32. Le kangourou a trouvé sa nounou

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Livia


— Maman, pourquoi il est habillé comme une fille, le Monsieur ?

Je regarde dans la même direction que mon fils, sur le trottoir opposé, et constate effectivement qu’un jeune homme porte une robe et est maquillé. Bon… Bienvenue dans la vie parentale, ou comment expliquer la complexité de l’être humain à un enfant qui va avoir quatre ans dans quelques semaines.

— Parce qu’il en a envie, mon Cœur. Tu sais, les filles elles mettent des pantalons, pourquoi les garçons ne pourraient pas mettre de robe ?

J’avoue, je me défile un peu. Mais il est petit et c’est un sujet bien large sur lequel on peut discuter pendant des heures.

— Ben oui, mais ça fait bizarre !

— C’est compliqué, petit kangourou, soupiré-je. C’est bizarre parce qu’on n’a pas l’habitude de voir des garçons habillés comme ça. Mais… tu vois, c’est un peu comme quand Maman te dit que tu ne dois pas te mettre les doigts dans le nez. Je ne veux pas que tu le fasses parce qu’on m’a toujours dit que c’était sale et qu’il ne fallait pas le faire. Mais si Mamie m’avait dit que j’avais le droit, je t’aurais sans doute laissé faire aussi. Et Mamie, elle a appris par sa Maman qu’elle ne pouvait pas le faire.

Je le regarde après avoir traversé la rue et constate qu’il semble très attentif à mon explication. J’espère qu’il suit, il ne semble pas trop paumé, encore.

— Eh bien, pour les garçons et les robes ou le maquillage, c’est pareil. On a appris que c’était pour les filles, donc ça nous fait bizarre quand on voit un garçon qui ne fait pas les choses comme on les a apprises. Tu vois ?

— Alors, si lui il peut mettre une robe, moi je peux mettre mes doigts dans mon nez ?

Je ris en m’arrêtant devant la barrière d’un joli pavillon bien entretenu. C’est joli, et un peu le rêve ultime pour moi. Quoique, je me verrais bien en campagne, la vraie, loin du rush parisien, même si je pense que ça me changerait radicalement et que j’aurais peut-être du mal à m’y faire. C’est quand même pratique de sortir de chez toi, de faire à peine cent mètres à pied et d’avoir tout Paris accessible sans avoir à conduire.

— Non, Trésor, ça reste sale de faire ça, dis-je en ouvrant le portillon.

Nous faisons les quelques pas qui nous amènent à la porte et j’appuie sur la sonnette en me demandant encore comment je vais m’en sortir si Sonia, la femme qui accueille Marina, me titille sur le fait que Sacha n’a pas le droit de voir sa sœur sans travailleur social. J’ai conscience que ce petit plan qui, soit dit en passant, va carrément me sauver la vie pour les semaines à venir, est un peu bancal, mais mon côté bonne fée a vraiment envie de les rapprocher tous les deux. J’espère juste que mon instinct ne me trompe pas.

— Bonjour. Vous êtes bien Sonia ? Je suis Livia, et voici Mathis.

— Bonjour, Livia. Salut, Mathis. Qu’est-ce qu’il est mignon, sourit-elle tandis que mon fils se planque derrière mes jambes. Entrez, je vous en prie.

Je m’exécute après avoir récupéré mon fils, qui refuse d’avancer, dans mes bras, et nous nous retrouvons rapidement installés sur la terrasse, à l’abri d’un parasol, café et petits gâteaux sur la table. Mathis joue le timide, installé sur mes genoux, mais il fait clairement de l’œil à Marina qui nous rejoint.

— Salut Marina. Tu vas bien ?

— Oui, je vais bien. Et vous deux ? Mathis, tu viens me faire un bisou ? J’ai peut-être une petite gourmandise au chocolat pour toi. Cela t’intéresse ?

