Chapitre 27

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Éléonore en avait beaucoup voulu à Natasha d’avoir détruit la relation de sa meilleure amie. Quand cette dernière lui avait demandé pardon, la voyageuse avait d’abord tenté de garder ses distances. Magnanime, elle l’avait finalement laissée s’exprimer.

D’abord froide et réticente, les arguments de sa camarade avaient fini par la convaincre, malgré elle, comprenant qu’il s’agissait d’un accident, une erreur qu’elle semblait beaucoup regretter. La voyageuse avait finalement décidé de l’absoudre, non sans la mettre en garde : leur relation ne serait probablement plus la même, dorénavant.

Les deux étudiantes, frissonnant encore de froid, frappèrent à la porte de Solène. Elles avaient initialement prévu de se retrouver au parc Longchamp, leur endroit préféré, mais la pluie avait mis son veto. Éléonore avait arrangé une rencontre entre ses deux amies afin de crever l’abcès et régler ce différend qui lui pesait.

La brune, qui connaissait bien la psychologue, était confiante : si Natasha lui expliquait tout comme il le fallait, Solène l’écouterait en dépit de sa rancœur. Très empathique, la germanophone l’analyserait naturellement et son ouverture d’esprit l’amènerait à lui pardonner cet égarement.

Celle-ci apparut derrière le battant et les laissa entrer. Froide, elle les invita à s’asseoir sur son lit et les y rejoignit d’un pas tranquille. Encouragée par Éléonore, Natasha se jeta vite à l’eau, la gorge nouée par l’angoisse :

– Je sais que tu m’en veux beaucoup, Solène, mais… je te demande pardon… C’était un accident : je ne savais pas que Nicolas était en couple, et encore moins avec toi…

– Pourtant, tu l’as déjà rencontré chez Padraeg, objecta Solène. Et vous ne parlez jamais, avec Éléonore ?

– Oui, mais on ne se croise pas souvent et on parle surtout de nos études et des mecs… Je n’ai jamais fait attention à lui aux soirées. Je me rappelle à peine qui il y avait à Halloween… Quand j’ai rencontré Nicolas sur le Vieux Port, je ne le connaissais ni d’Ève, ni d’Adam. Un mec lambda qui me faisait passer du bon temps. Pour être franche, j’ai accroché tout de suite.

Pendant que Natasha parlait, Éléonore examinait Solène, qui demeurait muette. Son visage s’était légèrement renfrogné lorsque la fautive lui avait parlé de Nicolas avec des mots qui lui rappelaient son emphase des débuts. Mais la psychologue continuait d’écouter attentivement ses explications.

– Quand Éléonore m’a pourrie à cause de cette histoire, je me suis sentie très mal… J’ai tout de suite voulu te voir pour m’excuser, mais je n’ai pas osé… J’avais peur de t’affronter, toi et le regard des autres… Je me doute que pour tout le monde, je suis la fautive, la traînée, la briseuse de couple, la fille facile… Mais je n’avais pas envie d’en avoir la confirmation… Alors j’ai lâchement renoncé. Mais comme je ne supportais pas d’avoir perdu Éléonore, je me suis confiée à elle.

La jeune femme observa Solène, qui restait impassible et silencieuse. Elle déglutit.

– Je te demande pardon… articula-t-elle.

Longtemps immobile, la psychologue finit par fermer les yeux, songeuse, le cœur furieux. Un trait chaud glissa sur sa joue, qu’elle essuya distraitement.

– J’aimerais juste savoir une chose… souffla-t-elle.

Natasha haussa les sourcils et eut envie de disparaître quand la germanophone se tourna vers elle.

– Si tu avais su qui il était… tu aurais résisté ? Sois honnête avec moi.

L’électricienne, inquiète, se tourna vers Éléonore, qui, d’un regard, lui conseilla la franchise.

Jusqu’au bout.

Elle hésita encore avant de répondre :

– Je n’en sais rien. En tout cas, j’aurais essayé. Je lui aurais dit non, bien évidemment. Mais Nicolas est quelqu’un de vraiment spécial : il ne laisse pas indifférent. Dans ce cas-là, je l’aurais repoussé, mais j’aurais peut-être quand même craqué s’il était revenu à la charge…

Encore un silence. Natasha ferma les yeux et poussa un profond soupir, exténuée par sa tension nerveuse. Éléonore ne disait rien non plus, attendant seulement la réaction de Solène.

– Tu es heureuse, dans ta vie ? lui demanda finalement cette dernière.

Surprise, l’électricienne essuya ses larmes.

– Oui… Pourquoi ?

– Ça se voit rien qu’en te regardant. Et quand tu parles, c’est encore pire : il suffit de t’entendre pour savoir que quelque chose cloche. Est-ce que c’est la seule raison pour laquelle tu aurais cédé à ses avances ?

– Non… bien sûr… je…

Elle s’interrompit.

– Le sexe est ton péché mignon, pas vrai ?

Embarrassée, Natasha hocha la tête.

– T’as pas à avoir honte, c’est humain. Mais dans ton cas, c’est particulier. Je ne te connais pas vraiment, mais je peux te dire cash que le sexe est ta manière de compenser un manque dans ta vie qui te fait beaucoup souffrir.

– « Compenser »… ?

– La compensation. C’est un terme lié au concept du « sentiment d’infériorité » développé par Alfred Adler. Ça consiste à combler un manque dans notre vie par un moyen quelconque. Dans ton cas, j’ai l’impression que la concupiscence est ta manière inconsciente de combler ce vide dans ta vie.

Éléonore, qui écoutait leur conversation, eut une moue impressionnée. Solène ne connaissait pas ce manque chez Natasha, mais elle avait touché juste. Elle se rappelait très bien la conversation qu’elles avaient eue début octobre.

Après un appel téléphonique de ses parents et surprise par la relation fusionnelle qu’elle partageait avec eux, elle s’était intéressée à sa vie de famille. Natasha lui raconta que, née de mère inconnue, elle avait été adoptée. Cela avait provoqué des crises d’identité à l’adolescence, dans lesquelles ses parents adoptifs l’avaient accompagnée jusqu’au bout. Quand bien même lui avaient-ils dit que, l’ayant adoptée, ils l’avaient choisie, elle, parmi d’autres enfants, le fait de ne jamais connaître ses parents biologiques l’attristait encore aujourd’hui. Mal à l’aise, Éléonore pour changer de sujet, l’avait invitée à la soirée Halloween.

Cependant, alors que Solène ignorait tout cela, son flair avait encore fait mouche. Prouesse qui consolidait sa façon de la regarder : cette fille l’impressionnerait toujours.

– J’espère pour toi que tu arriveras à trouver le bonheur malgré cette lacune, conclut Solène.

Elle la regarda dans les yeux. Vit sa stupeur.

Un sourire. Encore marqué par la douleur.

– Merci pour ta sincérité, Natasha. Je te pardonne.

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