Acte 55 : LES ICÔNES DU PÉCHÉ - chapitre dixième

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— Bonjour chers Troll-spectateurs ! Bonjour ma chère… Janette ? Allons bon ! Que vous arrive-t-il pour que vous vous cachiez derrière vos lunettes noires ? Fort élégantes, soit dit en passant. Mauvaise nuit ?

— Très mauvaise. Archer a réapparu.

— Cela n’a pas l’air de vous enchanter. Rassurez-moi, elle n’a pas attrapé LE virus ?

— Oh non ! Elle a un peu trop forcé sur les épices ces derniers temps. La pauvre nous a fait une réaction allergique des plus étranges.

— Vous m’intriguez, Janette. Que s’est-il donc passé ?

— Archer a commencé par changer de couleur. Elle est devenue toute rouge. Un joli rouge-coquelicot. Et puis, elle a commencé à s’élever dans les airs en chantant Hotel California… un carnage ! Je vous épargnerai la suite, vous seriez choqué ! Lançons plutôt son article, cher Marcel. Vous comprendrez pourquoi j’ai si mal dormi.

— Vous avez raison, il est plus que temps.

*

Alec

Alec arrive pile à l’heure, comme toujours.

Sortir la carte magnétique. La coller contre le boitier. Clic. Ouverture de la porte. S’essuyer les pieds. Une fois… deux fois… trois fois. Vestiaire. Trente pas. Un… deux… Code casier 012210 012210 012210. Enlever le blouson. Le plier et le ranger sur l’étagère du haut, bien au milieu. Enfiler la redingote. Boutons. Un… deux… trois…

Tous les jours le même rituel. Alec aime les rituels. Alec vit de rituels.

Sur le revers de son uniforme, le petit badge est bien en place :

Alec Bates

Gardien de nuit

Musée Ferguson

Monsieur Ferguson est riche, très riche. Il se vante d’avoir été un grand aventurier. De ses voyages autour du globe, il a ramené des centaines de pièces rares et insolites. Au fil des cinq salles que comporte le musée, elles ont été mises en valeur avec minutie. Alec les connaît dans leurs moindres détails. Il a appris à les aimer, autant que monsieur Ferguson lui-même.

Gagnant le hall d’entrée, Bates croise la nouvelle hôtesse d’accueil. Il murmure un « bonsoir » par politesse mais ne la regarde pas. Cela lui est impossible. Il fuit le regard de ses congénères. Qu’ils le prennent pour un attardé lui est égal. Ils ne savent pas, eux, ce qu’il voit dans leurs yeux quand, par mégarde, un furtif contact s’établit. Ils ne savent pas l’horreur qui les guette, les monstruosités tapies dans l’ombre de leurs fragiles existences.

Alors le gardien de nuit baisse la tête, disparaît derrière ses boucles blondes. Il s’enfonce aussi vite qu’il le peut dans les sombres salles du musée Ferguson. Là, commence sa ronde. Là, parmi les ombres du passé, lui apparaît l’avenir.

Un avenir aux multiples dimensions, il consigne chaque détail dans des cahiers d’écoliers. Puis, la peur au ventre, le jeune homme attend. Il sait que chaque événement dont il a eu la vision se réalisera. De quelle façon, là est toute la question. Certaines versions le terrorisent plus que d’autres.

Après avoir déambulé plusieurs heures parmi les poteries, costumes d’apparat, têtes réduites et autres fossiles, Alec sent l’engourdissement familier le gagner. Lentement, il s’assoit contre la pierre froide d’un sarcophage. Il se doute de ce qui l’attend ce soir : il a rendez-vous avec la fin du monde.

Bates a vu des villes décimées, des volcans se réveiller, des tremblements de terre éventrer des pays entiers, des côtes englouties sous les flots. Une lueur d’espoir a brillé quelques temps, faisant taire la terreur pour laisser place à une version de l’avenir des plus apaisantes. Cependant, cela n’a pas duré et le cauchemar a vite repris le dessus.

