Chapitre 21

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D’un geste machinal, le poing de Solène se ferma sur le sable frais pour le laisser s’échapper entre ses doigts au souffle du vent.

Au début, Éléonore s’était montrée perplexe devant sa proposition de se rendre à la plage des Catalans en plein automne, afin de varier les plaisirs. Le fait qu’elles seraient les seules à s’y rendre par ce temps inadéquat l’avait finalement convaincue.

Allongées sur le sable à la façon d’un taijitu[1], elles dégustaient silencieusement le moment présent. La douceur du vent, le chant de la mer qui cherchait à les rejoindre sans succès malgré l’élan du reflux. Si le parc Longchamp était un lieu apaisant, la plage avait aussi sa façon personnelle de rasséréner ses visiteurs.

Celle-ci fantasmait les vacances prochaines et les projets que leur liberté allait leur permettre de mener à bien. La brune lui confia d’un ton distrait avoir prévu de faire un tour en Grèce pour visiter les Cyclades, suscitant chez elle un élan d’envie.

— Tu as toujours de super projets, toi, nota-t-elle. Il faudra que tu me dresses une liste des pays que tu as visités, histoire que j’en prenne un peu de la graine.

Elle l’entendit réprimer un rire, puis tourna la tête dans sa direction. Intriguée, elle s’assit en tailleur pour la regarder. L’exploratrice n’était clairement pas détendue par l’atmosphère littorale. Son visage hurlait que quelque chose n’allait pas.

— Ça va ? T’as pas l’air bien…

— Non, ça va, t’inquiète.

— Éléonore… Pas à moi, s’il te plaît… Non seulement je suis ta meilleure amie, mais en plus je fais psycho. Tu devrais savoir que ça ne sert à rien d’essayer. Dis-moi ce qu’il se passe.

— Ça ne va pas te plaire…

Solène haussa les sourcils et inclina la tête sur le côté, curieuse. Une rupture ? Non, elle lui aurait parlé du garçon avant… Une mésaventure d’un soir ? Un désamour pour sa filière ? Tout était possible.

— Natasha m’a raconté un de ses coups d’une nuit.

— Ah, réagit la blonde. Et t’es jalouse, c’est ça ? Ou alors, ça te saoule et tu ne sais pas comment lui dire ?

— Non, c’est pas ça, le problème. C’est… Le problème, en fait, c’est le mec…

Solène gardait les yeux braqués sur elle. La future cartographe détourna son regard du sien, comme si elle se sentait fautive, et finit par tout lui répéter.

Natasha, qui lui avait fait faux bond alors qu’elles étaient censées réviser ensemble, lui avait avoué avoir passé la nuit avec un beau mâle rencontré par hasard sur le Vieux Port. Un garçon bizarre, ressemblant à un adolescent cyberdépendant. Derrière ce masque, elle avait finalement découvert un charme particulier auquel elle avait succombé bien volontiers.

La jeune blonde haussa les sourcils.

— Quoi ? Tu penses qu’elle a couché… avec Nicolas… ?

— Je sais pas. Elle n’a rien voulu me dire. Mais la description de son mec me perturbe.

La psychologue l’observa d’un air soucieux avant de chasser ses craintes.

Elle lui tendit finalement un sourire qu’elle voulut rassurant.

— Mais non, t’inquiète ! Des mecs comme Nicolas, y en a à la pelle à Marseille, j’en suis sûre ! C’est quelqu’un qui lui ressemblait un peu trop, voilà tout ! Nicolas m’aime et, au lit, ça se passe à merveille entre lui et moi. Ce n’est pas lui, t’en fais pas !

Éléonore la regarda, perplexe. Voyant qu’elle ne parviendrait pas à se dérider, Solène lui proposa de chercher refuge dans un bar pour se réchauffer, trouvant que le temps commençait à tourner…

***

Cette conversation repassait en boucle devant ses yeux. Elle relisait inlassablement le message de Nicolas annonçant sa venue, suite à sa demande expresse de venir chez elle, ce soir.

