68. De la colère à l’enthousiasme

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Livia

Je range les dernières tasses à leur place et nettoie l’évier sans manquer de jeter un œil à la pendule. Il est grand temps que treize heures trente arrive, que je lâche ce tablier et file retrouver mon fils. Je préférerais largement aller le récupérer à l’école à midi et passer tout l’après-midi avec lui, le mercredi, mais j’ai déjà réussi à négocier avec mes parents pour être du matin, c’est mieux que rien.

— Bon, je file, c’est l’heure pour moi.

J’enlève déjà mon tablier et l’accroche à sa place avant de déposer un baiser au coin des lèvres de Sacha pour ne pas choquer la petite vieille qui attend sa boisson au comptoir. — On se voit demain ou tu passes après ton service ?

— Je passe te voir après le service, au moins pour un bisou même si je ne reste pas. A tout à l’heure !

J’acquiesce et le gratifie d’un nouveau baiser avant de récupérer mon sac et de me dépêcher de rentrer à la maison, espérant que Mathis ne soit pas déjà à la sieste. Je suis bien contente de ne pas tomber sur mon père, qui reste enfermé dans la cuisine du café même quand il n’en a pas besoin, comme s’il jouait l’agent de sécurité, juste au cas où, après plus de trois mois à bosser ici, Sacha vrillerait et se mettrait à faire n’importe quoi. C’est stupide et ça me fatigue, sérieusement. Je sais de qui je tiens mon caractère et mon côté borné, mais tous deux sont tellement butés dans leurs vieilles idées bidons, c’est dingue.

Je souris en voyant que mon fils est installé dans le canapé, son doudou dans les bras. Marina est en train de faire la vaisselle et je retire mes chaussures avant de me jeter sur le sofa pour une séance de chatouilles qui, je le sais, n’est pas la meilleure idée avant la sieste. Mais j’aime tellement l’entendre rire aux éclats que je peux rarement m’empêcher de le faire.

— Ça a été, l’école, mon petit Cœur ?

— Oui, j’ai fait de la peinture et du collage avec la maîtresse. Et j’ai joué avec Paul dans la cour.

— Bien. Et avec Marina ? Tu as été sage ?

— Je suis toujours sage, Maman. Mais j’ai pas mangé les brocolis, c’était beurk.

— Tu les as goûtés, au moins ?

— Ben oui !

— Vraiment ? Marina, Mathis a goûté les brocolis ?

— Eh oui, c’était le prix à payer pour avoir un morceau de chocolat en dessert ! Et il en a quand même mangé deux morceaux parce qu’il est gourmand et qu’il voulait beaucoup de chocolat, répond-elle en lui souriant.

— Bien. Un grand garçon gourmand, pourquoi ça ne m’étonne pas ? souris-je en le hissant sur ma hanche. Allez, à la sieste ! Tu fais un bisou à Marina ?

J’approche de la sœur de Sacha et suis attendrie de le voir lui faire un gros câlin. Il est vraiment trop mignon, mon fils. Comment peut-on être aussi chou, sérieusement ?

— Je t’aime, mon petit kangourou, soufflé-je à son oreille en le bordant. A tout à l’heure, dors bien.

Je sors de la chambre après lui avoir fait quelques bisous supplémentaires et laisse la porte tout juste entrouverte avant d’aller me faire un café.

— Tu veux boire quelque chose ? Il a été sage ?

— Je vais me servir un jus d’orange, il faut qu’on parle. Et pas sur ton fils, lui, c’est un ange. D’ailleurs, tu me donneras la recette pour en avoir un aussi mignon que ça !

— Hum, j’ai peur d’avoir paumé la recette, tu sais ? Beaucoup de patience et d’amour, pour le reste… je ne sais pas de qui il tient cette mignonnerie qui fait fondre tout adulte normalement constitué. De quoi tu veux me parler ? J’ai oublié de te payer la semaine dernière ?

— Non, c’est par rapport à tes parents et au fait qu’ils veulent mettre fin au contrat de mon frère. Ils sont cinglés ou quoi ? s’énerve-t-elle en gesticulant devant moi. Je te jure qu’il faut que tu fasses quelque chose sinon, c’est moi qui vais aller leur dire à quel point ils sont cons ! Mon frère, il a toujours été réglo, même quand il faisait du deal. Et s’il en a fait, c’était juste pour moi. Bref, t’es sûre que ce sont tes parents ?

— Ils ont des idées bien arrêtées et sont têtus, c’est sûr… J’essaie de les convaincre, mais c’est pas facile. Je ne peux pas faire de miracles, malheureusement.

— Ils lui reprochent quoi ? Il ne fait pas bien son travail ? Toi qui le vois au quotidien, tu en penses quoi ? Il n’est pas fait pour ça ? Parce que si c’est le cas, même si ce n’est pas l’impression que j’ai eue, je veux bien les comprendre…

— Ça n’a rien à voir avec ses compétences. C’est… son passif, et son présent aussi. Disons qu’on aurait sans doute dû éviter de se mettre ensemble… Ton frère n’a rien à se reprocher niveau boulot.

— Son passif ? Mais c’est bon ! Il a fait sa peine de prison ! Non, mais j’y crois pas, là. Combien de fois il va falloir qu’il la paie, sa dette ? Et c’est quoi le rapport avec toi ? Ils n’approuvent pas ton choix de mec ? C’est vrai qu’il est un peu con, mon frangin, mais bon, il y a pire.

Elle continue à s’énerver mais maîtrise le son de sa voix pour ne pas réveiller Mathis qui dort à côté.

