Chapitre 39

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Allongée sur son lit, encore bercée par la fin de journée qu’elle avait passée avec le futur ingénieur, Solène ne trouvait pas le sommeil. Perdue dans la contemplation du plafond, son cerveau était agité.

Ce baiser restait gravé sur ses lèvres et elle revivait son étreinte avec la même intensité. Plus fort encore que cet instant somptueux, leur union charnelle dans sa cuisine le soir même la mettait au bord de la transe.

Elle avait aimé ce moment. Beaucoup. Peut-être trop.

Et la deuxième fois avait été tout aussi plaisante. Son extase avait fait vibrer chaque fibre de son corps, sûrement avec la même intensité que dans les bras de Nicolas, peut-être un peu moins. Peu importe, elle voulait revivre ça, son corps le lui hurlait.

Elle s’empara de son téléphone et s’aperçut qu’on avait passé minuit. La jeune femme sourit en se mordant les lèvres.

Entre 2h et 6h.

Le cœur battant, elle déverrouilla l’appareil et commença à lui écrire une invitation.

Elle hésita et le relut. Ferma les yeux. Déglutit. Inspira.

Son pouce s’approchait de l’icône d’envoi lorsque l’appareil vibra dans sa main. En voyant le nom qui s’affichait, son cœur rata un battement, ses yeux s’écarquillèrent. Elle se redressa subitement.

Nicolas.

Surprise, hésitante, elle mit Pascal de côté pour ouvrir le message qu’elle venait de recevoir.

« Salut. On peut se voir demain après-midi ? À ton parc favori, si tu veux. Peu importe. »

Sur le point de lui répondre, elle se ravisa. Posa le téléphone sur ses draps et ferma les yeux.

Venait-il tout juste de lire son message ? Ou bien de se décider à y répondre ? Que lui voulait-il ? Elle, qui se languissait de lui depuis leur rupture deux semaines avant Noël, ne savait maintenant plus que faire…

Finalement, elle reprit son appareil. Elle n’avait rien à perdre, après tout. Après une réponse affirmative, ils convinrent de l’heure du rendez-vous en quelques minutes.

Dans tous ses états, elle prit soin d’effacer le message pour Pascal et mit une heure à s’endormir.

***

Elle n’était pas plus détendue en arrivant au parc Longchamp. Et ne pas apercevoir le slave en ajouta à son énervement. Un nouvel échange de messages lui précisa qu’il se trouvait déjà « en haut » ; aussi gravit-elle l’escalier pour arriver à l’arrière du palais.

Fébrile, le cœur en transe, elle sonda les alentours à la recherche de celui qui l’avait tant fait rêver en novembre. Toutefois, il vint lui-même à sa rencontre.

– Tu vas bien ? s’enquit-il.

– Oui… et toi ?

– Bien aussi.

Mal à l’aise, il lui fit signe de le suivre et ils entamèrent une promenade autour de l’espace vert.

– J’ai lu ton message, fit-il. En fait… je l’ai lu dès que je l’ai reçu. Mais j’ai eu peur. J’étais persuadé que t’allais me faire une autre scène pour une raison x ou y comme quoi je t’ai trahie, patin-couffin… Donc, j’ai pas osé répondre…

Solène esquissa un sourire devant cette explication maladroite. Elle n’avait pas pensé une seconde à cette éventualité, mais, en y réfléchissant, la trouvait compréhensible.

– Bon… abrégea-t-elle. Et, sinon, tu voulais me voir pour quoi ?

L’Ukrainien ne répondit pas tout de suite et repéra un banc sur lequel il alla s’asseoir, la psychologue sur ses pas.

– J’aimerais qu’on parle, toi et moi… commença-t-il, hésitant. De nous…

Curieuse, elle le fixa en hochant la tête. Gêné, il poursuivit :

– Je… je sais pas trop comment te le dire sans tomber dans le cliché ou la guimauve… Je… En fait… Voilà : je m’en veux, Solène. Beaucoup. Énormément, même.

La jeune blonde haussa les sourcils en déglutissant. Sa respiration devint saccadée.