Sur le coup, elle avait rejeté les craintes d’Éléonore. Mais, le temps faisant son travail, la ressemblance avait fini par la troubler, elle aussi. Après tout, elle n’avait pas parlé avec Natasha. Ses informations ne venaient que de l’interprétation d’Éléonore, qui s’était, en outre, dédouanée en insistant sur son incertitude.

On frappa à la porte.

Elle se leva d’un bond et, la poitrine en feu, les nerfs tendus, alla ouvrir.

Nicolas s’afficha sur le seuil de la porte et l’embrassa aussitôt.

– Salut, kokhana. Tu vas bien ?

– Ça va. Et toi ?

– Je suis éclaté… Probablement parce qu’il ne nous reste que demain avant les vacances. J’ai l’impression d’être dans Un jour sans fin, ajouta-t-il en riant.

Répondant par un sourire tendu, elle le laissa entrer.

– Alors ? Pourquoi tu voulais me voir ? Je t’ai manqué, c’est ça ? C’est mignon…

– Oui. Et moi, je t’ai manqué ?

Il haussa les sourcils, étonné.

– Bah, évidemment ! Pourquoi ?

– Pourquoi t’as décliné notre dernier rendez-vous, alors ?

Le visage du slave se transforma et sa gorge s’assécha. Pris au dépourvu, il n’avait même pas réfléchi à une parade pour expliquer ce geste qui pouvait effectivement paraître surprenant.

– Eh bien… Je tenais à avancer dans mes révisions. C’est important, tu sais…

– Tu révisais quoi ? L’anatomie féminine ?

Le ton tranchant de la jeune étudiante fit frémir Nicolas qui sentit ses joues chauffer.

La germanophone sentait d’ici sa tension grimper. Ses lèvres commencèrent à se tordre : visiblement, Éléonore avait vu juste.

Nicolas ouvrit la bouche…

– Cherche pas, Éléonore m’a raconté. Natasha s’en est vantée auprès d’elle.

Malgré son embarras si cela arrivait, elle espérait de tout son être que Nicolas fût innocent. Qu’il ne sût même pas qui était Natasha…

Qu’il soit blessé par sa suspicion…

– On l’a fait juste une fois… avoua-t-il d’une voix tremblante, un accid…

La claque le fit tomber en arrière, la joue en feu, les yeux brouillés, sa conscience vacillante. Sa lucidité revenue, il aperçut une furie. Le visage déformé par la rage, son regard aurait tenu un troupeau de rhinocéros furieux en respect.

– … Dégage… articula-t-elle.

Nicolas la fixa, éberlué.

– Mais… attends, je…

– CASSE-TOI !

Devant son immobilité, elle fonça dans la cuisine. Ce ne fut que lorsqu’il l’entendit fouiller dans l’argenterie que l’ukrainophone bondit du sol.

Solène ressortit en trombe de la cuisine, un couteau à la main, mais eut à peine le temps de le voir se sauver par la porte ouverte. Le poing serré sur le manche, elle donna un violent coup à la porte qui se referma dans un tonnerre effroyable.

Les dents serrées, la gorge nouée, le cœur meurtri, elle lâcha le couteau et tituba jusqu’au pied de son lit. Ses jambes fondirent sous son corps et elle saisit son téléphone resté sur la couette.

Éléonore ne s’était pas trompée. Encore une fois, elle s’était laissé envoûter par un queutard obsédé par son propre plaisir. Dire qu’elle avait prévu de le présenter à sa famille à l’occasion de l’anniversaire de son jeune frère… Comme de coutume, son copain avait tout gâché…

Son pouce fouilla son répertoire alors que sa vue, brûlante, se brouillait. Des spasmes, incontrôlables, agitèrent sa bouche et son thorax se contracta. Elle se laissa glisser en position fœtale sur sa moquette, noyée dans ses sanglots.

Anéantie.

[1] Symbole chinois représentant le yin et le yang.

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