55. La journée aux mille bonheurs

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Sacha

Aujourd’hui, je suis de repos pour le boulot, mais bien entendu, c’est le jour choisi par ma chère référente pour me coller tous les rendez-vous auxquels je dois aller sous peine de perdre ma place. Comme si c’était fait pour ça les jours sans travail. Franchement, ils abusent, je trouve, mais je ne me vois pas râler, je ne veux pas risquer de perdre cet appartement qui m’offre tant de libertés. Et c’est donc comme ça que je me retrouve à tout juste neuf heures du matin devant la porte du centre. Cela me fait bizarre de franchir l’entrée alors que je n’y suis plus hébergé. Et bien entendu, alors que l’équipe est là depuis sept heures, c’est le moment que choisit le dirlo pour arriver, les yeux bouffis. Je crois qu’il va juste aller s’installer dans son bureau finir sa nuit.

— Bonjour, Monsieur le Directeur, dis-je poliment en retenant la porte d’entrée pour lui.

— Tiens, qu’est-ce que vous faites là, vous ? Déjà de retour ?

— J’ai un rendez-vous avec Irène et un autre avec Aurélie. Irène, c’est la conseillère pénitentiaire, ajouté-je en voyant qu’il cherche dans son esprit embrumé s’il a une éduc qui s’appelle comme ça.

— Hum… Je vois. Retour aux sources. Vous avez raison de garder le contact, je ne doute pas que vous y reviendrez vite. Dans le meilleur des cas.

— Vous voulez dire quoi par là ?

J’ai l’impression que son cerveau n’est pas encore branché et que ce qu’il me dit ne fait pas beaucoup de sens.

— Je ne devrais sûrement pas vous dire ça à vous, mais vous n’étiez pas mon premier choix pour tester l’appartement. Loin de là ! Mais bon, j’ai cédé à la demande des éducateurs parce que je sais que ça ne durera pas, de toute façon. Vu votre profil, vous n’allez pas tarder à replonger et je me ferai un plaisir de vous foutre dehors si vous ne retournez pas en prison. J’ai presque hâte de voir ça pour leur montrer que j’avais raison.

— Merci de la confiance, marmonné-je sans oser aller plus loin alors que je sens la colère bouillir en moi. Heureusement que vos éducs ont plus la foi que vous.

— Les éducs sont d’éternels rêveurs. Faut bien, sinon ils ne feraient pas ce métier. Heureusement que dans la hiérarchie, il y a des gens réalistes, quand on a devant nous un irrécupérable, il faut l’accepter.

Le type, sans gêne, se barre sur ces belles paroles, me laissant les nerfs à vif et une folle envie de lui planter une balle entre les deux yeux. Irrécupérable ? Vraiment ? Il a osé dire ça ? Plein de rage, je vais dans le bureau des éducs où Aurélie vient de s’installer, un café à la main. Je m’assois en poussant ma chaise dans un geste vif et assez brutal.

— Oulah… Pardon, tu veux bien ressortir, aller récupérer ta bonne humeur chez toi et revenir avec, s’il te plaît ? se moque-t-elle en souriant.

— Chez moi, il y a plein de bonne humeur, tu devrais venir voir, lancé-je presque méchamment. C’est ici que c’est la merde. Quel putain d’accueil.

— Bon, on reprend à zéro ? Il est trop tôt pour que tu ronchonnes ou te plaignes, soupire-t-elle. Bonjour Sacha. Comment ça va, aujourd'hui ? Bien installé dans ton chez-toi ?

Ouais, la meuf, elle a de la patience, franchement, et elle est forte car son ton calme et son sourire me font tout de suite redescendre. Je fais un petit geste d’excuse.

— Désolé, ça allait bien jusqu’à ce que ton dirlo me traite “d’irrécupérable”. Tu comprends que ça puisse m’énerver !

— Depuis quand tu écoutes les directeurs, toi ? Et depuis quand l’avis des gens à ton compte te préoccupe ?

— Depuis qu’on me dit que tout ce qu’on attend, c’est de pouvoir m’expulser. Vive la relation de merde. Tu fais comment pour travailler avec ce type ?

— On ne bosse pas toujours avec une jolie fille, tu sais ? Tout ne se passe pas toujours bien dans le monde du travail. Il faut en prendre et en laisser. Alors, tu es bien installé ?

Une “jolie fille” ? C’est quoi, cette remarque ? Elle soupçonne quelque chose ou quoi ? Je l’observe un instant mais je ne lis aucune malice dans son regard. Je crois qu’elle veut juste vraiment savoir comment ça se passe dans l’appart.

— Franchement, ça fait du bien de se retrouver chez soi. Sans éduc, m’excusé-je presque d’admettre. Et loin de ton dirlo de merde.

— Sacha, s’il te plaît, fais un effort, soupire-t-elle. Je passerai te voir la semaine prochaine, je pense, il faut que j'arrive à me dégager du temps. Tu ne te sens pas trop seul, là-bas ? Tu arrives à t’occuper ?

— Oui, honnêtement, c’est la plus belle chose qui pouvait m’arriver après la prison. Et j’ai ma sœur qui passe de temps en temps, ma collègue et son fils sont déjà venus aussi. Je m’occupe bien, va, ne t’inquiète pas.

— Super. Je vois que tu es bien entouré. Et le temps plein, ça donne quoi ?

— Ça paie mieux. Je serai bientôt riche, rigolé-je. Sinon, franchement, ça va. Tu crois vraiment que ton dirlo veut me virer ?

