Les démons de la gare

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Son sourire resplendissait, ses yeux brillaient, elle l'attendait. Tout en jetant des coups d'œil au panneau indiquant les arrivées de train, Lena observait son téléphone. Il ne lui avait pas envoyé de message depuis dix minutes. Il avait promis de lui en envoyer toutes les cinq minutes. Elle leva à nouveau les yeux vers le panneau, le train n'arriverait pas avant une demi-heure. Elle était en avance. A vrai dire elle était là depuis déjà un bon quart d'heure. Mais même si l'attente était longue, sa bonne humeur ne fléchissait pas. Après tout quoi de plus normal, quand l'homme que l'on aime plus que tout et qui a été absent pendant près de quatre mois revient.

     Du haut de ses vingt-cinq ans, Lena arborait un visage enfantin. Son sourire faisait penser à celui d'une petite fille découvrant ses cadeaux de Noël. Sa taille d'un mètre cinquante-cinq et sa finesse n'arrangeaient pas grand-chose et c'est pourquoi on lui donnait toujours dans les dix-sept ans. Absolument pas dérangée, Lena s'en amusait très souvent arborant des vêtements d'adolescente comme des t-shirts rose flashy sur lesquels étaient écrits des messages du style "I'm so girly" ainsi que des pantalons déchirés de toutes parts. Pourtant aujourd'hui elle portait une magnifique robe noire lui arrivant à mi-cuisse avec un décolleté plongeant ainsi qu'une veste de type tailleur, de couleur blanche et des escarpins noirs, la rendant plus mature, plus femme.

     S'attirant le regard de nombreuses personnes Lena préféra s'isoler dans un coin sur un petit banc libre. Patientant calmement, elle fredonnait une chanson. Douce et légèrement triste. Sans comprendre pourquoi, Lena eut soudain les larmes aux yeux. Une douleur sourde se logea dans sa poitrine et son cœur se mis à battre à une vitesse ahurissante. L'incompréhension s'installa sur le visage de la jeune femme. Pourquoi ressentait-elle cela alors qu'une simple minute avant elle allait parfaitement bien ? Elle ne remarqua qu'une seconde trop tard les ombres qui lui enserraient les poignets, déjà elle tombait en arrière.

     Sa tête heurta durement le sol de la gare. Les yeux fermés elle porta une main à son crâne et traça de petits cercles, tentant vainement de calmer la douleur. Puis elle se redressa avec difficulté et à l'instant où elle ouvrit les yeux, la panique la gagna. La somptueuse gare n'était plus là. A la place, devant ses yeux s'étendait une gare sombre, aux murs effrités, aux vitres brisées. La nuit était semble-t-il tombée puisque que seule la lumière de la lune éclairait les lieux. Les rails de trains étaient en morceaux, la ferraille jonchait le sol aux quatre coins. Seul le banc sur lequel elle était assise était identique. Blanc, brillant et étrangement lumineux face à cette gare. L'atmosphère du lieu terrifiait Lena, n'osant faire un geste elle respirait à peine. Le souvenir de l'étrange ombre qui lui tenait les poignets repassait en boucle dans sa tête. La peur lui tordit l'estomac et une boule se forma dans sa gorge. Son cœur martelait sa poitrine menaçant de s'arracher à chaque battement. Un bruit se fit entendre et Lena se leva, elle regarda autour d'elle et attrapa un bout de métal sur le sol avant de le brandir devant elle. Des rires rauques se firent entendre et elle recula de quelques centimètres mais fut contrainte de s'arrêter en heurtant le bord du banc.

     "Qui.. est là ?" Demanda-t-elle en tentant de paraître assurée.

     Les rires s'intensifièrent, comme s'ils se rapprochaient. Lena se mit à courir dans une direction, au hasard. Ses talons claquant sur le sol, elle courait lentement et les rires semblèrent la suivre avant de s'arrêter subitement. Elle continua de courir sans savoir où aller se cacher, avant d'apercevoir un comptoir, elle s'accroupit derrière et tenta de se calmer en respirant doucement.

