Chapitre 10 : Émancipation

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Le trajet se fait en silence jusque chez moi. À peine entrées, elle se jette sur mon lit et y fourre son visage pour y pousser un hurlement de frustration. Je me contente de l’observer, adossée contre le mur.

  • Ta chambre est déprimante. Dit-elle en sanglotant.
  • Je sais.

Timidement, je viens m’asseoir à ses côtés.

  • Je suis désolée pour ce qui s’est passé. Merci, d’être venue à mon aide.
  • Tu n’as aucune raison de t’excuser. Marmonne-t-elle.
  • Edwin…
  • Qu’il aille se faire foutre.

Un petit sourire m’échappe malgré moi.

Peinant à retenir ses larmes, elle se recroqueville sur le lit en serrant mon oreiller contre sa poitrine.

  • À propos de tout à l’heure… Prends ton temps pour en parler. Sache que peu importe ce qui est arrivé, celle que tu es ne changera jamais à mes yeux.

Je baisse la tête.

  • Et qui je suis à tes yeux ?
  • Quelqu’un de formidable. Murmure-t-elle.
  • Tu ne me connais pas. Dis-je tristement.
  • Je ne suis pas aussi naïve que je le laisse paraître. Je sais que les menaces d’Ed sont allées bien plus loin que ce que tu as tenté de me faire croire. Et pourtant, je t’ai tendu la perche pour que tu m’en parles... Tu ne m’as rien dit pour ne pas me faire de la peine, pas vrai ?

Submergée par un flot d’émotions, je ne trouve rien à répondre. Andrew avait fini par lui avouer la vérité au détour d’une conversation, sans doute pour la blesser ou la dissuader de mettre trop d’effort dans une amitié vaine. Mais elle ne l’est pas.

  • Je suis tellement désolée… Mon frère est un vrai salaud.

Elle sanglote un peu plus fort à chaque mot prononcé.

M’allongeant simplement à ses côtés pour l’entourer de mes bras, je la serre fort pour l’aider à se calmer. C’est la première fois depuis longtemps que j’entame un contact aussi intime avec quelqu’un. Elle me rend vulnérable, mais ça me fait du bien.

  • Dis-moi que tu pensais tout ce que tu me disais, s’il te plaît, j’en ai besoin. Supplie-t-elle.
  • J’en pensais chaque mot.

D’énormes coups contre la porte me font sursauter d’un coup. Derrière elle, Edwin jure et braille, menaçant d’entrer de force. Toutes deux assises sur le lit, nous la regardons en silence.

Lynn me serre la main avec force, prend une grande inspiration pour calmer ses tremblements puis se relève, la tête haute pour aller lui ouvrir.

Edwin se tient à présent dans l’encadrement de la porte. Débraillé, les yeux injectés de sang et les cheveux ébouriffés, il est à peine reconnaissable.

Hurlant de colère en m’accusant de séquestrer sa sœur, il essaie de s’avancer vers moi, mais elle lui barre la route.

  • C’est moi que tu es venu voir, non ? Lui demande-t-elle calmement.

Il serre les dents et fait un pas en arrière.

  • Rentre tout de suite, ordonne-t-il.
  • Non.

En un éclair, une énorme gifle fait vaciller mon amie.

Hors de moi, je bondis vers eux, mais Lynn me demande silencieusement de m’arrêter. À contrecœur, j’obéis, mais je reste à proximité en cas de récidives.

Il recommence à s’époumoner, nous insultant de tous les noms, mais me visant moi en particulier.

  • Je ne sais pas ce que tu t’es imaginé en croyant être plus d’un animal de compagnie que j’ai offert à ma sœur, mais tu vas vite revenir sur terre. Si tu pensais avoir atteint le fond du trou en arrivant en prison, je vais te prouver que je peux te montrer bien…
  • La prochaine fois…

Les yeux rouges et la joue enflée, Lynn parle bas, mais étrangement, elle n’a aucun problème à monopoliser l’attention.

  • La prochaine fois que tu oses encore lever la main sur moi, et menacer mon amie… Je te le ferais regretter.

