Acte 35 : LES ICÔNES DU PÉCHÉ - chapitre neuvième

6 minutes de lecture

— Chalut les Troll-spectateurs ! Chalut ma p’tite Janette !

— Je vous trouve bien guilleret, Marcel

— Oui, c’est mon anniversaire aujourd’hui !

— Oh ! Formidable ! Joyeux anniversaire, cher Marcel. Et que prévoyez-vous pour fêter ça ?

— Une soirée biling avec mes amis.

— Bowling vous voulez dire.

— Non, biling. C’est comme le bowling mais avec des billes. L’avantage, c’est que ça prend moins de place et ça coûte moins cher. À notre époque, un sou est un sou.

— Oui… euh… ça m’a l’air fort intéressant. Pourquoi ne pas commencer à fêter ça avec le nouvel article de notre pigiste ?

— Chère Janette, vous voudriez venir à ma soir…

— S’il vous plaît, régie. On enchaîne.

*

Complot

— Charlie, t’es là ?

Pas de réponse. Au comble de l’excitation, le jeune Ian Boissier ne peut contenir sa frustration. Depuis plus de dix minutes, il tente de joindre sa cousine, via leur messagerie instantanée.

— Charlie ! Réponds ! Ça urge !

Le garçon réfléchit un instant. Un sourire espiègle se dessine sur son visage.

— Je te tiens, lâcheuse ! murmure-t-il.

Quelques saisies plus tard, un bruit strident retentit dans son casque. Ian éclate de rire. Il a réussi à déclencher l’alarme connectée de la maison de son oncle, à trois rues de là.

Le signal d’un appel vidéo clignote soudain sur l’écran. Charlie apparaît enfin devant son moniteur. Ses longs cheveux bruns encadrent un visage souriant aux joues rebondies piquetées de taches de son. De grandes lunettes rondes à monture métallique encerclent ses malicieux yeux verts.

— T’es dingue ou quoi ? Papa va être furax quand il saura que t’as piraté son alarme.

— Tonton ne le saura pas. Il mettra ça sur le compte d’un dysfonctionnement.

— Et si je lui dis que c’est toi ?

— Tu lui diras rien.

— T’es bien sûr de toi.

Ian prend un air mystérieux.

— Je suis ton seul ami. Et puis surtout…

Fronçant les sourcils d’un air conspirateur, il laisse planer un silence théâtral.

— Accouche microbe !

— J’ai un truc qui déchire ! J’ai l’intention de le partager avec toi. Mais tu dois d’abord promettre de ne rien dire pour l’alarme.

Bien sûr que Charlie ne dira rien. Malgré leurs trois ans d’écart, les cousins ont bâti leur complicité autour de leurs passions communes pour les jeux en ligne et les bandes-dessinées. Cela suffit à Ian. Renfermé, le collégien se sent mal à l'aise en présence de ses semblables. Aux parties de foot et courses de vélo, il préfère s’isoler dans sa bulle où l’attendent ses copains virtuels ainsi que ses héros favoris. Là, au moins, les disputes incessantes de ses parents ne l'atteignent pas.

— OK.

— Non, pas OK. Promets !

Intriguée, l’adolescente capitule.

— Hier, après t’avoir dit ce qui s’est passé pendant la rando...

— Quoi donc ? Oh, ce que tu m'as raconté au moins cinquante fois !

— Moque-toi, sorcière ! Bon, j’ai publié un post sur mon blog. Après j’ai dû sortir de ma chambre, à peine cinq minutes. Quand je suis revenu, mon post avait disparu.

— C’est ça ton « truc qui déchire » ? T’as fait une fausse manip ?

— Mais non, bourrique ! Tu penses bien que j’ai vérifié. Dans le doute, j’ai quand même republié mon post. Et bim ! Il est resté moins de trois minutes. J’ai rien vu venir. On a supprimé mes publications.

— Qui ça, « on » ?

— Bah je sais pas vraiment, mais j’ai ma petite idée. Alors j’ai commencé à fouiller un peu partout sur le net. J’ai essayé plein de mots-clés en rapport avec l’apparition de la montagne. Et j’ai trouvé des tas de liens. La plupart d’entre eux n’avaient rien à voir mais d’autres ont attiré mon attention. Ils répondaient à un même ensemble de mots clés. Je suis sûr que ce sont des gens qui ont vu la même chose que moi. Sauf qu’il y a un problème.

Impatiente, Charlie gesticule sur sa chaise.

— Tous les liens sont morts. Désactivés. Tous.

La cousine de Ian paraît tout d’abord profondément déçue. Puis son regard s’illumine. Satisfait, l'adolescent enchaîne :

— T’as pigé ?

— Tu parles que j’ai pigé. Si tous les posts sur le sujet sont supprimés c’est que quelqu’un ne veut pas qu’on les lise.