***

« Cahier 17. Texte 3.

Aujourd’hui, j’ai revu cette femme qui était déjà apparue dans d’autres visions. Celle qui a un pouvoir sur l’eau. Elle se tenait debout, face au soleil. Des vaguelettes venaient lécher ses pieds nus. Sa longue robe bleu nuit ondulait dans la brise. Ses boucles d’une couleur un peu étrange, entre le blond et le gris, couvraient délicatement ses épaules. Une larme a roulé sur sa joue. Mais son visage était serein.

La plus belle vision que j’ai jamais eu.

Et puis, l’homme s’est avancé derrière elle. Lui aussi, je l’ai déjà vu. Plusieurs fois. Il est puissant, très puissant. Ils le sont tous les deux.

Il l’a prise dans ses bras, et là j’ai senti tout ce qu’il y avait entre eux. Un lien indéfectible, un amour infini. Et puis l'homme a posé ses mains sur le ventre rond de la femme. Alors j’ai compris que peut-être la fin du monde n’aura pas lieu. Que nos sauveurs existent bel et bien.

Je voudrais tellement y croire ! Je ne supporte plus de voir toutes ces horreurs. »

« Cahier 17. Texte 7.

J’ai bien cru que la vision de cette nuit serait identique à celle du texte 3. Malheureusement, cette version, qui à mon avis est loin d’être la dernière, confirme mes pires craintes. Il n’y a pratiquement plus d’espoir possible.

La femme était sur la plage, exactement comme la fois précédente, toujours aussi belle. L’homme s’est approché, puis l’a enlacée, a posé ses mains sur le ventre (il était un peu plus gros, il me semble). Sauf que là, je ne pouvais distinguer le visage du type. Et puis, tout d’un coup, le soleil a disparu derrière un rideau de fumée. Terrorisée (et en même temps très en colère je crois) la femme a voulu se dégager mais l’homme la retenait fermement. Alors j’ai pu distinguer son visage. Un visage diabolique, des yeux sombres où brillaient des braises ardentes, un sourire féroce.

Le point de vue a ensuite changé. Comme si je m’élevais au-dessus du couple (ça s’appelle un travelling vertical au cinéma). Autour d’eux, la nature était luxuriante. Mais peu à peu, je me suis aperçu que la verdure se raréfiait pour faire place à un paysage plus rude qui a très vite tourné au chaos le plus total. Au-delà de cette oasis, j’ai vu une planète ravagée, brisée… morte. Plus trace d'aucun être vivant. Rien que les vestiges d'un monde qui était le nôtre autrefois. »

***

Adossé contre le sarcophage, Alec Bates ferme les yeux. Cette femme est la clé, il en est persuadé.

Mais la clé de quoi ? Peut-elle sauver le monde ou va-t-elle le précipiter vers sa destruction ?

Les chroniques de l'Apocalypse - « L'armée du Destin »

Emma L. ARCHER pour TROLL MAG INFINI-TEA

*

— Je comprends votre trouble, chère Janette. Comment Archer a-t-elle dégotté ce personnage fort intriguant ?

— Je crois que c’est grâce à ce gamin, vous savez, le jeune Ian Boissier qui recherche des super-héros sur la toile.

— Super-héros qui, nous l’aurons compris, sont les membres de l’Organisation Éléments. Espérons qu’Archer ne nous fera plus attendre aussi longtemps avant son prochain article.

— J’en doute. Elle en a déjà un autre sur le feu. Faut dire qu’elle a trouvé un assistant hors pair. Un jeune stagiaire qui, m’a-t-on dit, est fort agréable de sa personne. Paraît-il qu’il a un petit c…

— Oui… bon… vous semblez bien plus éveillée tout d’un coup, chère Janette. Ne nous égarons point, il est temps de rendre l’antenne. À demain chers Troll-spectateurs et ne trollez pas trop devant l'écran !

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