24. Quand le flic s’en mêle

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Livia

Je sors les draps du sèche-linge et les dépose dans la bannette en baillant aux corneilles. Je n’aurais jamais dû me plonger dans un nouveau bouquin hier soir, je n’ai pas réussi à m’arrêter tant que les protagonistes n’ont pas flanché et couché ensemble… Saloperie de slow burn… Je les adore autant que je les déteste. Quand il me font me coucher quatre petites heures avant le réveil en fanfare du petit monstre qui fait trempette dans la baignoire, c’est un cauchemar. Oui, je sais que je suis coupable, mais je ne suis absolument pas patiente. Attendre le lendemain soir pour savoir quand ils vont enfin craquer ? Trop peu pour moi.

— Je vais plier le linge, Chéri, tu fais attention, hein ?

Bon, il est calme et fait voler son Super héro au-dessus de l’eau, et comme toujours, je vais faire un aller-retour toutes les trente secondes pour m’assurer que tout roule ou le héler encore et encore, mais le regarder dans son bain pendant vingt minutes, tous les jours… c’est génial et ennuyeux à la fois.

Je file juste en face, dans mon bureau, et renverse la bannette sur le canapé avant de m’atteler au pliage. Je souris en me disant que Sacha était ici il y a deux jours, et je ne peux m’empêcher de me demander s’il a joué son curieux. Honnêtement, à sa place, je crois que j’aurais inspecté la bibliothèque de fond en comble, fouillé un peu le bureau et ouvert les boîtes…

— Mathis ?

— Oui, Maman !

Bien… je peux continuer le pliage en essayant de ne pas trop me perdre dans mes pensées. Il faut croire qu’avoir un homme autre que Diego ou Ethan à dormir à la maison, ça m’a fait bizarre. Je sais qu’il faut que je me détende, qu’il était cantonné à la chambre d’amis, mais il n’en reste pas moins qu’il est le seul mec qui n’est pas de ma famille à m’avoir vue en pyjama depuis le géniteur de mon fils.

— Mathis ?

— Oui, Maman !

Je le gonfle déjà et ça me fait rire. D’ailleurs, ça me donne envie de poursuivre…

— Mathis ?

— Oh Maman, arrête ! Je suis grand maintenant !

Bingo. Qu’est-ce que je l’aime… Petit monstre d’amour. Il faut croire que c’est l’amour vache, parfois, mais c’est le plus beau et le plus sincère de tous, non ?

— Mathis, tu vas bientôt sortir du bain. Je range le linge et j’arrive.

— Oh non, encore un peu, Maman, s’il te plaît !

Comme d’habitude, le kangourou ronchonne à l’idée d’aller prendre son bain, mais refuse finalement d’en sortir. Je n’ai toujours pas compris la logique des gosses… Est-ce qu’ils sont tous comme ça ou c’est juste réservé aux Marchand ?

Je soupire en entendant frapper à la porte. C’est toujours la même chose, c’est quand on est occupé qu’on est dérangé. D’un autre côté, y a-t-il un moment où l’on peut vraiment glander ? J’entends, à part à une heure du matin, au lit avec un bouquin…

— Une minute ! J’arrive ! crié-je en entrant dans la salle de bain. Allez, petit kangourou, on est pressés, là.

Je récupère sa serviette de bain et l’enroule dedans après l’avoir sorti de la baignoire. C’est avec un gros maki dans les bras que je traverse l’appartement pour aller ouvrir, tombant sur mon frangin, en uniforme de policier. La classe, disent mes parents… Un peu, j’avoue. L’uniforme… Ah, l’uniforme. Certains de ses collègues sont vraiment canons… Terrible, ce fantasme. Surtout quand tu te retrouves avec un frangin qui porte la tenue qui pourrait bien te donner des envies folles sur un autre homme.

— Louis ? Tout va bien ? Qu’est-ce que tu fais là ?

— Bonjour Livia, il faut qu’on parle. Je peux entrer ?

— Coucou Tonton ! Regarde, je suis coincé, rit mon fils en se tortillant dans mes bras alors que je sens déjà la conversation bien chiante se profiler.

