Chapitre 12

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Tristan entra dans l’appartement de Patrice et vit Solène le rejoindre quelques secondes plus tard. Le sourire qu’elle lui adressa en s’enquérant de ses nouvelles le surprit, mais lui procura une chaleur agréable qui l’emplit d’optimisme.

– Contente de te revoir ! dit-elle.

Ravi d’entendre ça, il prit le temps de poser ses bouteilles sur la table avant d’aller saluer l’hôte, aux prises avec des pâtes dans la cuisine.

– Tout va comme tu veux, collègue ? fit celui-ci.

– Nickel ! Merci, mec.

L’Irlandais lui donna une tape sur l’épaule, satisfait par son ton enjoué, et l’invita à se mettre à l’aise. D’un ton plus complice, il lui recommanda également de profiter d’être seul avec Solène pour la « brancher ». Enthousiaste, Tristan engagea sans tarder la conversation avec l'étudiante.

Après lui avoir confirmé l’absence de Nicolas, il l’avait clairement vue ravaler sa déception. Il commençait à craindre de s’être fourvoyé à son sujet… mais au moins, ce soir, Tristan avait le champ libre. Avec cette nouvelle bonne humeur, Patrice lui faisait confiance pour faire retrouver le sourire à Solène.

En tout cas, leur conversation enjouée qui s’était terminée à l’instant sur un rendez-vous lui fit crier victoire silencieusement. La progression de son disciple l’épatait. Il le revoyait à l’époque du lycée, renfermé, maladivement timide et sans confiance en soi aucune. Aujourd’hui, la différence le frappait : plus confiant, plus à l’aise avec Solène, davantage souriant…

Un monde entre les deux.

La vue de Solène qui se levait pour ouvrir la porte à Éléonore l’arracha à ses pensées. Il quitta son poste le temps de saluer cette dernière, venue avec une tarte tropézienne qu’elle posa sur la table, ce qui ne manqua pas de faire saliver les trois amis.

– On sera beaucoup ? s’informa la géographe.

– Pas vraiment, non, répondit Solène. Il manque encore les collègues de Tristan avant qu’on soit au complet. D’ailleurs, il paraît qu’on aura même droit à une prestation musicale.

Enfin, Pascal et Frédéric arrivèrent juste au moment où le celte finissait ses pâtes. Tout le monde remarqua la housse en forme de guitare que le lusophone portait sur le dos. Devant l’intérêt soudain des deux femmes, modeste, il prétendit ne savoir jouer que quelques morceaux avec un niveau de maîtrise assez correct.

Le repas put commencer et se déroula dans la bonne humeur. Tous avaient, dans l’immédiat, hâte d’arriver enfin aux vacances d’hiver et, sur le long terme, d’avoir terminé les études. Frédéric leur répliqua, narquois, qu’une fois entrés sur le marché du travail, ils ne demanderont qu’à en ressortir et regretteront leurs années scolaires.

Cela amena Patrice, curieux, à s’intéresser à son travail ; opportuniste, l’Irlandais s’assura de pouvoir compter gratuitement sur ses services à l’avenir en cas d’incident technique. Frédéric, sur le ton de la plaisanterie, l’avertit qu’il demandait seulement quelques femmes en échange.

Tristan soupira discrètement. Pour le moment, le courant passait à merveille entre Frédéric et ses amis, mais il attendait de le voir révéler son vrai visage. Leur réaction serait délectable. Il estimait même que cette blague grivoise suffisait déjà amplement à s’en faire une idée. Par ailleurs, le fait que personne ne se soit déjà posé la question le médusait. En particulier Solène, qui, de son point de vue, était pourtant la mieux placée pour ce genre de chose.

Le repas arriva à son terme un peu plus tard. Une fois la table débarrassée et les pâtisseries mises à disposition, les heures suivantes furent consacrées aux jeux de société. Au bout d’un moment, Patrice décida de faire une revanche au Trivial Pursuit et s’allia avec Éléonore et Solène contre Tristan, Pascal et Frédéric. À la fin de la partie, qui dura une heure, Pascal fit gagner son équipe grâce à ses bonnes réponses.