     Plus aucun bruit ne résonna dans la gare pendant de longues minutes mais Lena entendit un son. Des pleurs. Des pleurs qu'elle semblait reconnaître. Elle se leva doucement et observa autour d'elle, bien qu'elle n'y voyait rien elle se mit à avancer, ses talons recommencèrent à claquer sur le sol, en entendant le son Lena retint de justesse un cri. Elle s'empêcha tout mouvement et écouta attentivement si quelque chose bougeait. Rien. Mais toujours ces sanglots étrangement familiers. Elle retira ses chaussures et recommença à avancer vers l'origine du bruit en prenant garde où elle posait les pieds. Elle avança lentement et se rapprocha doucement des sanglots. En arrivant où se trouvait le son, elle entendit des mots.

     "Laissez-moi ! Allez-vous en... Je veux rentrer chez moi..." Lena eut les larmes aux yeux. La voix d'une enfant. Une enfant était ici.

     Elle ouvrit une porte qui donnait sur une chambre d'enfant. Un papier peint rose, un lit d'enfant à baldaquin, des jouets éparpillés, des livres de comptines posés sur la table de nuit blanche. Lena connaissait cette chambre. L'incompréhension s'ajouta à la peur. Une chambre d'enfant.. dans une gare.. et une chambre familière. Elle regarda autour d'elle, la gare était bien plus sombre qu'il y a quelques minutes. Elle entra doucement dans la chambre cherchant d'où venait le bruit. Elle avança sans faire de bruit et trouva l'origine des sanglots. Une petite fille était cachée derrière un coffre à jouets, les genoux ramenés sous son menton, les cheveux humides de larmes collés à ses joues et masquant son visage. Lena s'approcha lentement.

     "Eh.. Que fais-tu là ?"

     L'enfant releva la tête. Lena se rapprocha encore et s'agenouilla devant la petite fille. Elle tendit doucement une main vers son visage et écarta les mèches de cheveux. En découvrant le visage de l'enfant, Lena bascula en arrière de stupeur. Ce n'était autre qu'elle même à l'âge de cinq ans.

     "C'est impossible" murmura-t-elle choquée.

     La petite fille se releva.

     Voilà pourquoi les sanglots lui paraissaient familiers. Il s'agissait des siens.

     Elle s'approcha de Lena.

     Voilà pourquoi la chambre lui paraissait familière. C'était sa chambre d'enfant.

     Elle tendit la main.

     Pourquoi... Pourquoi ?

     Un sourire pervers se dessina sur les traits de l'enfant.

     Lena eut un sursaut de stupeur.

     "Non ! Non ! Non ! Ne t'approche pas de moi ! " Elle se leva à toute vitesse et recula vers la porte.

     Sa version plus jeune pencha la tête toujours avec le sourire. Et les rires terrifiants qu'elle avait entendus reprirent. Elle sortit de la chambre et se mit à courir. Des mains sorties de nulle part s'agrippèrent à ses chevilles et la firent tomber. Elle s'écorcha sur les morceaux de ferraille. Pourtant poussée par la peur elle se releva et se remit à courir, essayant d'atteindre la porte de sortie de la gare. Les rirent se faisaient plus pressants, des bruits de pas se firent entendre derrière elle et lorsqu'elle regarda, elle ne vit que l'enfant. Pourtant le bruit indiquait au moins dix personnes qui couraient. Elle accéléra le pas. Cherchant des yeux une sortie ou un endroit où elle serait en sécurité. Mais rien n'apparaissait devant elle. Rien ne pouvait la sauver. Était-elle coincée ici ? Lena commençait à désespérer et la gare lui semblait immense. Elle courait depuis plusieurs minutes mais la sortie était toujours aussi loin. Où qu'elle court rien ne pourrait la cacher ou la mettre en sécurité. Elle se mit à pleurer, les larmes coulèrent sur ses joues et la fatigue commença à lui tomber dessus. Ses jambes devinrent tremblantes, et sa démarche aléatoire. Par "chance" la peur et l'adrénaline la poussaient à continuer de courir.