— Entre… Je vais sécher et habiller le petit, j’arrive…

Je ne lui laisse pas le temps de répondre et regagne la salle de bain, non sans jeter un regard sur le rangement de mon appartement. Oui, je dis que je m’en fiche de l’opinion de ma famille, mais c’est plus facile à dire qu’à faire.

Je pourrais dire que je me dépêche de mettre Mathis en pyjama, mais j’aime trop ces moments pour les bâcler, alors nous prenons le temps de compter jusqu’à dix en français et en anglais, de réviser les parties du corps, de chanter l’une des comptines qu’il a appris à l’école, et de faire un gros câlin avant qu’il ne sorte en courant de la salle de bain.

— De quoi tu veux me parler ? demandé-je à mon frangin en m’asseyant sur le canapé.

J’ai l’impression d’avoir affaire au flic quand je le vois tirer une chaise qu’il pose en face de moi avant de s’y asseoir. Gentil ou vilain flic ? Qu’est-ce qu’il peut bien vouloir me raconter ?

— Je suis venu te prévenir, commence-t-il un peu mystérieux. Tu sais, par rapport à ton nouvel amoureux. Tu dois faire attention !

— Mon nouvel amoureux ? lui demandé-je, incrédule. De quoi tu parles ? Je… je n’ai pas… Et puis, ça ne te regarde pas, en fait !

— Non, mais ça ne sert à rien de nier. Véro l’a vu sortir de chez toi au petit matin. On n’est pas nés de la dernière pluie, tu sais. Vous n’avez pas passé la nuit à enfiler des perles !

OK, j’ai compris. C’est dingue, ça, de ne même pas pouvoir faire ce qu’on veut de son cul. J’ai bien envie de lui mentir et d’en ajouter des couches, histoire de l’énerver davantage, mais je me dis que s’il demande aux parents de virer Sacha, ils le feront sans même réfléchir.

— Non, il a dormi sur le clic-clac, dans mon bureau. Et moi dans mon lit. Je l’ai formé après la fermeture du café, on a mangé, et chacun est allé se coucher de son côté. On n’a effectivement pas enfilé des perles, mais je ne me suis pas faite enfiler non plus, très cher grand frère qui s’occupe de ce qui ne le regarde pas.

— Ah oui ? Vraiment ? Tu me déçois, frangine. Quitte à accueillir un criminel chez toi, tu pourrais au moins en profiter un peu pour justifier le risque, quand même.

— Le risque de quoi, au juste ? Il a fait de la taule, c’est fini, à un moment donné, il faut arrêter de toujours remettre ça sur le tapis. J’ai accueilli un collègue chez moi, pas un criminel. Oui, c’est un repris de justice, mais pas que.

— Mais tu as pensé à Mathis ? Que toi tu te mettes en danger, encore, je pourrais l’entendre, mais le petit n’y est pour rien !

— Il a violé des gosses ? En a kidnappés ? Tués ? Sérieusement, il a mangé à la maison et dormi. Rien n’a disparu ici. Il est gentil, il a l’air de vouloir se sortir de tout ça. Fous-lui la paix. Et fous-moi la paix, par la même occasion, marmonné-je en me levant pour aller à la cuisine.

— Il n’a pas violé des gosses mais tu sais que c’était un des caïds du quartier ? Le gars, il a causé la mort de plein de gamins en vendant sa merde. Tu veux que ce soit ça, l’exemple pour ton fils ? Ou alors tu veux qu’il ait son revendeur à la maison ? Tu crois quoi ? Qu’on fait trois ans de prison pour rien ? Le gars, c’est un dangereux, je te dis.

— C’est lui qui a causé la mort des gosses ou son boss que la police est incapable de coffrer ? Tu sais très bien que les caïds dans son genre, ce sont juste des gamins paumés qui font les mauvais choix. Ça ne veut pas dire pour autant qu’ils restent dans cet état d’esprit.

J’y vais au bluff et à la provoc, j’avoue… Et j’essaie surtout de ne pas réfléchir à ce qu’il vient de me dire. Non, Mathis n’était pas en danger. Je bosse avec Sacha tous les jours ou presque, je l’aurais senti, s’il était louche…

— Le type est resté trois ans en taule et jamais il n'a dénoncé ses camarades ! C’est un criminel, je te dis, et pas un repenti. Le danger, ça t’excite peut-être au lit, mais pense à ton fils ! Tu crois quoi ? Que les parents prennent de nouveaux salariés pour que tu les essaies tous dans ton lit ?

