06. L’art de faire des rencontres

9 minutes de lecture

Livia

— Doucement, Mathis, tu mets de l’eau partout, gloussé-je en l’éclaboussant.

— Mais, Maman ! Pas dans les yeux !

— Par terre, mais pas dans les yeux ? Tu plaisantes ?

Il lève son dinosaure en l’air et le rabat dans l’eau brusquement une fois de plus. Quel petit monstre, c’est dingue.

— Giganto, il coule pas, c’est nul.

— Ce n’est pas en le balançant encore et encore que ça va changer. S’il flotte, il flottera encore.

Je passe ma main dans ses cheveux pour lui dégager le front et m’installe devant le lavabo pour me sécher les cheveux au diffuseur, non sans jeter des coups d’œil fréquents au kangourou qui s’amuse dans la baignoire. Je sens que je vais regretter de me préparer sans l’avoir d’abord sorti, séché et habillé, mais je ne suis pas très en avance et je ne peux pas prendre le temps de jouer avec lui, ce soir.

— Allez, on sort, mon chéri.

— Oh non, encore un peu, Maman !

— Non, regarde, tu as déjà les doigts tout fripés et tu as les lèvres violettes. Allez, viens.

Je ne lui laisse pas l’occasion de discuter davantage et l’attrape sous les bras pour le sortir de l’eau. Je le pose sur la serviette, sur le meuble du lavabo, et l’emmitoufle dans sa sortie de bain. Il est tellement mignon que je ne peux m’empêcher de le câliner tout en le séchant. Je dévore son cou de bisous en l’habillant et lui répète encore et encore combien il est beau en le coiffant. Les rituels rassurants, les compliments, l’amour à profusion, voilà l’éducation sur laquelle j’ai misé. Peut-être pas la meilleure, je n’en sais rien en fait, mais je m’en fiche. C’est celle qui me correspond le mieux, je crois. Et Dieu sait que j’en ai lu, des bouquins sur l’éducation, des articles sur la parentalité… Je me suis collé une pression monstre avant même d’accoucher. Et puis, je me suis rendu compte que je ne pouvais pas simplement coller à une forme d’éducation, qu’il fallait que je fasse en fonction de moi, mais aussi en fonction de Mathis. Alors, j’essaie de faire au mieux, tous les jours.

— Y a quelqu’un ici ?

— Tontooon !

Je viens de perdre un tympan, et je descends le kangourou du meuble alors qu’il se tortille pour retrouver Tonton Diego au mépris de sa pauvre mère. Je resserre mon peignoir et le suis tandis qu’il court dans les bras de mon frère.

— Salut, Frérot, souris-je en me glissant sous son bras libre pour l’enlacer.

— Salut, vous. On se voit beaucoup, en ce moment dis-donc !

— Avoue que tu apprécies l’idée de passer ton samedi soir à garder ton filleul plutôt que d’aller déhancher ce petit c… popotin, dans une boîte de nuit, souris-je en jetant un œil à Mathis.

— Je préfère cent fois la compagnie du Bisounours à celle d’inconnus cruels, oui.

— Parfait ! Je file m’habiller.

Je me rends dans ma chambre et laisse la porte entrouverte. Je récupère ma petite robe fleurie et l’enfile rapidement alors qu’ils débarquent déjà dans la pièce, s’installant tous les deux sur mon lit.

— Il y a de la purée de carottes dans le réfrigérateur pour ce soir, et des steaks hachés, dis-je en commençant à me maquiller devant le grand miroir mural. Il prend toujours un yaourt au chocolat en dessert, mais ne le laisse pas en manger un deuxième, OK ? De l’eau pendant le repas, et un petit biberon de lait tiède avant de se brosser les dents et d’aller au lit.

— Livia, c’est pas la première fois que je garde Mathis, je te remercie, réplique mon frère en faisant éclater de rire mon fils avec des chatouilles.

— Je sais, mais il grandit vite. Tu peux prendre mon lit, si tu veux, je dormirai dans le bureau.

— Tu déconnes ? Tu ne veux pas dormir avec ton frangin ?

Je hausse les épaules, le sourire aux lèvres, et m’assieds à côté d’eux pour prendre mon fils dans mes bras.

— Tu es sage avec Tonton, hein ? Et tu fais ce qu’il te dit. Je vais rentrer tard, alors c’est lui qui va te lire l’histoire et te coucher.

— Oui, Maman. Je suis grand maintenant, tu sais ?

