22. Une soirée sur le balcon

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Livia


Je dépose un baiser sur le front de Mathis qui a semble-t-il épuisé toute son énergie avec Ethan, aujourd’hui, et le borde doucement. C’est fou cette explosion d’amour que je ressens à chaque fois que je le regarde. Est-ce que je suis une mère indigne si j’ajoute : surtout quand il dort ? Sans doute. Bouh, Livia.

Sacha et moi sortons en silence de la chambre et je ferme la porte en me disant qu’il faudra absolument que je pense à l’entrouvrir avant d’aller me coucher. Mathis déteste quand elle est close, c’est un coup à ce qu’il hurle au beau milieu de la nuit s’il ne voit pas la lumière de la petite guirlande du salon à travers l’ouverture.

— Tu as faim ? Ethan doit avoir préparé un truc, et il cuisine super bien.

— Oui, j’ai un peu faim, mais il n’a pas dû préparer assez pour nous deux, si ?

— On va partager, et puis il y a des restes dans le réfrigérateur, au pire, dis-je doucement en ouvrant le Cookéo. Ok, on a donc des pennes au saumon avec une sauce crème-épinards. Ça te va ? Il doit y en avoir assez pour deux. On peut prendre les restes de la salade de ce midi en entrée, si ça fait juste.

— Non, ça ira, je ne veux pas abuser. Je peux t’aider à mettre la table ?

Bon, je mentirais si je ne disais pas que ça me fait bizarre de voir Sacha chez moi, dans ma cuisine, mal à l’aise… J’ai, en plus, un peu l’impression qu’il a envie d’être partout sauf ici, ou qu’il hésite à rester.

— Ça va aller, tu sais, vu la taille de la cuisine, tout est à proximité ou presque, ris-je en récupérant les assiettes qui ont séché sur l’égouttoir. Il fait bon, ce soir. On mange sur la terrasse ? Ça nous évitera de devoir chuchoter pour ne pas réveiller le petit monstre.

— Si tu veux. Je te suis, répond-il en prenant des couverts et des verres.

Je remplis les assiettes et récupère le pichet d’eau au réfrigérateur avant de gagner la terrasse. J’évite quelques jouets qui traînent encore dans le salon au passage, pousse le vélo de mon fils et sa voiture électrique qui sont en plein milieu, et dépose tout avant de tirer la table calée contre le mur. Il n’est pas très grand, mais j’adore passer du temps sur ce balcon, couvert par un genre de pergola en bois. Adepte des plantes, j’en ai fourré un peu partout pour me créer de l’intimité et avoir un peu moins l’impression de vivre à Paris.

— Tu veux peut-être boire autre chose que de l’eau ? lui demandé-je en me servant un verre. J’ai du vin, du multifruits… et pas grand-chose d’autre, j’avoue.

— Non, je ne bois plus, j’ai… trop abusé à une autre période. Et je n’ai pas besoin de ça pour que tu me fasses tourner la tête, lance-t-il avant de rougir.

Eh bien… on peut dire qu’il sait parler aux femmes, le petit jeune. Et ça me plaît un peu trop pour le bien de notre relation de travail.

— Va pour de l’eau, souris-je en le servant sans relever. Alors, c’est bon ? J’embaucherais bien Ethan comme cuistot privé, franchement.

— Cela fait longtemps que tu le connais ? J’espère que je ne l’ai pas fait fuir en m’incrustant ici.

— Non, il avait un truc de prévu apparemment. Et arrête de dire que tu t’incrustes, je t’ai invité. Je ne l’aurais pas fait si ça me dérangeait. Et je suis chez moi, je fais ce que je veux, ris-je. Ethan n’a pas son mot à dire.

— Ah, je vois, dit-il en souriant. Tu es comme ça avec les hommes de ta vie ! Ils marchent à la baguette !

— On se connaît depuis le collège, lui et moi. Et je t’assure que je le fais moins marcher à la baguette que sa femme. Il est génial avec Mathis, et c’est un ami en or.

— Sa femme ? Il est marié et il a le temps de venir passer ses journées avec ton fils ?

Le visage de mon collègue semble s’éclairer alors qu’il remplit nos verres de manière un peu plus franche que quelques instants auparavant.

— Elise est en formation, cette semaine, alors il est tout à nous. J’en profite, parce que sinon je dois laisser Mathis à ma belle-sœur et l’ambiance n’est pas la même, soupiré-je. Attends… tu t’es imaginé que lui et moi… Ah oui, non, je t’assure que non !

