Chapitre 11

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Cette semaine finissait bien. L’air disputé entre la chaleur du soleil et la fraîcheur du vent formait un mélange agréable que Solène, en promenade au parc Longchamp avec Éléonore, sentait à travers ses vêtements.

Elle aurait seulement aimé que Nicolas pût se joindre à elles. Mais il avait sa vie, et elle n’en était pas le centre. Malgré tout, son refus l’avait déçue. Et sa meilleure amie le voyait.

– Tu m’as l’air vraiment ailleurs, s’inquiéta-t-elle. On dirait que tu fais la gueule. On t’a contrariée ?

– On peut dire ça, oui.

Son sourire forcé mit la puce à l’oreille de la brune.

– Dis-moi tout ! Tu attendais quelqu’un, non ? Quelqu’un qui n’est pas venu. Je me trompe ?

Lorsque Solène, sans répondre directement, détourna légèrement le regard en haussant les épaules, elle eut un sourire mi-joyeux, mi-taquin.

– Je le crois pas ! T’as rencontré quelqu’un ? C’est qui ?

– T’emballe pas trop, on ne sort pas ensemble…

– Mais ça ne saurait tarder. Ça se voit d’ici. Qui c’est, alors ?

– Non mais, de quoi je me mêle ! rit Solène. J’ai quand même le droit à ma vie privée, non ?

– Bah, c’est quoi le problème ? Entre femmes, on se dit tout, non ? Ça te gêne ?

– Non, c’est juste que… On est amis, voilà, c’est tout. Juste amis. Mais j’aime bien passer du temps avec lui, voilà.

– Mouais… Il est comment ? Beau gosse ? Ah, mais, attends… Ça me revient ! Tu n’avais pas un rencard avec le mec de la soirée ? Nicolas, je crois… C’est lui ?

Hésitante, Solène haussa les épaules sans répondre, ce qui procura un petit sourire à Éléonore.

– Bon, d’accord, j’arrête d’insister. Si t’as pas envie de raconter, y a pas de souci, je comprends.

– C’est pas que je veux pas ! Il n’y a juste rien à dire. On passe de super bons moments ensemble, il me fait me sentir bien… chaque fois que je le vois, je suis contente. Mais c’est tout. Je ne pensais pas m’attacher autant à lui, d’ailleurs, je suis un peu surprise. C’est-à-dire qu’il fait un peu gamin, au premier abord. J’adore sa personnalité. Il est cultivé, passionné, plein de joie de vivre… avec lui, j’apprends plein de choses. C’est une vraie machine, en plus : il m’a déjà récité par cœur le monologue de V pour Vendetta. En français et en anglais. Par contre, il a un gros défaut. Pas bien méchant, mais bon… il ne sait pas s’habiller.

– Ah. Bon, bah oublie-le, alors.

– T’as raison. T’as qu’à le prendre, alors.

Les deux femmes partagèrent un rire pendant quelques minutes, puis, Éléonore reprit tant bien que mal la discussion :

– Bon… Tu me le présentes quand ?

– Je ne sais pas. Quand il le voudra. J’aurais bien voulu le faire maintenant, mais bon… Il a sa vie.

– Aïe… c’est pas bon, ça. Assure-toi au moins qu’il soit pas déjà maqué, pour commencer.

Solène hésita légèrement. Sourit d’un air gêné.

– Sans vouloir être méchante… franchement, ça m’étonnerait…

Assis sur son lit, adossé à son oreiller, Tristan observa les quatre pales de sa sphère tourner entre ses mains, comme hypnotisé. Cela faisait, maintenant, peut-être une heure qu’il pratiquait son loisir préféré. Ou deux. Il ne s’en lassait jamais. Les jeux de Pascal et Frédéric étaient divertissants, certes… mais ce n’était pas le même genre.

Il décolla ses paumes du verre et la rotation ralentit progressivement. Après l’arrêt total, il appliqua derechef ses mains sur son radiomètre pour relancer le phénomène.

L’esprit tourmenté par Solène, Nicolas et Patrice, il soupira. La soirée Halloween le laissait frustré.

Pour autant, le fait de ne pas avoir pu lui parler plus longtemps n’était pas son souci majeur… Non… C’était plutôt Nicolas, chez qui il ne trouvait absolument rien de transcendant. Ce type était vraiment loin d’être un beau gosse, nul ne pouvait le nier. Avec ces lunettes, cette absence de coiffure et ce faciès moyen, Tristan avait du mal à l’imaginer en couple. À part avec une fille qui lui ressemblait… Patrice avait tenté de le rassurer, mais le visage de Solène ce soir-là l’empêchait de lui accorder une foi totale.

Il n’y comprenait rien… Comment ce type avait-il pu captiver Solène alors que lui, dont on avait vanté le physique plutôt avantageux à plusieurs reprises, n’arrivait jamais à séduire les femmes ? Et ce n’était pas tout… Pourquoi avait-il autant de mal, alors qu’il se démenait pour leur faire comprendre qu’il était, au contraire de ces écervelés qui les traînaient dans la boue, un garçon attentionné qui saurait prendre soin d’elles ? N’était-ce pas le genre de mec qu’elles recherchaient toutes ?