Edwin affiche un sourire en coin, pourtant son manque d’assurance commence à se faire sentir. Un rire nerveux lui échappe.

  • Et comment tu comptes t’y prendre ?
  • Je suis au courant de toutes les magouilles dans lesquelles tu traines…
  • Foutaises !
  • J’ai beaucoup plus de preuves contre toi que tu ne le penses, à toi de me croire ou non, mais à ta place, je ne prendrais pas le risque.

Analysant sa sœur en silence, il semble dubitatif. Elle met fin rapidement à ses doutes en lui chuchotant quelques mots qui suffisent à le déstabiliser, la situation semble avoir tourné à son avantage.

  • Tu comptes dénoncer ton propre frère ? Pour cette moins que rien ?

Elle ne répond pas, se contentant simplement de le toiser, une lueur de défi dans le regard. Hors de lui, il se remet à crier.

  • Tu crois t’être trouvé une amie ? Dix mille dollars, c’est le montant que je lui ai versé la première semaine pour qu’elle revienne te parler. C’était totalement faux cette histoire de révision ! Elle a arrêté de te fréquenter parce que tu n’es qu’une bonne à rien insipide que personne ne peut aimer à part moi ! Tu n’es qu’une ingrate, comment…
  • Je déteste me répéter… Alors ouvre bien tes esbroufes. Tente encore une fois de nous faire du mal, et tu seras assuré que je ne bluffe jamais.

Fulminant de colère, il met un énorme coup dans le mur. Lynn sursaute, mais s’efforce de garder un peu de contenance, tenant tête à son frère sans capituler.

  • Toi… Menace-t-il en me pointant du doigt.

Vaincu, il rebrousse chemin dans un ouragan de jurons. À peine est-il hors de vue que Lynn s’effondre à genoux, tremblant de tout son être en respirant à grandes bouffées.

  • Merci… Sort-elle difficilement. Sans toi, je n’aurais jamais eu le courage de lui tenir tête.

Sentant le mal qu’elle a à s’exprimer, je l’aide à se relever et l’accompagne aux toilettes pour lui passer de l’eau froide sur le visage. Une fois calmée, elle cesse enfin de sangloter.

  • Tu as surement dû être surprise de le voir comme ça. Souffle-t-elle à bout de lèvres. C’est sa vraie nature. Sous ces airs de frère bienveillant, Edwin est un manipulateur violent et narcissique. Il me terrifie…

Je n’ose pas lui dire que j’en avais déjà constaté la plus grande partie. Elle se retourne soudainement vers moi, les yeux embués.

  • Il faut que je te dise la vérité. Il est dangereux, bien plus que tu ne le crois. Ce n’est pas impossible qu’il retente de te faire du mal.

Étouffée par ses sanglots, elle marque une pause.

  • Je peux te donner les moyens de partir si tu te sens en danger.

Je suis presque surprise lorsque je l’entends sortir ces mots. Partir ?

  • Dis quelque chose !

Figée, je la fixe sans savoir quoi répondre.

Au cours de ma vie, jamais je n'aurais pensé rencontrer quelqu'un comme Lynn. Une personne qui me ressemble autant malgré nos différences.

Plus je la découvre, plus je me vois en elle comme dans un miroir, souffrant de cette solitude persistante et accablante qui me ronge depuis des années, couplée à la peur dévorante d’un être proche que je considérais comme un guide.

Partir reviendrait à consentir à y retourner, à abandonner la part de moi qui avait si désespérément besoin d’aide il y a peu, et Dieu sait que je ne choisirais jamais de suivre ce chemin maudit.

  • Non… Je ne partirais pas. Je veux rester près de toi.

À travers elle, j’accorde une seconde chance à la vie. Et je prie, de toute mon âme, que ce choix me conduise à un avenir meilleur.

  • Et s’il tentait de te faire du mal ?

Incapable de lui faire face, je tourne les talons.

  • Je sais que tu seras là pour me protéger.

Je la sens s’agripper contre mon haut, sa respiration, auparavant bruyante et saccadée, se calme peu à peu en même temps que ses larmes.

  • Je t’aime Moune. Merci d’exister.

Merci à toi.

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