– Pourquoi tu ne tentes pas ta chance à la télé ? lui avait demandé Éléonore, estomaquée.

– Pas envie de faire le guignol devant des millions de gens.

Tristan et Frédéric, sachant ce qu’il pensait réellement de l’univers télévisuel, échangèrent un sourire connivent.

La voyageuse, peu après minuit, fut la première à partir. Tristan continua d’envoyer des signes à Solène en se basant sur les conseils de Patrice, prodigués par messages. La tâche lui fut toutefois rendue compliquée par Pascal, qui saisissait la moindre occasion de lui parler ou de la taquiner.

À la fin d’une partie, celui-ci saisit sa guitare à la demande de Solène, dont la mélomanie refaisait surface. Ainsi se mit-il à divertir le groupe, interprétant chaque morceau qu’on lui demandait. Plus que sa vaste culture musicale, ce fut l’agilité de ses doigts, longs, qui les impressionna tous. Particularité physique dont il était fier, c’était l’une des premières choses qui avaient surpris Tristan chez lui. La longueur de ses doigts lui permettait notamment de jouer simultanément deux notes à sept frettes d’écart avec l’auriculaire et l’index.

– Tu t’en sors plutôt bien, nota la psychologue, pour quelqu’un qui « ne sait jouer que quelques morceaux avec un niveau assez correct » !

Devant le sourire gêné du musicien, Frédéric précisa à la jeune femme que l’adolescent était parfois « excessivement modeste, et même un peu trop ». La psychologue, aux anges, balaya ce détail et se laissa bercer par la musique de Pascal, dont le doigté l’étonnait.

En fermant les yeux, elle avait réellement l’impression d’entendre les morceaux joués sur son lecteur. Le rythme était respecté, les accords et les altérations reproduits avec un soin qui en disait long sur la passion de l’artiste. Son interprétation de Conquest of Paradise de Vangelis lui donna même un frisson dans le dos. Sa main dansa toute seule au milieu des notes pendant qu’elle fredonnait l’air originairement chanté par le chœur.

Le talent de Pascal finit par supplanter les jeux de société ; il les avait tous captivés. Même l’improvisation ne l’effrayait pas : Patrice lui avait demandé un morceau de Mary Black, une chanteuse chère à ses parents. Après avoir écouté la musique et appris rapidement la partition, le lusophone avait finalement su la jouer avec justesse. Le celte n’en était pas revenu.

Au bout de quelques heures, Solène fut la deuxième à rentrer chez elle, poussée par son début de fatigue. Pascal, après un clin d’œil à Tristan, posa son instrument pour la suivre dans le couloir. Il la retint quelques minutes, après quoi ils entendirent la porte se fermer. Le lusophone revint en brandissant discrètement son pouce en direction de Tristan. Le jeune homme arqua un sourcil, mais oublia ce geste quand la musique reprit.

Frédéric, dont les yeux commençaient à picoter, finit également par tirer sa révérence. Suivi, une vingtaine de minutes plus tard, par le guitariste.

Tristan et Patrice furent seuls avant 2h00 du matin. Devant l’air éreinté de son ami, l’anglophone lui proposa de dormir sur son canapé.

– Parce que, vu ta tronche, je doute que tes jambes suivent le rythme jusque chez toi, blagua-t-il.

Le scientifique hocha la tête en riant, reconnaissant. Il fit juste l’effort de se lever pour permettre à Patrice de déplier le clic-clac.

L’Irlandais avait bien envie de lui parler de Solène, surtout pour lui faire remarquer sa marge de progression… mais son état n’était pas propice à la discussion. D’ailleurs, il s’était déjà endormi.

Haussement d’épaules. Une autre fois. Rien ne pressait.

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