le lâche dès à présent. Il m'ouvre la porte du restaurant et m'enjoint à le devancer, avant de s'adresser au maître d'hôtel. Ouais, franchement, il aurait pu viser un petit italien plus simple ou une brasserie. Je n'ai pas un palais très fin, je ne suis pas délicate, et j'aime la bouffe. Un gastronomique… Pourquoi pas, mais une chance sur deux pour que je me fasse les restes dans le frigo cette nuit.

Je me dis que je suis vraiment ingrate quand nous nous installons à table. C'est vrai, quoi, il met les petits plats dans les grands pour me séduire, et moi je pense à la petite crise de boulimie que je risque de me faire en rentrant. C'est moche. Si ma mère était dans ma tête, je me ferais bien engueuler.

— C'est joli, ici. Et la carte a l'air… appétissante, j'avoue, continué-je en la parcourant des yeux.

— C’est un de mes restaurants préférés, tu sais, me répond-il en passant au tutoiement. Et je crois que grâce à ta présence ici avec moi, je vais encore plus apprécier y revenir maintenant que l’on va y avoir des souvenirs communs. Je te conseille l’omelette aux truffes, un délice.

— Eh bien… Je crois que je vais suivre tes conseils alors, affirmé-je en utilisant également le “tu” à présent.

Il fait signe au serveur que nous sommes prêts à passer commande et je me retrouve rapidement avec un cocktail devant moi, aussi délicieux qu'inédit en bouche. OK, peut-être que le gastro peut valoir le coup, pour une fois.

Cette fois encore, comme à la galerie, la conversation est relativement fluide et nous nous dévoilons davantage. J'apprends ainsi qu'il a déjà été marié mais n'a pas d'enfants, qu'il est vraiment passionné par toute forme d'art puisque nous discutons musique durant un moment et il me perd totalement. J'en viendrais presque à me sentir un peu bête, en le côtoyant, mais il semble se rendre compte de ma gêne puisqu'il me pose des questions sur mon fils.

Lorsque nous sortons finalement du restaurant, le soleil s'est couché et nous avons passé plus de trois heures à papoter. On peut dire que c'était une soirée agréable, et je suis fière de moi. J'ai réussi à ne pas me tâcher, à ne pas dire de bêtises, à ne pas passer mon temps à parler de Mathis. Autant dire que pour une mère qui ne vit que pour son gosse depuis bientôt quatre ans, c'est une victoire sans commune mesure.

— Eh bien, merci beaucoup pour le repas, Sébastien, c'était très sympa.

— J’ai passé un moment merveilleux en ta compagnie. Cela faisait longtemps que je n’avais pas pu apprécier la présence d’une jolie femme comme toi.

Où est le vice caché, s'il vous plaît ? J'ai l'impression d'avoir passé ma soirée avec un homme parfait… Et on sait toutes qu'homme ne rime pas avec parfait, clairement. Oh, ça va, j'ai bien le droit d'être un peu amère, j'ai été lâchement abandonnée par un mec qui n'avait des testicules que pour concevoir un enfant, quand même.

— Eh bien, pour être honnête, c'est ma première vraie sortie depuis une éternité. J'entends, sans que mes meilleurs amis ne m'obligent à sortir, tu vois ? Et c'était vraiment agréable. Merci beaucoup.

— Je peux te raccompagner jusque chez toi ? Cela nous permettra de prolonger encore un peu cette félicité d’être avec toi.

C’est normal qu’un vent de panique me gagne instantanément ? Parce que là, je l’imagine déjà me rouler un patin, me proposer de monter et de finir la nuit à poil. Et le dernier homme à m’avoir vue nue, c’est mon gynéco. Enfin… je n’étais même pas vraiment nue. Disons qu’il est le dernier à avoir plus ou moins visité ma grotte. Est-ce que c’est vraiment comme le vélo, ça aussi ? Je me suis habituée aux plaisirs solitaires, Hector est doué, Hector vise juste, Hector me fait jouir systématiquement. Hector vibre et fait ce que je lui dis. Rien de plus simple… Allez, ça suffit, Livia, retour dans la conversation ?

— Heu, oui, pourquoi pas, mais j’habite à presque un kilomètre, tu sais ? Bon, je t’avoue que ça me rassure un peu, je n’aime pas vraiment me promener dans la rue seule, à cette heure, lui dis-je alors que nous prenons la direction de chez moi.

— Avec moi, tu ne risques rien, répond-il tout sourire, en venant prendre ma main.

Je le laisse faire et lui offre également un sourire, et nous marchons silencieusement durant un petit moment avant qu’il ne reprenne la parole.

— J’espère que nous pourrons nous revoir rapidement. Tu es une femme splendide, Livia, et j’aimerais vraiment que toi et moi, on puisse commencer une belle aventure.

S’il parle de se revoir, c’est peut-être qu’il n’envisage pas de passer à l’étape supérieure dès maintenant ? J’avoue que ça me rassure un peu… Quatre ans sans sexe avec un homme, c’est juste une éternité. Et entre-temps, j’ai quand même été énorme comme une baleine, mon corps a changé, mon assurance en a pris un coup.

— Ce sera avec plaisir. J’habite ici, soufflé-je en lui montrant le porche d’un signe de tête. Merci de m’avoir raccompagnée.

— Est-ce que j’abuserais de toi si je demandais d’être payé de ma galanterie par un petit baiser ? s’enquiert-il, souriant, mais sans l’assurance qui a caractérisé le reste de la soirée.

Un baiser… Ce n’est pas grand-chose, mais une montagne. Mes bisous sont humides et bruyants, font rire ou réconfortent, et uniquement destinés à mon fils depuis bien longtemps. Il faut vraiment que j’arrête de réfléchir, je me sens ridicule à souhait. Il est où, le bouton “off” ?

J’approche maladroitement et lève la tête dans sa direction. J’ai beau avoir des talons, il reste plus grand que moi et me regarde intensément, le visage baissé. Il ne fait pas un mouvement, patientant dans l’attente de la décision. J’ai un peu l’impression qu’il arrive à comprendre mon hésitation, mes doutes, et il n’esquisse un mouvement que lorsque ma bouche se pose sur la sienne. Rien de déplacé, il pose juste ses mains sur mes hanches et bouge à peine les lèvres, me laissant totalement le contrôle.

— Tu es exigeant, quand même, ris-je en reculant d’un pas, un “merci” ne suffit pas ?

— Merci pour ces instants exquis. A très vite, charmante Livia. Je… C’était formidable, cette soirée.

— Bon retour, et encore merci pour cette soirée, Sébastien. A bientôt.

Je tape le code sur le digicode et m’engouffre dans la cour, non sans lui avoir adressé un signe de la main. C’était sympa, oui, mais ce baiser… manquait de quelque chose. Sébastien est gentil et agréable, mais peut-être un peu trop lisse à mon goût. Ou alors c’est trop tôt ? Toujours est-il que je n’ai rien ressenti de particulier en l’embrassant. Je sens que le débrief avec Diego va être sympa. Il va s’emballer comme pas possible, lui, alors que j’ai plutôt tendance à garder les pieds bien ancrés sur terre, moi.

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