— Quelqu’un de vachement discret. Pour l’instant, personne n’a pu identifier l’IP qui a fait les suppressions.

La jeune fille se fige. Ian baisse les yeux.

Ça y est, je vais m’en prendre plein la poire.

— C’est qui « personne » ?

Cinq… Quatre… Trois… Deux….

— Ian ? T’as encore demandé à Benji de t’aider ?

À contrecœur, Ian acquiesce.

— Ouais. Il cherche encore.

— Franchement, tu exagères. Il est complètement barje ce mec. À force de passer son temps sur le dark net, il va finir dans une autre dimension. Benji est un petit génie mais y’a quand même des connexions qui se font pas dans sa tête. Comment on peut redoubler deux fois avec un cerveau comme le sien ? En plus, ses services sont pas gratuits. Tu vas encore te taper ses devoirs pendant un mois.

Bien qu’étant dans la même classe, Ian et Benji ne se parlent qu’au travers de leurs ordinateurs. Enfant brillant, la fainéantise scolaire de ce dernier n’a d’égale que sa frénésie informatique. En échange de quelques productions écrites, Ian a amassé une collection numérique hors normes sur l’univers Division F.A.S.V, sa bande dessinée favorite. À part l’intégrale des publications, il possède des planches inédites, des scénarios et croquis signés de son auteur fétiche, ReverC. Jusqu’à Benji, ces documents se trouvaient profondément enfouis dans les coins sombres du net. Charlie comprend son intérêt mais voit d’un mauvais œil ces échanges entre son cousin et ce garçon à la moralité douteuse.

— Pas de devoirs sur ce coup, la rassure Ian.

— Ah bon et pourquoi ?

— Benji trouve ça trop louche lui aussi. Je crois qu’il prend ça comme un challenge : débusquer la mouche dans la toile.

Charlie cligne des yeux plusieurs fois. Signe de grande contrariété.

— T’emballe pas. P’têt bien que t’as attiré l’attention de quelqu’un qui voudra te faire taire si t’insistes.

Ian sent des picotements de crainte mêlée d’excitation. Sa voix monte dans les aigus, se précipite.

— Justement, si quelqu’un veut me clouer le bec, c’est qu’il a un truc à cacher. Moi, j’te parie que les super-héros existent. Sérieux, tu l’as pas vue cette fille ! Elle a arrêté l’effondrement de la montagne. Et cette espèce de halo jaune qui l'enveloppait. C’était trop puissant ! Elle a tendu les mains comme pour invoquer un pouvoir. En plus c'était une Japonaise. Trop belle ! Et pouf ! Disparue, comme téléportée.

— Tu te répètes, le gnome.

L'ignorant, le garçon continue sur sa lancée.

— J’te parie qu’il y a un fond de vérité dans Division F.A.S.V . Peut-être que ReverC a été témoin de quelque chose lui aussi. Ou alors il a eu accès à des documents top secrets.

— Calme-toi microbe. Tu crois vraiment que l’O.N.U a une unité spéciale de super-héros qui se téléportent partout dans le monde ? C’est qu’une bande dessinée.

— Il y a toujours une part de vérité dans les histoires.

Charlie semble réfléchir un instant. Ian lui laisse le temps. Il désire creuser encore, mais pas si elle désapprouve. Plus que tout, le jeune garçon souhaite prouver l’existence de son héroïne. Cependant, si sa cousine refuse de suivre par crainte des conséquences, il réfléchira à deux fois avant de continuer les recherches. Finalement, elle prend une grande inspiration.

— D’accord j’en suis. Mais on va y aller tranquille. Toi et moi, on ne publie rien et on ne fait aucune recherche. Benji va s'occuper de tout. Lui, il se fera pas choper. On va laisser venir. Si un post apparaît, on aura peut-être le temps de le consulter ou d’en faire une copie avant que quelqu’un le supprime. En attendant, si ce taré veut continuer à chercher sur le dark net qui est derrière ces suppressions, qu’il le fasse. Tant qu’il reste chez lui, j’ai pas de problème avec ça. Promets-moi de ne pas t’impatienter. S’il y a quelque chose, on finira par tomber dessus.

Ian ressent un immense soulagement. Reconnaissant, il promet. Au fond de lui, il sait que c’est le début d’une grande aventure.

Les chroniques de l'Apocalypse - « L'armée du Destin »

Emma L. ARCHER pour TROLL MAG INFINI-TEA

*

— Il est tenace ce petit, vous ne trouvez pas, cher Marcel.

— Si, tout à fait. Et sinon, pour la soirée biling… ?

— Nom d’un canard déplumé, je viens de me rappeler que je n’ai plus de thé. Je dois filer chez mon fournisseur de ce pas. À demain, Marcel. À la semaine prochaine chers Troll-spectateurs et ne trollez pas trop devant l'écran !

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