Prologue : les infos du Papy

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Livia

J’observe Ethan en grimaçant alors qu’il prépare une Tequila sunrise à Isa. Tous deux n’ont absolument aucun sens de l’amitié à ce sujet. Qui dit soirée, dit cocktails, quand bien même je ne peux pas boire. Ils sont déjà à leur deuxième verre, installés dans mon canapé, tandis que je mets le plat de gratin dauphinois au four. Heureusement, Isa a un peu plus de considération pour ma pomme et s’occupe d’amuser le petit monstre dans ses bras en attendant que je sois disponible pour la tétée. Le tableau pourrait vraiment être parfait à regarder, mais je ne peux m’empêcher de penser qu’il manque une personne dans mon petit appartement.

Oh, en soi, je ne le vis pas si mal que ça. Disons que se retrouver maman n’était pas mon désir le plus prégnant, mais j’accueille plutôt bien le petit monstre qui m’a surprise, tant avec ce test de grossesse positif l’année dernière qu’avec son arrivée prématurée il y a bientôt cinq mois. Pourtant, j’ai dû gérer seule un nourrisson et un post-partum dont on ne parle jamais assez. Seule, ou presque. Si je me plains d’Ethan et Isabelle, c’est juste parce que je ne dirais pas non à un petit cocktail ce soir, parce qu’en dehors de ça, ils ont été et sont très présents dans mon quotidien.

— Tu comptes t’endormir devant le four, Livia ? Parce que je crois que Mathis a les crocs et en a marre d’attendre sa mère.

Je me rince les mains rapidement et rejoins tout ce petit monde au salon, m’installant confortablement pour donner le sein à mon fils. Un beau bébé, le plus beau même, parole de sa maman, aux cheveux d’un blond qui fonce déjà, et aux yeux clairs qui, je l’espère, ressembleront davantage aux miens qu’à ceux de son géniteur.

Un regard à mon meilleur ami me rappelle que l’allaitement en public n’est pas l’idée du siècle. Bon, il ne dit rien, il détourne le regard, mais impossible de ne pas repenser à mes parents qui étaient outrés de me voir nourrir Mathis au calme dans un coin du Coffee Shop qu’ils tiennent tous les deux. Bien loin de la réaction d’Isa qui, elle, soupire d’un air énamouré en nous regardant à chaque fois. A défaut d’avoir un mari en amour pour la mère de son enfant, j’ai une tatie d’adoption et une marraine en adoration. Et je prends. Je ne me voyais absolument pas faire ma vie avec Guillaume, de toute façon. Mais sa façon de fuir à la seconde, ou presque, où il a découvert qu’il m’avait mise enceinte, ça passe moyennement. Je n’ai, depuis, plus eu aucune nouvelle, et je me dis que mon petit kangourou a de la chance d’avoir trois tontons, même si certains sont chiants, et Ethan, prêt à assumer ce rôle dès que possible.

— Alors, prêt pour le mariage ?

Isa a le don de mettre les pieds dans le plat comme personne. Si notre meilleur ami est fou amoureux de sa belle, l’idée de se marier dans quinze jours le met dans un état pas possible. Je crois qu’il n’a pas assez de Tequila dans le sang pour pouvoir encaisser la conversation. Dans ce groupe, chacun sa façon d’approcher la trentaine. Ethan se marie, moi, j’ai un gosse, et Isa fait son coming out. Le trio de choc.

— Tout est prêt, et Elise est toute excitée, lui répond-il en augmentant le son de la télévision.

Isa et moi nous lançons un regard entendu et comprenons que le sujet n’est toujours pas abordable. Vivement qu’elle lui ait passé la corde au cou, parce que le voir aussi stressé m’angoisse, moi. D’ici à ce qu’il nous claque entre les pattes le jour J, on n’en est pas loin.

Je me plonge donc dans la contemplation de la chair de ma chair, et prie pour avoir droit à une nuit de sommeil complète pour une fois. Ah c’est mignon, toutes ces photos sur les réseaux, tous ces sourires et cette soi-disant perfection, mais le real life est bien différent et il pique. Sinon, la maternité est un bonheur, oui, oui, oui.

Je lève les yeux sur la télévision en entendant le générique du journal télévisé. On va vraiment regarder ça, comme des petits vieux, en dînant ? Bon, OK, on n’est plus tout jeunes, mais quand même !

— Sérieux, tu ne veux pas changer de chaîne ? Je n’ai pas eu le temps de regarder la dernière saison de The Walking Dead, on pourrait pas plutôt se mater ça ?