— Peu importe, tant que tu ne lui donnes pas matière à le faire, je continuerai à venir t’enquiquiner.

— Franchement, je suis sage et je fais tout pour ne pas avoir de problème. Tu peux compter sur moi. Irène est déjà là ou je dois patienter ?

— Tu peux y aller, elle est arrivée. Continue à être sage, j’ai pas très envie de devoir te punir et te mettre au coin, sourit-elle en me faisant un clin d’œil.

— Et tu passes vraiment quand tu veux, hein. Mais viens sans le dirlo. Il ne supporterait pas de voir mon appart clean et bien rangé. Ça briserait tous ses clichés à ce con.

— Sacha, bougonne-t-elle en plissant les yeux. Ton langage, merde.

— Oui Madame ! Excusez-moi, Madame. Je ne le ferai plus, Madame. Bon courage avec celui dont on ne doit pas dire la connerie.

— File, sale gosse, sourit-elle. Bonne journée ! Contente de voir que je te redonne sourire et bonne humeur. Une vraie réussite !

Je la laisse et je réalise qu’en effet, j’ai le sourire aux lèvres, ce qui me permet d'affronter le rendez-vous avec Irène sereinement. Celui-ci se passe rapidement car elle désire juste faire un point et elle me promet que si je continue ainsi, le suivi devrait très prochainement s’arrêter.

Je ressors donc de mes entretiens avec beaucoup plus de bien-être que lorsque je suis entré. Je crois que j’ai vraiment toutes les cartes en main pour m’en sortir et que la chance a réellement enfin tourné en ma faveur. Je décide de me rendre chez Livia pour partager avec elle cette joie de vivre que je ressens. Cependant, quand je sonne à son appartement, j’ai la surprise de voir que c’est Marina qui m’ouvre la porte.

— Eh bien, que fais-tu ici ? Livia n’est pas là ? C’est son jour de repos, pourtant. Elle a dû aller travailler quand même ?

— Coucou ! Contente de te voir aussi, grimace ma sœur en me laissant entrer. Livia avait un rendez-vous médical et sa belle-sœur est patraque, du coup, me voilà.

— Oh non, ce n’est pas ça, tu sais ! Je suis ravi de te voir ! J’ai juste été surpris. Il est où le petit gars ?

— Il est en train de se brosser les dents comme un grand, et tu m’as interrompue pendant le spectacle. Il était tout fier de me montrer comme il le fait bien, rit-elle en me faisant signe de la suivre jusqu’à la salle de bain.

— Ah oui, c’est moi qui lui ai dit que ça impressionnait les filles quand on savait le faire tout seul, et il a vu que j’avais raison ! Il fait ça trop bien, hein ?

— Oui, il assure, le petit monstre.

— Sassa ! s’écrie le petit, la bouche pleine de dentifrice.

— Salut, mon p’tit pote. Tu vois que j’avais raison, Marina adore te voir le faire tout seul ! Et n’oublie pas les dents du fond, sinon le charme n’opère plus, hein !

Le petit monstre rit et redouble d’efforts sous le regard attendri de ma sœur qui a l’air de vraiment apprécier s’en occuper.

— On dirait que tu es faite pour t’occuper des enfants, toi. Tu kiffes ça, non ?

— Oui, peut-être, je sais pas… J’ai encore un peu de temps pour me décider. C’est pas en faisant ça que je vais devenir riche non plus, rit-elle.

— Non, mais ça nous permet de nous voir, c’est cool. Et Livia ne dit que du bien de toi. Tu assures et je suis fier de toi, Frangine.

— Merci, sourit-elle en détournant le regard, apparemment touchée. Tu vas attendre Livia ?

— On peut passer un peu de temps ensemble, autant en profiter. Et puis, il faut bien être deux pour s’occuper d’un monstre aussi peu sage que Mathis, ajouté-je alors qu’il arrive pour se jeter dans nos bras.

— On peut, oui. Avec Mathis, on voulait préparer le repas pour faire une surprise à sa mère. Toujours capable de cuisiner ou tu as perdu la main ?

— Tu veux rire ? Je suis toujours le roi de la sauce tomate ! Vous aviez prévu quoi au menu ?

— Une petite salade, mais on peut changer le menu. Tant qu’il y a à manger et que c’est préparé avec amour, ça fera plaisir à Livia.

— On fait comme tu veux, Marina. Et tu sais ce que je me disais récemment ? Maintenant que j’ai un appartement, si un soir tu veux passer la nuit chez moi, ce serait cool. On pourrait se retrouver comme au bon vieux temps. On se met Fort Boyard et on passe la soirée à rigoler aux blagues du Père Fouras.

— Oui, pourquoi pas, mais… faut que je vois avec Sonia. Faut pas l’accord du juge pour des hébergements ?

— Tu lui demanderas, je ne sais pas, moi, mais ça me ferait super plaisir de retrouver nos petites manies d’avant. Si ça t’intéresse, n’hésite pas à voir avec Sonia, moi, je serai toujours partant.

— Ok, je verrai avec elle alors, sourit Marina. Bon, on va cuisiner ?

Franchement, cette journée est à marquer d’une pierre blanche. C’est tellement agréable de passer ce plaisant moment avec elle et Mathis. Et de retrouver Livia quand elle rentre, même si je dois me retenir de lui sauter dessus devant Mathis. Encore une fois, j’ai l’impression que toutes les étoiles se sont alignées et que j’ai enfin le droit au bonheur qui s’est tant refusé à moi jusqu’à présent.

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