Pourtant, Solène, la première, lui avait fait ce genre de confidences, cet été, peu avant son envol pour Stuttgart. Et elle ne le regardait qu’à peine… n’avait l’air de le voir que comme un simple ami, un confident. Quelqu’un qu’elle pouvait abreuver ad libitum de ses chagrins d’amour et frustrations du quotidien.

C’était quelque chose qui le faisait grincer des dents : il était probablement l’un des seuls mecs à rechercher l’âme sœur, mais son abonnement à la « case ami » des filles semblait ne jamais avoir d’échéance.

Sans aller jusqu’à vouloir se marier, le fait que Solène fût celle qu’il lui fallait était une certitude. Il n’y avait qu’elle. Depuis plus de deux ans. Et le fait que madame ne partage pas ses attentes le déchirait.

Au lieu de cela, il l’avait vue, depuis qu’il la connaissait, se laisser séduire par toutes sortes de types douteux. Relations desquelles elle ressortait le plus souvent en larmes. Combien de fois l’avait-il vue se réfugier dans les bras d’Éléonore, désireux de la prendre dans ses bras, lui dire qu’il était là, prêt à lui offrir au moins un bouquet de fleurs par semaine pour la rendre heureuse…

Longtemps il s’était morfondu, certain qu’il resterait seul toute sa vie, sans avoir connu l’amour, ne serait-ce qu’une fois. Et ses soi-disant amis qui, à l’époque, n’avaient fait que s’amuser de sa situation et profiter de sa candeur pour lui donner de faux conseils…

Puis, Patrice était arrivé. Alors qu’il lisait un livre d’Erwin Schrödinger devant le lycée Saint-Charles pendant l’absence d’un enseignant, il l’avait entendu mener une conversation dans un anglais irréprochable au téléphone. Curieux, il avait tenté de l’aborder dans cette langue qu’il balbutiait ; amusé, Patrice lui avait aussitôt dit qu’il parlait français. Ce fut le début maladroit d’une longue amitié qui durait encore aujourd’hui. En véritable ami, et probablement fatigué de l’entendre se morfondre au sujet de Solène, l’Irlandais lui avait prodigué ses premiers vrais conseils en séduction.

Évidemment, jusque-là, rien n’avait fonctionné… Ce n’était pas faute d’appliquer tous ces conseils, parfois au mot près, pourtant. Ça ne faisait pas mouche. Et quand il réussissait à obtenir un numéro de téléphone… il ne revoyait jamais la fille. Patrice était toujours là pour le soutenir dans ces déboires, mais il lui était difficile de maintenir sa tête hors de l’eau. Et pendant ce temps, son meilleur ami continuait d’enchaîner les conquêtes, les unes après les autres, à son grand étonnement… mais aussi son grand agacement.

Une admiration toujours teintée de jalousie. Il le lui avait déjà avoué. Le Breton ne l’avait pas mal pris. Lui avait même assuré qu’il suivrait rapidement ses traces. « L’élève dépasse le maître », lui avait-il dit.

Bien sûr, ce n’était jamais arrivé. En outre, ses tentatives auprès de sa belle furent tellement infructueuses qu’elle essaya même de le caser avec Éléonore, sa meilleure amie. Peu importe le motif de ce geste, cela l’avait vexé. Et, entêté, ayant pour Solène les yeux de Chimène, il n’avait témoigné aucun intérêt pour la géographe. Et elle non plus. Ils s’amusèrent seulement du fait d’être Avignonnais tous les deux, mais n’allèrent jamais plus loin.

Les yeux rivés sur son radiomètre, Tristan se concentra sur les pales pour chasser ces idées noires. Il avait la chance de côtoyer Solène et Patrice, cette année encore. Et il avait bien l’intention d’en profiter. C’était maintenant ou jamais.

Nicolas ne devait pas arriver à ses fins. Il ne supporterait pas de se faire voler une fois de plus la fille de ses rêves.

La fille de ses rêves. Solène.

Belle, blonde, charmante. Les courbes de sa silhouette lui apparaissaient nettement. Délicates, envoûtantes.

Tristan se vit les entourer de ses mains, qu’il glissait sur sa chair. Il se vit la dévêtir, caresser son corps, embrasser son cou, puis ses lèvres…

Il ferma les yeux.

Son cœur s’était emballé et de son bas-ventre se dégageait une chaleur électrique que sa main, tremblante, ne put s’empêcher d’aller soulager. Poussant un soupir, il éteignit la lumière et s’allongea sur son lit pour mieux posséder Solène.

Ses lèvres parcoururent son corps tiède, la douceur de son cou, la vallée de sa poitrine. Il l’entendit frémir, exprimer son allégresse. Les mains de la belle entouraient sa tête, ses doigts passaient dans ses cheveux.

En quelques secondes, il se l’appropriait entièrement. Ses mouvements saccadés déclenchaient ses cris d’extase comme sous l’effet d’un mécanisme sibyllin qui exacerbait sa fièvre.

Enfin, tout son corps s’embrasa dans un ultime jaillissement qui le propulsa pendant quelques secondes au-delà des étoiles. Avant de le laisser retomber.

Solène n’était plus là.

Le jeune homme resta allongé pendant quelques secondes, le temps de retrouver son souffle. Il se leva finalement, après avoir rallumé la lumière, pour se rincer et ranger son radiomètre.

Puis retrouva son lit, dans lequel il se glissa délicieusement, plongé derechef dans la pénombre, attendant Morphée.

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