Chapitre 13

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Voilà. Il allait enfin la revoir. Plus de quatre mois de patience avaient été nécessaires pour ça, mais Tristan allait se retrouver seul à seule avec Solène.

Quelle joie ! Alors qu’il commençait à avoir des doutes, à penser qu’elle voulait l’écarter de sa vie. Alors qu’il désespérait de pouvoir un jour gagner ses faveurs.

Enfin, elle avait trouvé du temps à lui consacrer. Peu après la soirée, qui plus est. C’était le surlendemain, aujourd’hui. Et puis, comme par mansuétude, la pluie n’avait martelé le sol que ce matin pour les laisser en paix durant le reste de la journée.

Le jeune homme avait demandé à Solène de le rejoindre près de l’arbre de l’espérance du parc du 26e Centenaire, lieu de leur rendez-vous. Il observa la fontaine au pied de la sculpture sylvestre pour se distraire, ne s’en détachant par intermittence que pour guetter l’arrivée de sa belle.

L’idée de bientôt la revoir en tête à tête le faisait sourire bêtement dans sa contemplation. Les gens qui circulaient autour de lui l’indifféraient ; le brouhaha de leurs conversations l’atteignait à peine. Seules cette odeur de pétrichor et l’humidité environnante le maintenaient dans la réalité.

Une bouffée d’optimisme le fit sourire à la pensée de ce soir-là, où il avait broyé du noir avec son jouet scientifique. Que Solène eût accepté de le revoir lui redonnait confiance et la menace représentée par Nicolas lui paraissait soudainement amoindrie.

À l’issue de quelques minutes, il jeta un nouveau coup d’œil aux alentours. La vue de l’étudiante qui progressait gracieusement dans sa direction répandit une chaleur allègre dans sa poitrine. Guilleret, il vint à sa rencontre pour lui faire la bise.

L’air sincèrement ravi de le revoir qui se lisait sur son joli minois étira un peu plus son sourire. Son alacrité lui fit même oublier l’attente, qui avait été longue. Aussi la rassura-t-il : il venait d’arriver.

– Tu es de bonne humeur, aujourd’hui, remarqua-t-elle, ça fait plaisir !

– T’y es pour beaucoup ! Ça m’a manqué, ces petits moments en tête à tête, toi et moi.

Elle caressa son visage en lui assurant ressentir la même chose et entama la promenade. Galvanisé, Tristan l’accompagna en direction de l’allée encadrée de deux rangées d’arbres. Sa bonne humeur atteignit de nouveaux sommets lorsque son élue déclara qu’il avait bien fait de lui proposer ce parc, qui la changeait de son traditionnel palais Longchamp.

– Padraeg m’a appris qu’il comptait ralentir sur les soirées, lui raconta-t-elle, à cause des partiels. C’est dommage. C’est tout à fait normal, et je l’approuve, mais c’est dommage quand même.

– C’est sûr. À un moment donné, il faut bien penser à l’avenir.

– Exactement !

Les deux étudiants parcoururent l’allée dans un silence souriant, bien que Tristan fût encore frustré de ne pas trouver de sujet de discussion pertinent.

– C’était vraiment sympa, la soirée de Padraeg, mardi ! relança la jeune femme. Comme toujours, en fait. Il est vraiment bon en soirées. Ça se voit qu’il a l’habitude.

– Oui. C’est un peu pour ça que je viens à chaque fois.

– Tu viens aussi pour la bouffe, avoue !

Le jeune physicien acquiesça dans un petit rire malgré sa forte envie d’ajouter qu’il venait aussi, en très grande partie, pour la voir. Sachant que les soirées de Patrice étaient, ces temps-ci, les seules occasions pour lui de la rencontrer.

– Comme tout le monde ! se contenta-t-il d’affirmer.

– Pas faux, reconnut-elle. En tout cas, celle-là était particulièrement bonne. Je pense que Pascal y est pour beaucoup, si tu veux mon avis.

– Ah bon ?

– Oh oui ! Les jeux, c’était très sympa, mais dès que ton pote a sorti la guitare, la soirée a totalement changé. Il joue super bien, le bougre ! Et puis, quel répertoire il a… Il m’a mise sur le cul. Je ne pensais pas qu’il serait capable de me jouer du Rammstein.

– Ah, ça… Oui, Pascal est très doué en guitare. Il m’a confié jouer jusqu’à trois heures par jour, en moyenne. Et pour lui, c’est un minimum : sans les études et le voisinage nerveux, il gratterait au moins deux fois plus. Un vrai passionné.

Solène eut une mimique admirative.

– Et toi, tu n’as jamais songé à t’y mettre ? lui demanda-t-elle.

– Me mettre à quoi ?

– À la guitare. Ça ne t’intéresse pas ?

Il haussa les épaules.

– Là, maintenant, non. C’est pas vraiment quelque chose qui me fait rêver.