     Et tout aussi soudainement que tout à l'heure les rires se stoppèrent. Les bruits de pas s'estompèrent et Lena s'arrêta de courir. Elle tomba à genou d'épuisement. Comment cette gare pouvait-elle être si grande ? Elle reprit son souffle en se demandant si elle pourrait recommencer à courir, tout en pensant que non, elle s'aperçut par une vive douleur que ses jambes saignaient en plusieurs endroits et que sa cheville était peut-être foulée. Elle tenta faiblement de s'empêcher de saigner mais abandonna rapidement et préféra se concentrer sur comment sortir. Elle tenta de réfléchir rapidement. Si elle se dirigeait vers la sortie elle ne pourrait d'aucune façon l'atteindre étant donné qu'elle s'éloignait. Elle observa les fenêtres mais elles étaient bien trop hautes. Elle recommença à pleurer. La panique s'insinuant toujours plus dans son esprit. Elle se releva avec prudence, essayant de ne pas tomber. Mais elle tomba tout de même en arrière quand une forme indistincte se jeta sur elle. Elle hurla et tenta de se défendre. Une immense créature semblable à un loup l'écrasait de tout son poids. Un plaisir sordide se lisait dans les yeux de la "chose". Comme si l'idée de torturer l'esprit de Lena lui était agréable. Lena attrapa une planche à côté d'elle et frappa la bête de toutes ses forces. La créature tituba seulement quelques secondes mais ce fut suffisant pour que Lena lui plante un morceau de métal entre les deux yeux. La "chose" s'effondra immédiatement mais des cris terrifiants lui succédèrent. Lena se redressa vivement, les cris se turent et des bruits de course s'amplifièrent à ses oreilles. Le regard de la jeune femme fut attiré par une vive lumière qui s'élevait depuis le banc. Elle tourna la tête dans la direction opposée. Les cris et les pas se rapprochaient.

     Peut-être que cette lumière ne voulait rien dire.

     Peut-être qu'elle était condamnée à rester dans ce lieu.

     Peut-être que tout était fini pour elle.

     Mais.. Et si cette lumière était un appel ? Et s'il s'agissait de sa porte de sortie ?

     Lena allait tenter le tout pour le tout, elle pensait qu'il ne lui restait plus assez d'énergie pour rejoindre le banc mais l'espoir que cette lumière avait fait naître en elle lui donna la force nécessaire pour courir. Elle se rua vers la lumière, oubliant la douleur lancinante de sa cheville. Oubliant ses vêtements déchirés et ses écorchures. Oubliant le sang et la sueur qui coulaient sur sa peau. Oubliant également la terreur d'être attrapée par ces créatures. Laissant simplement l'espoir de vivre prendre toute la place. Un peu de panique réussit à percer son armure d'espoir quand elle s'aperçut que le banc s'éloignait quand elle s'approchait. Elle se remit à pleurer mais ne s'arrêta pas de courir.

     "Je vous en supplie. Je vous en supplie. Pitié ! Je dois vivre. Je VEUX vivre ! " Elle ferma les yeux tout en continuant de courir.

     Quand elle les ouvrit, elle s'était rapprochée du banc elle courut encore et encore. Elle arriva enfin au banc elle le toucha, regarda en dessous, au-dessus, derrière mais rien si ce n'est cette lumière. L'espoir commença à fondre et elle se tourna pour regarder l'endroit d'où venaient les pas. La petite fille avançait, et à la lueur de la lune apparaissaient par intermittence des créatures de toutes sortes. Monstrueuses, terrifiantes, les yeux rouges, des cornes, des griffes ou des sabots, des becs, des dents aiguisées. La bile monta dans la gorge de Lena. La peur avait cette fois remplacé entièrement l'espoir. Les créatures approchaient et Lena attendait la mort.

     "Laissez-moi ! Allez-vous en...Je veux rentrer chez moi..." Elle prononça à l'exact les mots qu'avaient prononcé la créature ayant son apparence.

     Des larmes coulèrent à nouveau sur son visage. Elle se laissa tomber sur le banc. Elle ne remarqua qu'une demi seconde trop tard qu'une bande lumineuse lui enserrait les poignets. Elle tomba en arrière.

     Sa tête heurta durement le sol. Elle se releva à la hâte s'attirant les regards surpris des gens autour d'elle.

     "Lena !"

     Elle tourna lentement la tête, un homme s'approchait d'elle en souriant et traînant une valise derrière lui.

     "Ma chérie tu es là ! "

     Son fiancé.

     "MARC" Elle se jeta contre lui en pleurant.

     "Eh bien ! Je t'ai manqué ! "

     Elle se recula, se demandant si elle avait rêvé. Vêtements intacts, aucune blessure, mais une douleur à la cheville. Elle n'avait pas rêvé. Elle ne lui raconta rien, se contentant de le suivre et d'essayer d'oublier. Et en s'éloignant du banc, aucun d'eux ne remarqua l'ombre, souriant derrière l'homme qui venait de s'y asseoir.

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