Chapitre 24

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Après avoir entendu toquer, Tristan, vêtu d’un pull en laine, alla ouvrir à Patrice, qui attendait sur la terrasse entourée par la neige. La fraîcheur nivale du soir emplit délicieusement ses poumons et l’air qui caressait son visage le fit frissonner.

– Entre, dit-il simplement.

Le celte s’exécuta et apparut dans le salon, où Solène, Pascal et Frédéric, réunis autour des amuse-gueule, le saluèrent.

Le celte observa les décorations du salon. Dans un coin, au-dessus de la crèche, trônait fièrement l’imposant sapin richement décoré. La façade de la cheminée présentait un grand « Joyeux Noël » rouge agrémenté d’un bonhomme de neige, un traîneau et quelques flocons, qui garnissaient également les murs du salon. La fenêtre donnant sur le jardin brillait grâce à la guirlande lumineuse sertie de petites ampoules, sans oublier le plafond qui était couvert d’étoiles fluorescentes.

– Belle déco, commenta-t-il. Bon, ça ne vaut pas encore celle de mes parents à la maison, mais je reconnais qu’il y a du potentiel.

– Tu peux aller poser tes affaires dans ma chambre, lui indiqua Tristan sans en tenir compte. Tu te rappelles où elle est ?

– Oui. Merci.

Pendant que l’Irlandais s’y rendait, Tristan rejoignit ses invités autour de l’apéritif, dans lequel Solène continuait de piocher sans le regarder.

Son œil, plus aiguisé qu’avant, notait un léger changement dans son comportement. Son visage, déjà peu à l’aise en début de soirée, venait de perdre ses derniers éclats. Il ressentait également une certaine tension dans ses gestes. Était-ce Patrice qui la mettait dans cet état ? Pourquoi ? Sachant que c’était elle qui avait convaincu Tristan, alors indécis, de l’inviter… Était-ce sa propre attitude envers lui qui la gênait autant ? Pourtant, il se trouvait très courtois avec lui, et au prix d’un gros effort. Ses limites étaient atteintes.

À son retour, Patrice prit place à côté de Pascal et Frédéric, à l’opposé de Solène. Alors, Tristan remercia ses invités d’être venus et tous trinquèrent à sa vingtième année.

– Alors, Tristan ? fit Pascal. Ça fait quoi d’être né un 24 décembre ?

– Perso, je m’y suis habitué, répondit le jeune homme. Au début, ça me dégoûtait, d’autant plus que mes parents ne m’offraient que les cadeaux de Noël. Mais ensuite, ils ont trouvé un compromis et m’ont offert un cadeau pour chaque événement. Puis, en grandissant, comme je demandais de moins en moins de choses, seulement de l’argent à Noël et un radiomètre de Crookes pour mon anniversaire. Et ça me suffit amplement. Mais tant qu’on pense aussi à moi en parlant du 24 décembre, ça me gêne plus.

– Ah, d’accord, comprit Frédéric. C’est pour ça que tu nous as précisé de venir sans cadeau ? Parce qu’avant de venir, je savais plus où me foutre, moi. J’avais peur d’être le seul clampin à pas avoir de cadeau pour toi. J’ai même failli en prendre un, du coup.

– Franchement, ça n’aurait pas été la peine. D’autant que, cette année, j’ai un vrai cadeau, unique et sans égal…

Il tourna la tête vers Solène et lui prit la main. Celle-ci lui sourit timidement et lui donna son baiser. Frédéric, d’humeur festive, leva son verre pour leur couple et tous trinquèrent une deuxième fois.

Puis, on passa au repas. Tristan servit les pâtes ainsi que les steaks hachés, prit soin de poser son nouveau radiomètre au milieu de la table et prit place à son tour.

– T’en es fier, de ton bidule, hein ! rit Frédéric.

– Un peu ! J’en ai toute une collection ! Tu veux la voir ?

– Non, merci. Tu m’aurais parlé de jeux vidéo, ça aurait été différent. Mais des boules de cristal à hélice… voilà, quoi. Je suis pas voyant, moi.

Pascal fut pris d’un rire, bientôt suivi de Solène et Patrice, devant Tristan qui, froissé, objecta que « c’était bien plus que des boules de cristal à hélice ». Frédéric se saisit de l’objet et y apposa ses mains en le regardant attentivement. Alors qu’il demandait ce qui allait lui arriver dans un futur proche, les pales se mirent à bouger lentement.

– Bon… le temps qu’il charge, moi, je bouffe.

Il le reposa et le reste du repas tourna autour des radiomètres de Tristan, auxquels Pascal s’intéressa. Le jeune homme raconta notamment s’en faire offrir un tous les ans depuis neuf ans.

Patrice et Solène n’intervinrent pas une seule fois, s’échangeant juste quelques regards gênés. La jeune femme percevait bien le malaise de l’Irlandais, qui se sentait de trop et attendait impatiemment que ça se termine. Elle aussi trouvait l’ambiance de cette soirée d’anniversaire plutôt déplaisante. Un peu trop tendue à son goût. Tristan s’efforçait de le cacher et ses deux camarades rattrapaient le coup comme ils le pouvaient.