— Pardon ? On va s’arrêter là, Louis. C’est bon, j’ai ma dose. Je fais ce que je veux de ma vie. Si j’ai envie de coucher avec un dealer, un serial killer ou un flic, je le fais. Je n’ai aucun compte à te rendre. Oui, Sacha a fait de la prison, mais il a payé sa dette. C’est pas toi qui vas redorer le blason des flics, avec tes idées à la con. Tu n’as jamais fait de trucs illégaux avant de devenir flic ? On en parle des baskets que tu as piquées quand tu étais ado ? Et donc, tu es resté un délinquant ? Je ne crois pas. Le proprio t’a donné une seconde chance. Sacha aussi a droit à sa seconde chance, et si tu ne la lui donnes pas, Maman et Papa le font et je le fais aussi.

— Tu fais ce que tu veux de ta vie, mais il faut penser à ta sécurité un peu quand même. Je ne dis pas ça pour t’embêter, tu sais. Je te préviens car je pense à toi.

— Eh bien, je ne me sens pas en danger, Louis. Sacha ne montre rien qui puisse me faire croire que je ne suis pas en sécurité, en fait. Je ne l’aurais pas invité à dormir à la maison si c’était le cas. Quoi que tu puisses penser de moi, Mathis est ma priorité.

— Bien, je vais te laisser à tes amours dangereuses, alors, répond-il, grandiloquent. Bonne fin de journée.

— Arrête avec ça, bon Dieu, m’agacé-je en vérifiant du coin de l’œil que Mathis est toujours occupé dans sa chambre. Y a pas d’amour, même pas de cul. Aucune partie de jambes en l’air, OK ? Un collègue. Sacha n’est qu’un collègue ! Ne va pas raconter des conneries aux parents, il fait bien le boulot et si tu leur balances ça, ils vont mettre fin au contrat et je vais encore perdre du temps à former un autre employé, si on arrive à en trouver un qui leur convient.

— Non, je ne dirais rien, ne t’inquiète pas. Je te rappelle que je suis flic, pas indic. Et je vais garder l'œil ouvert, tu peux compter sur moi. A plus !

— C’est ça, bonne soirée Inspecteur Gadget, marmonné-je alors qu’il quitte mon appartement, non sans me gratifier d’une grimace.

Même ses grimaces sont bourgeoises et nulles, putain. Qu’est-ce qu’il me gonfle avec ses jugements de valeur. Je soupire en me laissant à nouveau tomber sur le canapé et réfléchis à cette conversation sans queue ni tête en regardant mon fils qui joue avec ses voitures sur son tapis. Est-ce que Sacha pourrait vraiment être dangereux ? Je n’en ai pas l’impression. Pour autant, je ne peux m’empêcher de me dire qu’il a vendu de la drogue, sans doute à des mineurs qui n’avaient pas vraiment conscience des risques… Il a fait de la prison, et il a dormi chez moi. Il a pris Mathis dans ses bras… et il me drague. Ouais, il me drague et j’aime ça, en plus. Je ne sais pas si c’est justement le fait qu’il soit totalement l’opposé de ce que pourrait vouloir ma famille pour moi qui me fait cet effet, mais il me plaît. J’aime ce petit côté bourru, ce regard provocateur qu’il a parfois quand il sent qu’il est jugé par un client ou par mes parents. Sacha n’est pas lisse et trop poli et courtois comme peut l’être Sébastien. Malgré tout, il n’a rien, face à moi en tout cas, d’un gros caïd qui deale à peine sorti du boulot. Et il est respectueux, appliqué, volontaire… Est-ce qu’il regrette ce qu’il a fait ? Est-ce qu’il a vraiment tourné la page ? J’ai envie de lui faire confiance, moi, et je le faisais jusqu’à ce que mon frère me mette tout ça en tête. Mon instinct me dit que j’ai raison, mais les faits, eux… En tout cas, Louis serait fier de voir qu’il a réussi à planter la graine du doute dans mon esprit. A moi de l’étouffer pour l’empêcher de pousser, je veux croire en mon instinct.

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