— Juste les titres, s’il te plaît. J’aime bien être au courant de ce qu’il se passe dans le monde.

— Y a Internet pour les infos, Papy, marmonne Isa en me donnant mon verre de jus de fruits.

— Chut, gloussé-je. On respecte les goûts de chacun, voyons. Même si ça veut dire se taper les infos un vendredi soir, enfermés dans un appartement à boire des cocktails, pour vous au moins. Elle est bien loin l’époque des soirées au bar et des nuits à danser.

Je grimace en repensant à ma vie d’avant. Mathis a tout bouleversé dans mon quotidien, et si je ne regrette rien, je ne peux m’empêcher de me rappeler comme l’insouciance de ne penser qu’à soi est agréable. J’ai perdu un bout de ma liberté et je ne suis pas près de la retrouver, soyons honnête. Les prochaines années vont être aussi géniales que galères, non ?

Mon regard se perd sur l’écran de télévision et je raccroche avec ce qui se dit quand j’entends les mots “drogue”, “police” et “Paris” dans la même phrase. Louis, le deuxième de mes frères, étant flic, mon attention se tourne totalement en direction du présentateur qui introduit un sujet sur un groupe de dealers du coin. Et moi qui aimerais que mon fils grandisse dans un environnement serein et sécurisé… Nouvelle angoisse de maman, j’adore. J’écoute le journaliste qui prend la parole, l’air grave réservé aux affaires sordides.

— Hier soir, les policiers ont réussi un gros coup. Pour parvenir à coincer le caïd à l’origine d’une grande partie des trafics du quartier, ils ont infiltré la bande de malfrats et ont déclenché leur opération ce matin à l’aube. S’en sont suivies des heures de guérilla urbaine qui ont contraint les forces de l’ordre à utiliser les gros moyens. Et la chance a été de leur côté car ils ont fini par coincer le chef de bande dans un immeuble qu’ils ont encerclé.

Les images qui défilent sont terribles. Des armes, de la violence gratuite, des gens qui crient. Heureusement que mon frère n’était pas de service aujourd’hui.

— Quand les malfrats ont compris qu’ils étaient faits comme des rats, certains se sont rendus d’eux-mêmes à la police qui les a immédiatement interpellés pour violence en bande armée et trafic de drogue.

Je vois alors un groupe de jeunes hommes sortir. Celui qui est en tête est plutôt beau gosse, même s’il a l’air à peine pubère avec sa barbe peu fournie. J’ai l’impression qu’il regarde droit à travers la caméra et que c’est moi qu’il fixe. Etrange comme la télé peut rendre des choses si réelles.

— Ceux qui sont restés ont dû être délogés par le GIGN qui est intervenu en force. Dans l’assaut, quatre hommes parmi les criminels sont décédés et seul un des militaires de l’opération a été blessé. Un vrai succès pour les forces de l’ordre.

— Cette affaire démontre tout le professionnalisme de nos forces de l’ordre, intervient le Ministre de l’Intérieur. Je peux vous assurer que nous allons tout faire pour pacifier le quartier et que tous ces hommes que nous avons interpellés vont payer le prix cher. La justice ne sera pas clémente et ils vont apprendre comment les prisons françaises matent cette racaille qui nous crée tant de problèmes. Des exemples, nous allons en faire des exemples ! Ça en sera fini avec la déliquescence de la France, je vous le garantis !

Et comme d’habitude, le présentateur télé passe du coq à l’âne, ouvrant un sujet sur les vacances scolaires et un camping en Bretagne qui peine à remplir ses mobil-homes. Comme si le ministre ne venait pas d’annoncer que des hommes vont passer des années en prison, être encore plus exclus d’une société dans laquelle il n’arrivent déjà pas à s’inscrire. Je sais que mon frère ne serait pas d’accord avec ce que je pense, que pour lui, toutes ces petites racailles méritent la taule et ne devraient sans doute pas être réinsérés à leur sortie, mais je trouve malheureux de voir que certains en arrivent là. Autant je n’ai pas des parents parfaits, mais je ne saurais jamais assez les remercier d’avoir toujours été là et de m’avoir guidée dans la bonne direction, même si, aujourd’hui, ils me reprochent d’être maman solo. Parfois, c’est juste la vie qui décide pour nous, et on doit simplement accueillir les choses et faire avec. C’est sûr que c’est mieux de se retrouver à ma place qu’en cabane pour avoir dévié du chemin, mais les accidents de parcours, ça arrive, non ?

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