— Je sais, mon Cœur. Je t’aime très très fort, soufflé-je en lui faisant des bisous.

— Je t’aime !

Je dépose un bisou sur la joue de mon frère et me retiens de lui donner mille consignes supplémentaires, me contentant de lui rappeler que j’ai mon téléphone en cas de besoin. Quand je descends les escaliers qui donnent sur notre cour, mes parents sont déjà dehors, bien habillés et prêts pour la soirée. Je les entends encore se plaindre de manquer d’effectif et de ne trouver personne, que les charges patronales coûtent trop cher, qu’ils ont du mal à trouver des gens compétents, et ça m’agace. Mes parents sont clairement des insatisfaits perpétuels. Ils ont fait passer une dizaine d’entretiens cette semaine et personne ne leur a convenu, même la petite jeune qui a assuré avec la machine à café et s’est montrée très souriante. De toute façon, même moi qui ai passé mes vacances à bosser au Coffee Shop dès mes quinze ans, je ne suis toujours pas à la hauteur. J’ai passé des années à chercher à les satisfaire, mais j’ai abandonné l’idée quand j’ai compris que même leur donner un petit-fils ne serait pas simplement une belle nouvelle pour eux. Non, ça ne suffisait pas, il fallait un mariage, un père, une petite vie en apparence parfaite.

— On a failli partir sans toi, tu es en retard, Livia. C’est Diego qui garde Mathis ? Pourquoi il n’est pas passé nous voir ?

— Je ne sais pas, il était sans doute au téléphone pour le boulot et a préféré monter directement. On y va ?

— Oui, le boulot, toujours le boulot.

Et voilà… Jamais satisfaits. Mon frère est quand même le second d’une boîte de marketing, ce n’est pas rien, et là, c’est trop pour eux. Je préfère ne pas répondre et les suis dans la rue, où un Uber nous attend. Nous nous y engouffrons et parcourons les quelques kilomètres qui mènent à la galerie d’art dans laquelle se trouve la soirée de charité pour une association de réinsertion du coin.

Je n’ai pas souvent eu l’occasion de participer à ce genre d’événements mais ça me fait toujours aussi bizarre d’entrer dans un lieu guindé avec du champagne et des hors-d'œuvre goûtus alors qu’on cherche à récupérer de l’argent pour des personnes défavorisées. Je ne me sens pas vraiment à l’aise dans ces soirées, déjà parce que je n’ai pas de tune pour faire un don, mais également parce que certaines personnes présentes ici le sont davantage pour se donner bonne conscience que pour réellement venir en aide à celles et ceux dans le besoin. Il n’y a qu’à voir mes parents…

Je m’éloigne donc rapidement de la foule, récupère une coupe et fais le tour de la galerie en restant à bonne distance. Le propriétaire fait apparemment une expo sur de jeunes artistes peu connus, et entre les sculptures bizarres et les tableaux, j’ai tout le loisir de passer le temps tandis que j’écoute distraitement le président de l’association discourir sur l’importance d’avoir plus de moyens.

— Je crois que l’attraction du moment se trouve dans la salle d’à côté, vous savez ? Même si j’apprécie que l’exposition ait l’air de vous plaire, évidemment.

Je me tourne vers la voix et souris à celui qui m’importune. Il pourrait presque être lui-même installé sur l’un de ces piédestaux, honnêtement. Des cheveux châtains clairs coupés courts, un visage carré rasé de près, des yeux noisette pénétrants, et une belle carrure joliment mise en valeur par un costume sur mesure que je m’impose de ne pas détailler trop longuement, il est vraiment mignon.

— Si vous ne parliez pas, je pourrais entendre le discours, vous savez ? lui dis-je en accompagnant ma remarque d’un sourire.

— Eh bien, on se connait à peine et déjà vous me demandez de me taire ? Mais c’est que c’est compliqué de ne pas vous faire de compliment, vous savez ? Vous auriez dû voir comme je suis resté sans voix quand je vous ai aperçue !

Super, un dragueur… Je ne sais pas trop si ça me flatte ou si ça me gêne. Sans doute un peu les deux, en fait. Bon, c’est plutôt agréable de voir que je plais, mais il suffit que je mentionne mon fils pour que la moitié se rétracte.

— Votre silence n’a pas duré assez longtemps pour que je puisse écouter le discours du président de l’association, ma foi, ris-je. Rassurez-moi, ce n’est pas à cause de ma robe simplette pour cette soirée guindée que vous avez perdu la voix ?