C’est vrai, Ethan et moi, ça n’a jamais été autre chose que de l’amitié. Je l’aime d’un amour presque fraternel, comme si je n’avais pas assez de frangins. Isa, en revanche… Possible qu’elle et moi ayons un chouilla fauté, une ou deux fois, il y a bien longtemps. Comme on dit, il ne faut pas mourir bête.

— Eh bien, un mec qui se fait appeler Tonton et qui s’occupe de ton gamin presque à temps plein, tu avoueras qu’il y a de quoi douter.

— Peut-être bien, j’avoue, pouffé-je. Si tu vois une jolie fille traîner avec mon fils dans quinze jours, je t’assure que ce n’est qu’une amie aussi, même si elle est lesbienne !

— Tu es bien entourée, dis donc. Entre ta famille et tes amis, tu es aidée, c’est cool.

— Oui, même si certains coups de main sont plus agréables que d’autres. Enfin… Je ne devrais pas dire ça, c’est vrai que sans mes parents et ma belle-sœur, je ne m’en sortirais sans doute pas, mais j’ai une famille vraiment vieille école, alors être maman solo, laisser son fils à garder pour aller bosser au lieu de l’élever… tout ça, ça crée des tensions. Mais bon, on s’en fiche un peu, c’est comme ça, y a toujours pire comme situation.

— Et tu as toujours bossé pour tes parents ? Tu n’as jamais eu envie d’aller voir ailleurs ?

— Je bossais dans une agence de voyage, jusqu’à il y a quelque temps. Je me suis faite virer parce que mon patron en avait marre de mes absences. Mais si je mets de côté ma relation compliquée avec mes parents, j’adore le coffee shop. Je bossais ici, ado, pour me faire un peu d’argent de poche, mais surtout parce que ça me plaît. J’aime bien le contact avec la clientèle.

— Et faire des cœurs dans les cafés aussi ! N’oublie pas, c’est quand même l’essentiel de notre travail, se moque-t-il gentiment.

— Oui, aussi. Et j’adore voir les gamins avec des étoiles dans les yeux en regardant les pâtisseries, et une moustache de chocolat sur le visage, souris-je. Bref, globalement, le boulot me plaît. Et toi, ça va, tu t’y retrouves dans ce job ?

— J’ai pas assez d’heures pour vivre et me payer un appart, mais ça va. J’ai accepté pour pas me faire virer du centre… Et parce que je me suis dit que tu… non, enfin, ce que je veux dire, c’est que c’est bien pour un contrat aidé mais je ne gagne pas assez. Mais que veux-tu ? En tant que sortant de taule, je ne peux pas prétendre à grand-chose de plus.

— Je vois… Et avec ta sœur, ça donne quoi ? Enfin si tu veux bien en parler…

— Rien de plus que la dernière fois. J’en ai parlé avec mon éduc qui me dit que je dois patienter et lui laisser le temps. Je… je ne suis pas du genre patient, et ça me fait chier qu’elle pense que je suis un monstre.

— Un monstre ? C’est ce qu’elle t’a dit ? lui demandé-je, incertaine.

— Non, pas avec ces mots-là, mais c’est tout pareil. Elle ne veut plus me voir ou presque. Je suis vraiment seul, moi, tu vois, mais bon, j’avais qu’à pas faire de la merde.

Je ne sais pas trop quoi lui répondre, j’avoue. J’ai bien envie de lui dire qu’il est entouré quand même, qu’il a des éducs qui sont là pour l’aider, même si celui que j’ai eu au téléphone est vraiment un con, et qu’on est là, nous aussi, mais… je ne sais pas, tout ça me paraît bien trop léger pour que ça ait un impact.

— Invite-la à boire un café au shop, elle verra que tu bosses sérieusement… J’ai bien peur que la patience soit une qualité à acquérir, là…

— Oui, c’est vrai. En tout cas, ce soir, je me sens beaucoup moins seul. C’est vraiment gentil de m’avoir invité, je suis touché, tu sais ?

— C’est normal. Et très intéressé, plaisanté-je. Tu sais, si tu dessines, j’ai moins de boulot, moi. Tu veux un dessert ?

— Ah oui, un repas sans dessert, c’est pas possible ! C’est comme faire l’amour sans jouir ! ajoute-t-il avant de se stopper net et de bafouiller. Oups… désolé… je ne devrais pas parler comme ça devant toi.