Mon fils me lance un regard, attendant mon approbation, et il lui suffit d'un léger haussement d'épaules de ma part pour qu'il saute de mes genoux et s'engouffre dans la maison avec la sœur de Sacha. Vive la fidélité. Le gamin vendrait sa mère pour du chocolat.

— Quand je vous disais au téléphone que le feeling est là… Ce n'était pas un mensonge, dis-je à l'attention de Sonia.

— On dirait bien, oui. C’est surprenant car Marina n’a jamais été attirée par les petits enfants et là, elle a l’air de se prendre au jeu. Vous aimeriez qu’elle soit là à quelle fréquence ?

— Honnêtement, elle me sauverait clairement la vie en étant dispo au moins deux demi-journées, voire trois, par semaine. Après, ce sont ses vacances, je ne veux pas non plus qu'elle regrette. Et puis, j'ai conscience qu'avec mes horaires, c'est compliqué.

— Vous ne pouviez pas trouver une babysitter plus proche de chez vous ? C’est juste pour la rapprocher de son frère que vous faites ça, non ?

Bingo… Elle a été rapide à mettre les pieds dans le plat, Sonia.

— Vous me croirez si je vous dis que ça n'est pas le cas ? Je… Écoutez, sincèrement, mon petit bonhomme passe son temps à voir trois ou quatre personnes différentes le garder chaque semaine. Et puis… je n'ai pas envie de le confier à n'importe qui. J'ai une confiance aveugle en mes amis et en ma famille, mais il a besoin d'un peu de stabilité, de repères. Je n'avais pas envisagé la nounou jusqu'à ce que je voie comme ça matche entre Marina et Mathis.

— Je ne suis pas née de la dernière pluie, vous savez, ça ne sert à rien de me baratiner… mais bon, si Marina est d’accord, je ne vais pas m’y opposer. J’ai l’impression d’ailleurs que la prison a fait du bien à son frère, il a l’air plus posé et plus éloigné des bêtises du quartier.

— Loin de moi l'idée de vous baratiner. C'est clair que j'aimerais les voir se rapprocher, si c'est ce que souhaite sa sœur. Je bosse avec Sacha tous les jours et je peux vous assurer qu'il a évolué depuis qu'il est arrivé.

— J’ai peur que le quartier ne soit jamais loin. Une nouvelle séparation serait terrible pour Marina, vous savez. Il ne faut pas jouer avec le feu.

— Le quartier n'est jamais bien loin, mais il a la meilleure des motivations possible pour ne pas y retourner. Je crois que Sacha est prêt à tout pour sa petite sœur…

J'espère surtout que je ne me plante pas totalement, parce que je ne me pardonnerais jamais d'avoir merde à ce sujet. À vouloir jouer la gentille fée, je risque de blesser une gamine qui a déjà suffisamment galéré pour toute une vie…

— Eh bien, espérons que ce soit pour le mieux. Il faut qu’on lui demande ce qu’elle en pense, elle est mature, j’ai confiance en ce qu’elle décidera.

J'acquiesce tandis qu'elle se lève pour aller chercher la demoiselle concernée. Quand Mathis débarque devant elle, il a un sourire jusqu'aux oreilles et je me dis qu'au moins, pour lui, cette idée est bonne.

— Regarde, Maman ! J'ai fait du coloriage !

— Super, mon Cœur, souris-je en l'installant sur mes genoux tandis que la frangine de Sacha dépose devant lui des crayons de couleur. Et tu vas pouvoir le finir, parfait. Et donc, Marina, tu n'as jamais gardé d'enfants ?

— Non, je… jusqu’à présent, je me suis plutôt occupée de moi. Mais avec Mathis, ça passe tout seul, il est trop chou !

— Il sait charmer son monde, c'est clair, ris-je. Qu'est-ce que tu penses de l'idée de le garder quelques demi-journées par semaine, alors ? Tu as pris le temps d'y réfléchir ?