— Crois-moi, tu prêches une convaincue, soupiré-je en lui faisant signe de me suivre sur la terrasse. Mais j’ai beau leur dire et leur répéter que c’est du passé, ils sont têtus comme pas possible. Et effectivement, ils ne sont pas fans de ton frère comme potentiel beau-fils, ils pensent qu’il peut nous mettre en danger…

— Et toi, tu ne leur dis rien ? Pourquoi tu ne t’opposes pas un peu à eux ? Si tu l’aimes vraiment, mon frère, tu devrais te battre pour lui ! Je te jure que s’ils ne le renouvellent pas, je fais un scandale au café, moi.

— Tu crois vraiment que je ne le défends pas ? Je ne fais que ça, bon sang. Je ne vois pas ce que je pourrais faire de plus. Je sais qu’il a besoin de ce boulot, mais je ne peux pas faire plus, moi. Je n’ai aucun pouvoir de décision.

— Et donc, il va perdre son boulot et ensuite son logement, et ça ne te fait rien ? A cause de ça, moi, je voulais revenir chez lui et je ne vais pas pouvoir ! J’aime bien ma famille d’accueil mais ce serait vraiment bien si je pouvais retrouver ma vraie famille, tu ne crois pas ?

— Je n’ai jamais dit le contraire, mais je n’ai pas voix au chapitre. Je ne suis qu’une employée, Marina, je ne peux rien faire d’autre que de continuer à essayer de les convaincre. Je n’ai aucune envie que Sacha perde son logement, mais je ne peux pas perdre mon boulot non plus, j’ai un petit garçon à charge et un crédit immobilier sur le dos.

— Et alors, on peut faire quoi ? Mon frère, s’il perd tout, tu crois pas qu’il va vouloir se remettre à ses bêtises d’avant ? On ne peut pas laisser faire ça ! continue-t-elle, toujours aussi passionnée sur le sujet.

— J’en sais rien, Marina… L’aider à trouver un boulot ailleurs, j’imagine. Et puis, s’il ne peut plus payer son appartement, il pourra toujours retourner au foyer, non ? A part chercher ailleurs, je ne vois pas trop ce qu’il pourrait faire de plus, en fait. Il a encore de la marge, ça lui laisse du temps.

— Tu le vois vraiment retourner dans un foyer ? Moi, j’aimerais pas du tout parce que je ne pourrais plus du tout lui rendre visite si c’est le cas…

Je soupire, comprenant tout à fait que ça ne soit pas la solution idéale, surtout si elle était décidée à vraiment renouer le lien et refaire confiance à son frère.

— J’en sais rien, Marina. C’est mieux que la rue, j’imagine. De mon côté je fais avec les moyens du bord, je t’assure que j’essaie de discuter avec mes parents, et je compte bien éplucher les annonces de boulot pour ton frère, mais je ne peux rien faire de plus, là, à part l’héberger pour qu’il n’ait pas de loyer à payer, si besoin, mais bon, on n’en est pas là non plus.

— Tu pourrais vraiment l’héberger ? Ça, ce serait trop bien ! Comme ça, on pourrait se voir tous les jours ou presque ! Et lui, ça lui ferait trop plaisir, je suis sûre ! Pourquoi tu ne le fais pas tout de suite ?

Heu… parce que ce serait assurément précipité ? Sacha et moi ne sommes ensemble que depuis quelques mois, et il y a une grosse différence entre partager quelques nuits et les soirées qui vont avec, et vivre au quotidien l’un avec l’autre. Parce que j’ai toujours vécu seule, sans avoir besoin d’un homme, et que je flippe à l’idée de partager entièrement ma vie avec un mec ? Parce que j’aime mon indépendance ?

— Il a son appartement, et j’imagine qu’il a besoin de se retrouver, aussi, après la prison et le foyer, lui dis-je, manquant clairement de courage.

— Mais s’il vient vivre ici, ça voudrait dire que je pourrai aussi venir squatter et passer la nuit chez toi. Ça me ferait trop plaisir. Et à Mathis aussi, je pense ! Et avoir la nounou à domicile, ce serait le luxe, non ?

— Je… On n’en a jamais parlé avec ton frère, c’est un peu tôt pour cette étape j’imagine. Et puis, tu le vois vivre au-dessus de chez mes parents et mon frère ? Franchement, c’est pas l’idée du siècle.

— Il faut que tu lui en parles ! Peut-être qu’il va vouloir venir tout de suite ! Moi, à sa place, je foncerais !

Oui, ben, moi peut-être pas. C’est vrai, quoi, c’est chez moi. J’aime Sacha, vraiment, mais nous ne sommes pas non plus obligés de brûler les étapes, surtout pour de mauvaises raisons. Je me sens un peu coincée, là, Marina a l’air tellement enthousiaste à cette idée que je ne sais pas trop quoi lui répondre.

— Tu es jeune et insouciante, forcément que tu fonces, à ton âge. En attendant, je ne veux pas te mettre dehors, mais je crois que tu vas être en retard, là, et Sonia ne va pas trop apprécier, si tu veux mon avis…

— Ah oui, tu as raison. J’ai trop hâte que tu lui parles de notre idée ! Tu lui dis de m’appeler après ! Ou tu le fais toi ! Bonne fin de journée !

Elle récupère ses affaires comme une tornade et s’en va rapidement, toute excitée par notre conversation qui me laisse bien plus perplexe qu’elle. Est-ce qu’elle est vraiment partie sur l’idée que j’allais proposer à Sacha de venir s’installer ici ? Pourquoi j’ai sorti ça aussi, moi ? Je n’ai rien contre le fait d’envisager de vivre avec lui, mais pas si vite, pas pour les mauvaises raisons… Ce serait bien trop rapide, tout ça, non ?

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