Au bout d’une heure, tout le monde quitta la table. L’hôte amena un jeu de société qui les occupa durant le reste de la soirée, pendant que Pascal assurait l’ambiance musicale avec sa guitare. Le soin qu’il prit à jouer surtout des musiques de Rammstein remonta le moral de Solène et amena même cette dernière à l’accompagner au chant sur certaines d’entre elles. Frédéric échangea un regard avec l’adolescent, mais demeura muet, se contentant d’esquisser un sourire énigmatique.

On dépassa minuit ; la fatigue se fit sentir. Pascal posa son instrument et Patrice, à bout de patience, cessa de jouer. Lorsque Frédéric et Solène s’arrêtèrent enfin, Tristan se résolut à ranger le jeu et leur désigna leur chambre.

Alors qu’il était enfin seul avec Solène dans la sienne, un message de Patrice l’empêcha d’en profiter tout de suite. Le jeune homme se rendit auprès de lui malgré sa contrariété, et le trouva sur le lit, encore habillé, la mine sérieuse. Le scientifique devina instantanément l’objet de cette entrevue.

– Tristan… débuta le traducteur, j’aimerais qu’on parle…

– Bah… Tu vois, je suis là. Alors, dis ce que t’as à me dire vite fait, que j’aille me coucher. Y en a qui ont sommeil, ici.

Le bilingue se leva et s’approcha de lui calmement.

– Il serait temps d’arrêter de se faire la gueule, non ? Enfin… que tu arrêtes de me faire la gueule. Solène et moi, on a couché ensemble quand on ne s’était pas encore rencontré. C’est vraiment débile de m’en vouloir autant. Et puis, tu es avec elle, maintenant, t’es pas content ?

Tristan le fixa des yeux. Le visage encore renfrogné, il garda le silence pendant d’interminables secondes. Patrice allait soupirer quand il prit enfin une inspiration :

– Si, au contraire, je suis très content. C’est d’ailleurs pour ça que je t’ai invité. Pour te remercier de m’avoir aidé, car je t’en dois une et je le reconnais. Enfin… je t’en devais une. Maintenant, c’est fini. Tu peux imaginer toutes les excuses sous toutes les formes que tu veux… pour moi, t’existes plus. T’es plus mon pote. Donc, demain matin, on continuera la fête jusqu’à ce que tout le monde rentre chez soi, puis ce sera terminé. Tu n’entendras plus parler de moi et j’espère avoir le même honneur. Ne cherche plus à me contacter, après ça, d’accord ?

Patrice le scruta longuement, exaspéré.

– T’as senti, au moins, que Solène était mal à l’aise tout le long de la soirée ? Et je te parie ce que tu veux que tes potes ont ressenti la même chose. Que tu me fasses la gueule, d’accord. Je trouve ça débile, mais tant pis. Par contre, t’as bien vu que ça s’est ressenti sur l’ambiance, non ? Tu trouves que c’était l’éclate ? À refaire ? Honnêtement…

– Quoi ? Tu vas me reprocher de t’avoir invité, peut-être ? J’étais pas sûr de le faire et c’est finalement Solène qui m’a convaincu, tu vois. Perso, comme je te l’ai dit, ça me permet de t’exprimer ma gratitude. C’est tout.

– Je me fous de savoir grâce à qui je suis là, Tristan. Mais t’aurais au moins pu enterrer la hache de guerre entre nous juste pour ce soir, histoire de faire passer un bon moment à tout le monde ! Frédéric s’est même senti obligé de faire ses blagues nulles avec ton radiomètre pour mettre un peu d’ambiance ! T’as pas honte ?

– « S’est senti obligé » ? Parce que tu les connais, toi, mes potes ? Tu sais ce qu’ils ressentent, c’est ça ? Vas-y, éclaire donc ma lanterne, mon petit farfadet.

L’Irlandais ne répliqua pas. Tristan n’entendrait pas raison. Pas tant que ça viendrait de lui. Son jeu de mot cynique en référence à Jack’o’Lantern lui coupait, d’ailleurs, l’envie d’insister. Pire que tout, l’utilisation méprisante de son surnom que Solène était la seule à lui donner acheva de l’énerver.

– Passe une bonne nuit, conclut le jeune homme.

Il se retourna et quitta la pièce sans un regard en arrière pour rejoindre sa chambre. Ravi de retrouver Solène et l’étreindre, il déchanta en la voyant allongée dans le lit, tournant le dos à la porte… à lui.

Déçu, il se déshabilla et se glissa sous le drap à ses côtés, puis se rapprocha d’elle.

— Tu dors ? chuchota-t-il.

Pas de réponse. Pas un mouvement.

Résigné, il éteignit la lumière en soupirant et ne bougea plus. Patrice l’avait encore privé d’un moment privilégié avec elle. Son crochet du droit lui revint en mémoire… son seul regret fut de ne pas avoir frappé assez fort. Cet idiot l’aurait mérité.

Il tenta de se calmer pour s’endormir, mais n’y parvint pas avant longtemps.

D’ailleurs, il dormit mal.

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