— J’aimerais beaucoup parce que c’est une crème ! Et puis, ça sera la première fois que j’aurai un peu d’argent de poche, je pourrai sûrement m’acheter un nouvel ordinateur. Mais… vous allez me faire confiance comme ça ? Sans expérience ?

— Parce que tu crois que j'ai fait des études pour devenir mère, peut-être ? J'ai un bon feeling avec toi, et je te propose de venir pour la première fois sur un temps où je ne bosse pas. On pourra papoter tranquillement, tu prendras tes marques et tu pourras me poser toutes les questions qui te passent par la tête. Et puis, tu sais, j'habite juste à côté du coffee shop, je ne serai jamais loin s'il y a un souci.

— Et mes horaires, ce sera quoi ? Moi, je suis partante, en tout cas.

Je souris en la voyant enthousiaste. Ça me fait plaisir, même si forcément, la maman en moi flippe un peu quand même.

— Je fais 7h-14h ou 14h-20h. Bon, je ne vais pas t'infliger les horaires du matin, mais on pourrait envisager que tu commences à 13h30 et finisses à 19h30, trois fois par semaine ? Tu pourras me déposer Mathis au shop en partant. À moins que ça ne fasse trop tard pour vous ?

— Non, ça va, c’est encore raisonnable. Si Marina est d’accord, moi, ça me convient.

— Bien sûr que je suis d’accord ! Je peux commencer dès demain si vous voulez !

— Attends, une dernière chose, Marina, avant d’accepter et de me sauver la vie, souris-je. Je veux que tu aies toutes les cartes en main pour prendre ta décision. Il faut que tu saches que ton frère bosse au coffee shop sur les mêmes demi-journées que moi. Soit il arrive plus tard, soit il part plus tôt, mais… il est possible que tu le croises.

Je préfère être transparente à ce sujet. Sonia a raison sur un point, je crois qu’une ado qui a déjà vécu assez de drames comme ça doit pouvoir au moins décider si elle veut prendre le risque.

— J’avais bien compris, vous savez. Je vous ai vue quand je suis passée voir mon frère, et il ne parle que de vous ou presque. Je ne suis pas bête !

Je suis un peu surprise par sa réflexion, et essaie de rester de marbre, quand bien même ce qu’elle vient de dire est à présent ancré dans mon esprit.

— Je crois que ton frère avait besoin que quelqu’un lui fasse confiance après la… enfin, tu vois, quoi, lui dis-je en jetant un œil à Mathis avant de reprendre précipitamment. Mais loin de moi l’idée de critiquer ton comportement, hein ? Je… je n’ai pas vécu ce que toi tu vis, je ne me permettrais pas. Je veux dire qu’il avait besoin que quelqu’un voie autre chose en lui que le gars qui sort de là-bas, quoi.

Et je crois que moi je m’implique beaucoup trop là-dedans. J’y ai plongé tête la première, d’ailleurs. Pourquoi est-ce que je ne me mêle pas simplement de mes affaires ? Y a déjà du boulot là-dessus.

— Bref, continué-je. Donc, demain, treize heures trente au café, c’est bon pour toi ?

— Oui, je serai là. Ça te va, Mathis ? Tu m’accueilleras avec des bisous ?

— Des bisous, je sais pas, rit mon fils, provocateur. Mais avec un dessin, c’est sûr !

— Le petit ange a aussi un côté petit diable, souris-je. Bon, on va y aller, nous. On va où, Mathis ?

— À la piscine ! s’écrie-t-il en sautillant sur mes genoux.

Oui, à la piscine… avec Sacha… qui, apparemment, ne parle que de moi. Il faut croire que j’aime ça, me tenter et me mettre dans une position compliquée. En parlant de positions, il y en a bien quelques-unes que je tenterais avec plaisir avec lui. Oulah ! Ouais… Il va falloir que je sorte Hector, moi, ce soir. Encore une fois…

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