– T’as tort. Toi qui aimerais bien être en couple, ça t’aiderait beaucoup. Les guitaristes sont des aimants à filles, c’est connu. Si tu jouais de la guitare, tu en tomberais beaucoup !

– Ouais, t’as sans doute raison, dit-il d’un air distrait avant de songer : Mais, moi, c’est toi que je veux. Je m’en fous, des autres.

– Bien sûr que j’ai raison. Comme d’habitude !

Ils échangèrent un petit rire et Tristan continua d’observer le paysage.

– En tout cas, ce serait vraiment bien que tes amis reviennent aux prochaines soirées, je trouve, poursuivit-elle. Ils apportent un petit quelque chose. Pascal met l’ambiance, mais Frédéric aussi a ce truc qui fait qu’on l’apprécie. J’aime bien son humour beauf. En général, ça me saoule, mais le sien a quelque chose d’efficace. Il est bien manié.

– Ah bon, tu trouves ? réagit Tristan, étonné.

Elle, qui savait bien lire les gens, avait trouvé Frédéric drôle et son humour efficace ? Avait-elle au moins saisi que ses blagues exprimaient une façon de penser authentique qui le définissait ?

– Oui. C’est le genre d’humour qu’il faut savoir doser. Et lui le fait très bien. C’est ce qui fait son charme. Après, ce n’est que mon avis, ça n’engage que moi. Les autres ne seront peut-être pas d’accord du tout. Mais, de ce que j’ai vu, je n’ai pas été la seule à être réceptive.

Ben moi, déjà, je ne suis pas d’accord, songea-t-il en fixant le sol.

– Il est dans ta fac, lui aussi ? Tu ne nous en as pas parlé…

– Pas du tout. On l’a rencontré par hasard dans un cybercafé avec Pascal. On ne se fréquente pas tant que ça. Une ou deux fois par mois, à tout casser, tu vois.

La balade continua tranquillement. Sans qu’ils ne s’en fussent aperçus, ils avaient déjà atteint le Pavillon du Thé qui trônait au milieu du parc, au fond de l’allée centrale.

– J’aime pas trop Frédéric, je t’avoue, lui confia-t-il, direct. C’est Pascal qui l’a invité à la soirée Halloween. J’étais pas d’accord, au début, mais bon.

– C’est vrai ? s’étonna Solène. Il a vraiment l’air d’être un chic type, pourtant.

– Il a l’air, oui. Mais il n’est pas celui que tu penses être, crois-moi.

Solène l’observa attentivement, puis s’immobilisa pour planter son regard dans le sien, sérieuse.

– Toi, tu sais quelque chose… Il t’a dit ou fait un truc qui ne t’a pas plu, c’est ça ?

– Pas qu’un truc… Mais, en effet, ça m’a pas plu, quoique c’était pas spécialement contre moi…

Le jeune homme, intimidé par son regard, déglutit. Le visage rouge, ses mots se perdirent dans sa tête et, renonçant à développer sa pensée, il décida d’éluder le sujet :

– J’ai pas très envie d’en parler, aujourd’hui. Tu veux pas plutôt qu’on se pose quelque part pour que tu puisses me montrer les photos de ton séjour en Allemagne ? Ça fait un moment que j’ai envie de les voir.

Flattée par son intérêt, elle accepta. Frédéric et Pascal logés dans un coin de sa tête, elle sortit son téléphone et chercha un endroit où ils pourraient se mettre à l’aise.

Pendant que la jeune femme lui montrait ses photos en lui racontant, pour la plupart, l’histoire qui se cachait derrière, l’heure tournait. Les deux étudiants remarquèrent à peine le ciel s’assombrir. Lorsqu’elle consulta l’heure, Solène verrouilla son téléphone en déclarant qu’il leur fallait rentrer et laissa Tristan la raccompagner à sa résidence.

– Bon, je te dis à bientôt, mon Tristan, dit-elle. J’ai passé un super moment avec toi.

– Pareil pour moi ! Je suis content qu’on ait pu se voir ! Ça faisait longtemps !

Solène opina du chef et ils s’échangèrent deux bises. Tristan voulut en profiter pour s’approcher furtivement de ses lèvres, mais la jeune femme s’écarta doucement. Il réprima une moue de déception.

L’air de rien, elle lui tendit un sourire lumineux.

– Merci de m’avoir raccompagnée. Rentre bien chez toi. Envoie-moi un message pour me dire que tu es bien arrivé !

– Pas de souci, ce sera fait, lui assura-t-il avec un sourire forcé.

La fille de ses rêves disparut dans sa résidence et le jeune homme se retourna. Les mains dans les poches, la démarche lourde et traînante, il reprit le chemin de sa cité étudiante.

Peut-être Solène lui avait-elle refusé ses lèvres, ou bien n’avait-elle tout simplement pas compris ses intentions.

En tout cas, son échec lui laissait un arrière-goût amer dans la bouche.

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