Secours

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Le soleil encore haut dans le ciel avait finalement quitté son zénith et s'approchait dangereusement des montagnes. La fin de la journée pour les paysans s'annonçait proche. Mais la centaine d'hommes qui fourmillaient autour du canyon devrait continuer les recherches même de nuit. Le tragique incident avait en effet mobilisé de nombreuses forces pour faire la lumière sur ce qui s'était passé quelque temps auparavant.

Au sommet de la falaise, au bord du gouffre, les deux responsables des recherches observaient la scène. Les ingénieurs s'attelaient à la tâche pour retrouver les disparus dans les flots ininterrompus de la rivière. Des cordes retenaient les secouristes qui récupéraient les cadavres emprisonnés dans les débris du train. Des groupes isolés poursuivaient aussi les recherches en aval.

Les deux hommes se détournèrent de cette vision et retournèrent à leur voiture où se trouvait le mécanicien témoin et seul survivant de l'incident. Le chef de la mission de sauvetage lui adressa alors la parole : « Redites-moi ce qui s'est passé, demanda-t-il.

— On faisait rouler la machine bien comme il faut, commença-t-il avec une diction pauvrement élaborée. Puis j'ai vu les rochers bloquer notre route. J'ai arrêté la machine. J'ai pris la pelle et je suis parti aller enlever les rochers. Et puis après ça a explosé.

— Bien, mais comment sont arrivés les rochers ?

— Ils sont tombés.

— Un éboulement... Vous n'avez pas demandé de l'aide pour déblayer ?

— C'est dangereux. Il n'y a pas beaucoup de place pour passer à côté. »

Il n'y eut pas de réponse à ça et la conversation prit fin. Les deux responsables laissèrent le mécanicien de côté et retournèrent à la supervision des recherches. Le second en profita pour interpeller son supérieur et lui faire part de ses doutes : « Qu'allons-nous faire de lui, colonel ? Sachant que même s'il y a un procès, le verdict sera quand même la mort.

— Pourquoi dites-vous cela, commandant ?

— Vous l'avez vous-même fait remarquer. Comment cet éboulement a-t-il pu se produire en terrain plat ? Le train aurait dû être évacué en des circonstances aussi troubles.

— Indubitablement. C'est pourquoi nous allons le renvoyer à la caserne, mais nul besoin de le mettre en cellule. Il ne sortira toutefois pas avant un certain temps. »

Du haut du canyon, si l'on n'était pas déstabilisé par la hauteur ou par le désastre, cela voulait dire que l'on était désensibilisé par toutes les affaires de sa vie. Ce qui correspondait parfaitement au caractère du colonel, contrairement aux subalternes inquiets à la recherche de survivants. Alors que le temps passait, un lieutenant se présenta aux officiers supérieurs et fit le rapport de la situation : « Je suis désolé, colonel. Sur quinze retrouvés, quinze sont morts. Le Généralissime est toujours porté disparu. »

D'un geste de la main, ledit colonel congédia le jeune homme. Les deux superviseurs restèrent plusieurs minutes ainsi, observant le déroulement des opérations, l'un, surpris par la tournure des événements, l'autre pensant à sa future promotion de général. Ce dernier trouvait cette catastrophe amusante mais ce qui l'intéressait le plus étaient les jours à venir : il y aurait certainement des places à pourvoir, des promotions à accorder.

Les circonstances de l'attaque ne manquaient pas non plus d'occuper son esprit. Il lui apparaissait étrange que le chemin fut bloqué deux fois. Une idée farfelue de ces stupides traîtres, sans doute. Mais de qui s'agissait-il ? Communistes ? Monarchistes ? Officiers ambitieux ? De toute façon, pourquoi s'en inquiéter ? Lutter pour un idéal d'égalité qu'ils ne verraient jamais se réaliser ou tenter de maintenir leur société corrompue et dépassée, quelle blague ! Les officiers ambitieux avaient au moins le mérite d'être modernes.

Cela ressemblait beaucoup au colonel, en effet. Cela ressemblait à beaucoup d'officiers, à vrai dire, et surtout à l'Incendiaire. Quatorze ans de dictature militaire avaient ainsi façonné le pays chez les nationalistes. Puisque le pouvoir était accessible à tous les officiers, ceux-ci essayaient donc de s'en approprier aux dépens des autres. Corruption ou assassinat, les méthodes ne manquaient pas pour exercer la « démocratie ». Certes, ce n'était pas la meilleure façon de faire, mais au moins y avait-il cette illusion ; selon son mérite, chacun pouvait devenir général et diriger le pays depuis l'État-Major.

Seul le bruit des ingénieurs au travail accompagnait le son de la rivière. Mais alors que le commandant était bercé par cette atmosphère calme, il ne pouvait s'empêcher d'avoir cette crainte au fond de lui-même : « Y a-t-il encore un espoir de retrouver le Généralissime vivant ? » demanda-t-il à son supérieur. Question risquée à laquelle répondre ; ne pas trahir ses ambitions mais ne pas se compromettre avec l'Armée. Le colonel répondit alors avec un rare sens inné de la diplomatie : « Je ne croirai à sa mort que lorsque je verrai son cadavre de mes propres yeux. »

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