— Tu plaisantes ? Je suis contente que tu te détendes… Tu es toujours sur la retenue, j’ai l’impression… et j’espère que tu ne penses pas ça que pour ton plaisir personnel, que tu fais profiter tes partenaires de cette affirmation, ris-je en me levant pour débarrasser. Non, non, reste assis, c’est bon. J’ai pas grand-chose, par contre. Des mousses au chocolat, des yaourts aux fruits…

— Une mousse au chocolat, alors. A partager, si possible, pour que tu ne doutes pas de ma volonté de te faire profiter, répond-il avec son petit air mutin sous sa barbe que je trouve trop craquant.

Je rentre à l’intérieur, lui tournant le dos pour qu’il ne me voie pas sourire, et vais récupérer deux mousses au chocolat au frigo.

— C’est très altruiste de ta part de vouloir partager, mais je crois que lorsqu’il est question de chocolat, on peut être égoïste ou très gourmand. Une demi-mousse, ça ne me suffit pas, à moi.

— Madame est gourmande, je vois, répond-il en se dépêchant d’ouvrir sa bouche dans laquelle il enfourne sans plus attendre une bouchée de mousse qu’il déguste en fermant les yeux. Mmm. Trop bon.

— Tu fais bien de te dépêcher de la manger, oui. Je perds toute bienveillance pour une mousse au chocolat, plaisanté-je en l’observant. Tu crois qu’on doit prendre une photo de toi au lit avec l’heure sur le réveil, pour ton emmerdeur d’éduc ?

— Non, oublions-le un peu, celui-là. J’abuse si je te demande de prendre une douche ? Après le boulot, j’aime bien, ça me permet de mieux dormir après.

— Oui, oui, bien sûr, pas de souci.

J’espère juste que la salle de bain est rangée… Heureusement que j’ai fait le ménage hier, d’ailleurs, même si j’aime bien que ce soit propre, en général, ce n’est pas toujours le cas avec un gosse et la boule à poils longs qui débarque sur la terrasse et joue moins sa timide.

— Voilà la troisième colocataire de l’appartement. Pas d’allergie aux chats, rassure-moi ? Je te présente Moustache.

— Non, j’aime pas trop les animaux, mais je ne suis pas allergique. Et puis, il est mignon ce petit chat. Enfin, ce gros matou !

— C’est une crème, tu ne risques rien. Je peux te laisser débarrasser vite fait ? Je vais te sortir ce qu’il faut dans la salle de bain.

Il acquiesce en jetant un nouveau coup d’œil au chat qui s’approche de lui avec méfiance, et je me dépêche de filer à la salle de bain pour vérifier qu’aucune petite culotte ne traîne… J’avoue que je serais sans aucun doute mal à l’aise s’il tombait là-dessus. Je récupère une serviette de bain et une brosse à dents dans le placard sous le lavabo, et sursaute en entendant Sacha frapper à la porte.

— Tout est prêt, souris-je. Désolée, les seuls vêtements que je peux te proposer sont les miens ou ceux d’un gosse de même pas quatre ans… Va falloir te contenter des tiens.

— Je me doute bien. Je garderai mes sous-vêtements jusqu’à demain, ça ira, ne t’inquiète pas.

— Sers-toi pour le gel douche, tout est dans la cabine. Tu peux même prendre un bain si tu veux, mais évite d’y rester deux heures, moi aussi je me douche avant d’aller dormir, dis-je en lui faisant un clin d’œil. Bref, je te laisse… A tout à l’heure.

Je ferme la porte derrière moi et soupire en me disant que j’ai des pensées bien trop vilaines pour ce petit jeune. Sérieusement, qu’est-ce que je vais aller m’imaginer ? Une petite nuit de plaisir ? Que peut-on attendre de plus alors que nous sommes si différents l’un de l’autre ? Bon, je ne serais pas contre une nuit de sexe, clairement, surtout vu son discours de tout à l’heure, mais ça ne serait vraiment pas sérieux.

Je file dans mon bureau multifonctions et déplie le canapé pour préparer le lit de mon collègue. Juste collègue, rien que collègue. Pourquoi est-ce que je lui ai proposé de dormir ici, déjà ? Et le pire, c’est que cette soirée en sa compagnie est très agréable et pleine de tentation…

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