– J’ai fait n’importe quoi et je sais que tout est brisé entre nous, et que c’est de ma faute. D’ailleurs, je sais même pas comment j’ai fait pour avoir mes partiels, pour tout te dire… j’étais tellement parti perdant en les passant… Et puis Patrice qui ne veut plus me voir… Bref… j’ai fait une connerie, je la paie, et je ne me plains pas. Parce que je le mérite. Mais, sincèrement… c’est tellement dur…

Il la regarda dans les yeux avec un effort que Solène décelait clairement au fond de ses pupilles. Le cinéphile avait honte et cela se voyait.

Il était sincère. Comme la dernière fois.

– Je t’aime. Vraiment. Beaucoup. Le truc, c’est que je suis devenu un dragueur compulsif en terminale pour rattraper ce que j’ai manqué en me coupant du monde pendant deux ans. Ça m’a fait prendre des habitudes qui sont revenues quand j’ai croisé Natasha sur le Vieux Port. J’ai pas réfléchi… T’étais ma première copine depuis longtemps et je ne suis pas habitué à ça… Je sais pas si tu vois où je veux en venir… toi qui es psychologue ?

Solène hocha la tête. Elle le voyait très bien.

– Bref… Depuis qu’on a rompu, tout va mal. J’ai regardé une dizaine de films en deux mois et demi et écrit seulement trois articles, dont j’ai même confié les traductions à des professionnels par flemme, grâce à l’argent que me rapportent le site et le mécénat. Les cours, je m’en tape. J’ai tenté de me remonter le moral avec Tanya, mais… je n’ai jamais réussi à m’enlever ton visage de la tête.

La jeune femme sentit son cœur bondir.

– Tanya… c’est…

– Une Russe qui est dans ma filière et avec qui j’améliore mon russe. Une simple camarade de fac. Presque ma meilleure amie.

Profond soupir. Gorge nouée, muscles crispés, respiration haletante, yeux humides… La germanophone sentait sa mâchoire trembler. Son être lui hurlait de se jeter sur Nicolas pour lui dévorer sauvagement les lèvres.

– J’arrive pas à t’oublier, kokhana… conclut celui-ci. Je suis pas de ceux qui croient en l’amour éternel, je t’avoue… Mais notre relation a quelque chose d’inachevé, je le sens. On a encore des trucs à vivre et à découvrir l’un sur l’autre. On avait bien commencé… et je me déteste d’avoir cassé ça.

Le corps brûlant, les nerfs tendus à craquer, Solène sentit une larme percer ses barrières mentales. Ce maudit « kokhana » qui avait le don de la faire fondre…

– Je ne cherche pas à me faire pardonner. J’avais juste besoin de te confier tout ça. Ça fait des semaines que ça me parasite les tripes et j’ai pas su comment te le dire en janvier. Fallait que ça sorte. Que ça sorte bien.

– Oui… bredouilla-t-elle. Je comprends…

Muette, elle fixait le banc, les yeux brûlants de larmes qu’elle peinait à retenir. Elle sortit un mouchoir de son sac pour s’essuyer le nez.

Le silence s’installa ensuite.

Nicolas se leva.

– Je te dérange pas plus longtemps. Je t’ai dit ce que j’avais à dire. J’attends rien de ta part. Tu fais ce que tu veux. Mais…

Elle leva les yeux dans sa direction, entendant clairement sa voix se déformer sur le « mais ».

– … j’ai vécu avec toi quelques-uns des meilleurs moments de ma vie. Voilà.

Il se retourna et reprit sa marche en direction du palais. Solène le regarda s’éloigner, incapable de faire un mouvement.

Son discours résonnait encore limpidement dans sa tête, comme s’il le lui répétait en boucle à côté d’elle.

Elle eut un hoquet.

Ses jambes s’animèrent toutes seules. La jeune femme bondit du banc pour rattraper l’Ukrainien au pas de course.

Celui-ci se retourna. Elle le prit dans ses bras.

Le regarda dans les yeux. S’empara de ses lèvres.

Sans mot dire.

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