— Simplette ? Mais on pourrait en faire tout un poème de votre robe ! Et de ce qu’elle cache et dévoile ! Et le président, vous savez bien qu’il ne va rien dire d’exceptionnel. Ce qui l’est, ce sont les œuvres d’art qui sont ici et au milieu desquelles vous ne dépareillez pas. Je suis Sébastien, le propriétaire de cette humble galerie. Enchanté.

— Si vous tentez de m’amadouer pour que j’achète l’une de ces œuvres, Sébastien, je suis désolée de vous dire que je peine déjà à rembourser mon crédit, rétorqué-je sans me départir de mon sourire. Livia, enchantée également.

— Je tente de vous amadouer pour que vous acceptiez de prendre un verre avec moi prochainement. Ce serait déjà merveilleux. Vous êtes vraiment éblouissante, un vrai plaisir de faire votre connaissance.

Il en fait des caisses, non ? Ou c’est moi qui n’ai plus l’habitude de recevoir des compliments… Il faut dire que je ne suis pas du genre à me maquiller tous les jours comme ça. Pas non plus vraiment le temps pour un brushing, les cheveux attachés, c’est plus rapide. Toujours est-il que sa proposition me déstabilise un peu. Est-ce que j’ai vraiment envie de ça ? Pourquoi pas… D’autant plus que je ne peux m’empêcher de repenser à la conversation que j’ai eue avec Diego, le weekend dernier. Il paraît que je ne dois pas être qu’une mère… Bon, Isabelle et Ethan ont tendance à me dire la même chose, mais quand c’est Diego, c’est différent. Lui et moi nous connaissons sur le bout des doigts.

— Un verre ? Je… Pourquoi pas, oui. L’idée pourrait me plaire.

— Tenez, voilà ma carte, comme ça, je vous laisse la main. Quant à moi, si vous ne me recontactez pas rapidement, sachez que je retrouverai votre nom sur la liste des invités et que je remuerai ciel et terre pour dénicher votre numéro !

Je glousse et me gifle intérieurement d’avoir cette réaction un peu nunuche en récupérant sa carte. Je sens que je vais me poser mille et une questions avant d’appeler. Si je le fais, d’ailleurs. Peut-être qu’il aurait été plus facile pour moi qu’il prenne mon numéro et m’appelle. Ou qu’il passe au Coffee Shop… mais j’ai au moins une porte de sortie, il est très correct et c’est agréable.

— D’accord… Peut-être que je vais faire traîner les choses et voir de quoi vous êtes capable, alors.

— Mais pour un instant à vos côtés, je serais prêt à tenter l’impossible ! Au moins ça ! Vous voulez que je vous présente à Maxime que je vois là-bas ? C’est un des artistes exposés. Et il ne fait pas ça pour l’image, vous savez. Il adore vraiment s’engager pour les associations et participer à l’effort commun. Moi, je ne fais ça que pour avoir le plaisir de rencontrer des jolies femmes comme vous.

— Donc vous repérez une proie par soirée de charité et vous la courtisez jusqu’à obtenir ce que vous voulez, c’est ça ?

Il éclate d’un rire franc et chaleureux avant de passer doucement sa main dans mon dos pour m’amener devant une peinture représentant un couple qui s’embrasse.

— Alors, sachez que j’ai la réputation d’être insensible devant la beauté humaine et de ne réagir que devant la beauté artistique. Je n’aborde donc jamais les femmes dans mes expositions. Mais là, quand je vous compare à cette œuvre qui est magnifique, je ne peux que la trouver fade. J’espère que vous reviendrez pour constater que si proie il y a, ce sera toujours la même, c’est-à-dire vous !

C’est vraiment un beau parleur, ça, c’est certain ! Pour le reste, être complimentée ne fait jamais de mal, et cette rencontre égaie assurément ma soirée. Moi qui pensais passer mon temps à me coltiner mes parents, j’ai au moins le loisir de côtoyer un beau garçon, assurément cultivé et dont la compagnie est plus qu’agréable. Je ne vois pas vraiment le temps passer, et en rentrant à la maison, je dépose la carte de visite qu’il m’a donnée sur le meuble de l’entrée avec la ferme intention de l’appeler d’ici quelques jours. Il faut que je me fasse un peu désirer quand même, non ?

Annotations

Vous aimez lire XiscaLB ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0